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Les rescapés d'Oradour

Publié le 17/01/2022

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Mémoire 1983 - Ils devaient être douze, ils seront seulement cinq, les rescapés du massacre d'Oradour-sur-Glane, à témoigner à partir de ce mardi 31 mai devant la chambre criminelle de Berlin-Est, où a commencé, depuis le 25 mai, le procès de Heinz Barth. Ancien lieutenant SS, Barth appartenait à la troisième compagnie de la division Das Reich, l'unité qui, le 10 juin 1944, dans l'après-midi, encercle ce village paisible du Limousin pour laisser à la nuit six cent quarante-deux victimes dans les ruines fumantes d'un anéantissement méthodique et sans quartier. Ils se sont retrouvés le dimanche soir 29 mai à Paris et, ensemble, via Bruxelles, ils ont fait ce voyage vers la République démocratique allemande, où il leur faudra rappeler leurs souvenirs. Des souvenirs qu'ils s'étaient refusés à ressasser depuis 1953, lorsque déjà, en France, devant le tribunal militaire de Bordeaux, ils avaient eu à déposer. Il y a là Maurice Beaubreuil, Robert Hebras, l'un et l'autre habitant aujourd'hui Saint-Junien, en Haute-Vienne Marcel Darthout et Yvon Roby, de la région parisienne et puis Martial Machefer, de Saint-Sulpice-en-Guérétois, dans la Creuse, leur doyen qui prenait l'avion pour la première fois. Investis d'une mission Mais, tout au long de ce voyage singulier, il fallait bien se remémorer cette journée dont ils devaient ressortir, les uns et les autres, en miraculés, pour avoir eu la chance de trouver une cachette ou avoir été capables d'escalader un mur. En ces temps, ils étaient des jeunes gens de moins de vingt ans. Il fallait bien confronter dans tous leurs détails ces images conservées, la façon dont on les rassembla brutalement, dont on sépara les hommes des femmes et des enfants, les premiers conduits vers des garages ou des granges, où allaient les faucher des tirs de mitrailleuses, les autres poussés dans l'église pour y périr par le feu. C'est qu'ils se sentent malgré tout investis d'une mission, ces témoins qui n'auraient jamais dû être là. Il leur est arrivé d'être désabusés. Ils ont même pu dire honnêtement et simplement que, depuis la fin du nazisme, d'autres Oradour ont eu lieu à travers le monde et qu'il en sera sans doute ainsi tant qu'il y aura des guerres. Aujourd'hui, c'est du leur qu'il faut reparler. La convocation qu'ils ont reçue du président de la chambre criminelle de Berlin-Est, Heinz Hugot, est impérative : " Votre participation à cette procédure pénale est instamment requise. " Alors, les voici à l'aéroport, le consul de France les a accueillis et informés un peu du déroulement du débat, du comportement de Heinz Barth, accusé qui ne nie pas mais semble vouloir circonscrire les faits reprochés à la mission qui, ce jour là, aurait été seulement la sienne : rassembler la population d'un secteur bien délimité d'Oradour et veiller ensuite à ce que personne ne s'échappe. Ils ont écouté. Ils ont dit : " Alors c'est comme à Bordeaux en 1953, où ceux qu'on jugeait et qui étaient eux, des subalternes ne voulaient parler que de détails. " Ils voudraient bien savoir aussi pourquoi Heinz Barth, qui vivait en RDA depuis la fin de la guerre, n'a pu être découvert qu'en 1980 dans un pays qui pourtant se flatte d'être sans complaisance pour les anciens nazis. A cette question qu'ils ne sont pas les seuls à se poser, le procureur de la chambre criminelle, Horst Busse, a, dès le premier jour du procès, donné seulement cette réponse : " Les raisons pour lesquelles Barth a pu échapper si longtemps ne dépendent pas de la justice de la RDA. " L'homme donc, devant lequel vont se retrouver les cinq d'Oradour est aujourd'hui un sexagénaire, père de deux enfants. Les cheveux gris, la démarche claudicante-il fut blessé sur le front de Normandie et amputé d'une jambe-, il a volontiers, depuis le 25 mai, raconté ce que fut son itinéraire de jeunesse dans le régime hitlérien. Fils de cheminot, élevé à Gransee, au nord de Berlin, il fut séduit par ce dessin allemand que présentait dans les années 30 le Parti national-socialiste. Alors, à l'insu de son père, il adhère dès douze ans aux jeunesse hitlériennes, convaincu que son pays " allait se retrouver grand et fort ". Son destin est fixé. Le militant devient bientôt un policier enthousiaste au fur et à mesure des avancées allemandes en Autriche, puis en Tchécoslovaquie. En 1940, la fulgurante campagne de France le conforte encore dans ses choix. " J'étais prêt à faire mon devoir pour le grand Reich allemand. " Son " devoir " le conduira à accepter toutes les besognes. Ce sont ces consignes qui constituent le dossier réuni aujourd'hui contre lui. On le trouve d'abord en 1942 policier en Tchécoslovaquie. Il n'est pas encore officier, mais il rêve de le devenir. Là, sous ses ordres, vont se mener des actions de représailles. Au total, quatre-vingt-douze exécutions. Il les a racontées sans se faire prier, admettant avoir mis lui aussi la main à la pâte. La première fois, il en éprouva malgré tout " un certain malaise ". Après, non : " Cela se passait comme d'habitude. " Lorsque le président lui demandera s'il lui en reste quelque remords, il aura le mérite de refuser l'hypocrisie : " Non, je n'avais pas de problèmes de conscience : ces gens avaient enfreint les lois du grand Reich allemand, il fallait les punir. D'ailleurs, personne ne se posait de questions. " Pour lui, en tout cas, il n'y avait pas à s'en poser. Et l'on sent que, pour cet homme d'ordre, ce n'était pas faire trop cher payer l'assassinat d'un grand dignitaire du Reich comme Reinhardt Heydrich, le " protecteur " de Bohême-Moravie, qui venait d'être victime des partisans tchèques. A ce régime, Heinz Barth gagnait ses galons. De Tchécoslovaquie, il arrive en France, muté dans l'unité dont il rêvait, la SS. Il est d'abord instructeur à la division Das Reich. C'est lorsque cette unité, cantonnée dans le Sud-Ouest, reçoit l'ordre, aussitôt après le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie, de faire mouvement vers ce nouveau front que va commencer pour lui le temps des nouvelles exactions. Ainsi a-t-il raconté qu'avant même le massacre d'Oradour, à Frayssinet-le-Gelat, dans le Lot, parce que son unité avait essuyé des coups de feu de la Résistance, l'ordre fut donné de fouiller les maisons et de fusiller toute personne qu'on y trouverait. Ainsi fut fait. Lui assure n'avoir tué personne, ce jour-là : " Parce que les maisons dans lesquelles je suis entré étaient vides. Mais en quittant le village, j'ai vu que plusieurs femmes avaient été pendues et plusieurs hommes fusillés ". Bien dormi ? Et puis ce fut Oradour. Pourquoi Oradour-sur-Glane ? Heinz Barth, pour l'heure, n'a pas encore fourni de réponse. Mais déjà, le 30, il a expliqué que c'est parce qu'un officier de son unité avait été enlevé le 9 juin 1944 par la Résistance que l'opération de représailles fut décidée. L'ordre en fut donné par le commandant Dickmann, qui fut tué plus tard sur le front de Normandie. On est entré dans les détails, comme il y a aujourd'hui trente ans à Bordeaux. On lui a demandé combien d'hommes il avait avec lui-une trentaine-, quelle était leur tenue, de quel armement on les avait dotés. Devant le plan du village, il a montré où il avait opéré et comment. Il a dit que c'était dans le secteur ouest, cela pour soutenir qu'il ignora ce qui pu se passer ailleurs, mais déjà il a reconnu avoir tué lui-même plusieurs fois. C'est qu'il parle beaucoup, ce petit homme aux cheveux gris, sans élever la voix, avec même une sorte d'étrange docilité. Pour sa part, dans l'avion qui l'amenait à Berlin-Est, l'un des rescapés, Marcel Darthout, disait : " Moi, voyez-vous, je voudrais que le président m'autorise à lui poser une question, une seule : je voudrais simplement lui demander si, depuis quarante ans, il a bien dormi. "

