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Les Rosenberg exécutés, justice est faite

Publié le 22/02/2012

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19 juin 1953 - Quelle justice ? Rarement procès criminel aura manifesté avec plus de continuité, de solennité et de cruauté la précarité des jugements humains. Ni les doutes les plus fondés sur l'étendue de la culpabilité, ni l'évidente disproportion de la peine, ni la fermeté d'un juge attentif aux scrupules de son esprit et à la révolte de sa conscience, ni l'étonnant courage de condamnés soumis jusqu'au dernier instant à un effroyable chantage, ni enfin la protestation de millions d'hommes et la supplication des plus hautes autorités morales et religieuses de ce côté-ci de l'Atlantique n'ont pu infléchir le cours du destin. Une procédure formellement irréprochable au service d'une implacable physique sociale a envoyé à la mort deux êtres qui, selon toute apparence, ne la méritaient pas. Il est vrai que d'autres meurtres encore plus horribles se commettent chaque jour dans le monde. Il est vrai qu'ailleurs on ne s'embarrasse pas de tant de formes ni de tant de délais pour sacrifier à l'Etat-Moloch les réprouvés et les suspects. Il est vrai enfin que les Français ne paraissent pas tellement bien placés pour prodiguer à autrui des leçons de justice ou d'équité. Comment expliquer cependant que la condamnation, sur l'autre rive de l'Océan, d'un jeune couple inconnu leur ait rendu tout à coup la seule unanimité qu'ils aient connue depuis longtemps ? N'est-ce pas que les circonstances qui ont accompagné la mise à mort des Rosenberg ont élevé peu à peu ce fait divers-comme dans un tout autre domaine le rapt des enfants Finaly-à la hauteur d'un symbole, le symbole de valeurs essentielles qui, seules, peuvent être la justification de l'Occident ? C'est en ce sens que l'exécution des Rosenberg peut être une grave défaite de toute la coalition atlantique et une victoire de ses ennemis. Un monde adverse cadenassé et comme lassé de sa propre tyrannie paraissait enclin à s'entrouvrir. Notre monde encore ouvert tend de plus en plus à se durcir et à se fermer. Entre les deux la part de la vérité et de l'humanité se rétrécit peu à peu. Les hommes libres qui peuvent encore ici protester sans risque ne se sentent ni meilleurs ni plus courageux que tant d'autres-peut-être seulement plus lucides, parce que moins engagés. Ils s'effraient de voir grandir autour d'eux l'ombre de gigantesques idoles nourries de mensonges, de terreur et de délation. Ils redoutent l'heure peut-être prochaine où le choix ne sera plus permis qu'entre le rôle de bourreau et celui de martyr, entre les soudards et les saints. SIRIUS Le Monde du 21-22 juin 1953

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