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L'exécution sommaire de Mussolini

Publié le 17/01/2022

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28 avril 1945 - Vingt-trois cadavres pendus par les pieds, aux montants d'une station d'essence,piazzalee Loreto à Milan. L'un de ces corps est celui de Mussolini, un autre celui de Claretta Petacci, la femme qui a voulu l'accompagner jusqu'à la fin. Les autres : quelques hiérarques fascistes, membres du gouvernement de Salo, quelques personnalités de second plan fusillées un peu au hasard, et un étonnant personnage : Nicolas Bombacci, compagnon de Lénine en 1917 à Saint-Pétersbourg, membre du premier groupe dirigeant du parti communiste d'Italie en 1922, antifasciste jusqu'à la dernière année, et revenu alors auprès de son ancien ami Mussolini, dans une paradoxale folie des causes perdues. Au soir du 29 avril 1945, les cadavres sont décrochés sur l'ordre de Sandro Pertini, membre du triumvirat insurrectionnel qui dirige le comité de libération de la Haute-Italie. La remise de Mussolini aux vainqueurs anglo-américains avait été prévue par deux articles de l'armistice de septembre 1943. C'était donc un des enjeux de la prise du pouvoir en Italie de Nord, une fois la libération accomplie. Le comité de libération en liaison par la Suisse avec le commandement allié en Italie, siégeant dans le sud libéré, a confié à un triumvirat composé de Luigi Longo (communiste), Sandro Pertini (socialiste) et Leo Valiani (membre du parti d'action) les responsabilités d'une insurrection qui doit éclater en Piémont et en Lombardie à la veille de l'arrivée des alliés. Durant ce délai, les charges politiques reviendront à la résistance, dont l'administration anglaise ou américaine prendra le relais. Au début d'avril 1945, environ vingt-cinq divisions allemandes tiennent encore au sud des Alpes et se battent en se repliant vers les cols. Les Brigades noires et les forces républicaines de Mussolini affrontent les différentes formations de partisans dans une guerre civile qui n'a pas d'équivalent en Europe occidentale. Entre les dirigeants politiques clandestins, cachés à Milan, et les autorités légales du royaume à Rome, deux projets s'opposent. Les premiers, liés aux combattants sans uniforme, entrevoient globalement un régime socialiste, avec toutes les nuances, allant de la révolution pour demain au réformisme antifasciste de gauche. Les seconds, à Rome, défendent d'autant plus la monarchie, en une phase transitoire, que Togliatti, secrétaire général du PCI, a imposé aux siens la participation aux institutions légales et la voie du compromis. Rome, en somme, les Alliés, la grande bourgeoisie industrielle de Milan et Turin, pressent pour le harcèlement des Allemands, non pour l'insurrection. Les dirigeants de Milan veulent, au contraire, des actes de guerre qui couronnent la résistance et marquent la rupture, la liquidation du fascisme. Vingt ans d'opposition, l'exil, la guerre d'Espagne, fondent leur légitimité Que peut peser encore Mussolini dans cet affrontement ? Dans la première quinzaine d'avril, il envisage de transférer son gouvernement de Salo à Milan, pour se dégager du contrôle allemand. Dans le retour à ses origines socialistes qu'il a imprimé à sa " République ", il nourrit le singulier projet de transférer ses pouvoirs au parti socialiste d'unité prolétarienne, seul capable à ses yeux de défendre les mesures de " socialisation " qu'il avait prises. L'exécutif socialiste, sur l'insistance de Pertini, oppose un refus évident. Après avoir évalué les chances d'un dernier combat dans un réduit aménagé en Valtelline, Mussolini se rend, le 25 avril, à l'archevêché de Milan, où sous l'égide du cardinal Schuster, il rencontre des délégués du comité de libération. Il en apprend qu'ils attendent, dans les deux heures, sa reddition sans condition. Il a aussi la révélation que depuis plusieurs semaines, le commandement allemand négocie sa propre reddition, sans en avoir informé ses alliés italiens. Du coup, Mussolini décide, en fin d'après-midi, de regagner Côme avec des intentions vagues de passage en Suisse ou dans les dernières fractions du Reich non occupées. Le 27 avril, au milieu d'un groupe de soldats allemands, il part pour Merano. Arrêté à Dongo par des Partisans, reconnu sous la capote de sous-officier allemand qu'il a revêtu, rejoint par Clara Petacci, il y passe la nuit. Le lendemain un groupe de partisans vient de Milan sous les ordres du colonel Valerio. L'exécution a lieu dans l'après-midi. Indépendamment des réalités passionnelles et des sentiments de vengeance, très explicables dans le climat de l'époque, après vingt années de dictature, cette exécution soulage tous les partenaires du jeu politique. C'est le cas de la droite, monarchiste ou non. Selon les termes mêmes de Cadorna, " le procès de Mussolini aurait été le procès de la politique italienne depuis vingt ans... Il aurait été extrêmement difficile de séparer la responsabilité d'un peuple de celle de son chef ". A gauche, pour les uns cette exécution crée l'irréparable et permet d'aller jusqu'au bout de la révolution politique. Pour d'autres, elle autorise le compromis : Le dépassement de l'ère fasciste et la justice faite transforment la générosité en un bon calcul. Aux Alliés, l'exécution sommaire ôte un grand embarras. Mussolini vivant et traduit en justice n'aurait été un atout pour aucun camp. Il est trop discrédité pour être exploitable. Ceux qui s'en étaient servi ne peuvent que l'abhorrer. Et trop de sang a coulé entre lui et ses anciens amis, tel Pietro Nenni, devenus ses adversaires. Si un consentement général tacite fut jamais, c'est bien celui-là. Il fonda la possibilité d'une Italie républicaine.

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