« cher payer l'assassinat d'un grand dignitaire du Reich comme Reinhardt Heydrich, le " protecteur " de Bohême-Moravie, quivenait d'être victime des partisans tchèques.

A ce régime, Heinz Barth gagnait ses galons.

De Tchécoslovaquie, il arrive enFrance, muté dans l'unité dont il rêvait, la SS. Il est d'abord instructeur à la division Das Reich.

C'est lorsque cette unité, cantonnée dans le Sud-Ouest, reçoit l'ordre, aussitôtaprès le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie, de faire mouvement vers ce nouveau front que va commencer pour luile temps des nouvelles exactions.

Ainsi a-t-il raconté qu'avant même le massacre d'Oradour, à Frayssinet-le-Gelat, dans le Lot,parce que son unité avait essuyé des coups de feu de la Résistance, l'ordre fut donné de fouiller les maisons et de fusiller toutepersonne qu'on y trouverait. Ainsi fut fait.

Lui assure n'avoir tué personne, ce jour-là : " Parce que les maisons dans lesquelles je suis entré étaient vides.Mais en quittant le village, j'ai vu que plusieurs femmes avaient été pendues et plusieurs hommes fusillés ". Bien dormi ? Et puis ce fut Oradour.

Pourquoi Oradour-sur-Glane ? Heinz Barth, pour l'heure, n'a pas encore fourni de réponse.

Mais déjà,le 30, il a expliqué que c'est parce qu'un officier de son unité avait été enlevé le 9 juin 1944 par la Résistance que l'opération dereprésailles fut décidée.

L'ordre en fut donné par le commandant Dickmann, qui fut tué plus tard sur le front de Normandie. On est entré dans les détails, comme il y a aujourd'hui trente ans à Bordeaux.

On lui a demandé combien d'hommes il avaitavec lui-une trentaine-, quelle était leur tenue, de quel armement on les avait dotés.

Devant le plan du village, il a montré où il avaitopéré et comment.

Il a dit que c'était dans le secteur ouest, cela pour soutenir qu'il ignora ce qui pu se passer ailleurs, mais déjà ila reconnu avoir tué lui-même plusieurs fois.

C'est qu'il parle beaucoup, ce petit homme aux cheveux gris, sans élever la voix, avecmême une sorte d'étrange docilité. Pour sa part, dans l'avion qui l'amenait à Berlin-Est, l'un des rescapés, Marcel Darthout, disait : " Moi, voyez-vous, je voudraisque le président m'autorise à lui poser une question, une seule : je voudrais simplement lui demander si, depuis quarante ans, il abien dormi.

" JEAN-MARC THEOLLEYRELe Monde du 1 er juin 1983 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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