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L'histoire en débat outre-Rhin

Publié le 22/02/2012

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histoire
Mémoire 1987 - " Les vivants sont gouvernés par les morts " écrivait jadis Auguste Comte. Comment s'étonner alors que la République fédérale d'Allemagne en période d'élections se trouve, une fois de plus, amenée à se pencher sur son passé ? Quarante ans après l'écroulement du IIIe Reich, une querelle d'historiens, relayée par les médias, utilisée par les hommes politiques, témoigne d'une évolution en profondeur de la perception de la période nazie par la société ouest-allemande. A l'origine de la querelle, la publication récente d'ouvrages d'universitaires de tendance conservatrice qui tentent d' " expliquer " le nazisme et ses conséquence en le comparant aux autres formes de totalitarisme à l'oeuvre au vingtième siècle : l'URSS stalinienne, le Cambodge de Pol Pot, etc. Ces historiens contestent le caractère unique, incomparable et, en dernière analyse, monstrueux de l'entreprise exterminatrice menée au nom du Reich de mille ans... A la différence des propagandistes du révisionnisme, qui nient purement et simplement la réalité du génocide perpétré dans les camps d'extermination, des historiens comme Ernst Nolte, Andreas Hillgruber ou Michael Stürmer estiment que le génocide a bien eu lieu, mais qu'il n'a été possible qu'en raison du précédent de la terreur stalinienne. D'une génération sur l'autre Ces thèses ont provoqué de vives réactions d'autres universitaires ou publicistes, qui voient dans cette réécriture de l'histoire une apologie subtile et dangereuse du nazisme. A Nolte, Hillgruber et Stürmer, le philosophe Jürgen Habermas reproche de s'être laissés aller à des " tendances apologétiques " visant à exonérer l'Allemagne de la responsabilité entière des événements qui se sont produits entre 1933 et 1945, notamment l'extermination planifiée des juifs. D'autres historiens, comme Eberhardt Jäckel, ont également fait grief à Nolte et Hillgruber d'avoir banalisé l'épisode nazi. Ce débat entre en résonance avec les questions que tout un chacun se pose outre-Rhin : peut-on aujourd'hui, avec quarante ans de recul, s'intéresser " objectivement " à la période nazie ? L'historiographie concernant ce sujet ne représente-t-elle que le point de vue des vainqueurs ? Enfin et surtout, la génération qui arrive aujourd'hui à l'âge adulte doit-elle, au même titre que celle qui l'a précédée, porter le poids de la responsabilité d'Auschwitz ? Dans la jeunesse ouest-allemande, on peut sentir, au fil des conversations, cette irritation qui résulte du rappel d'un passé dont les grands-parents furent les acteurs. On sent comme une panique d'avoir à assumer une malédiction qui se reporterait, inchangée, d'une génération sur l'autre ... Frappé, comme il le dit lui-même, de la " grâce de la naissance tardive ", le chancelier Helmut Kohl se fait le porte-parole d'une génération allemande qui estime qu'un trait doit être, une fois pour toutes, tiré sur le passé. Rudolf Augstein, directeur de l'hebdomadaire Der Spiegel, dans un article critiquant les nouveaux historiens, se demandait si le quarantième anniversaire de la chute du nazisme n'était pas arrivé quarante ans trop tôt. On peut, il est vrai, se poser la question, et s'inquiéter de cette impatience à faire " gagner du temps au temps " qui se manifeste dans la société allemande contemporaine. Un risque existe, en effet, que les barrages sautent et que la remise en cause de la singularité de la terreur nazie n'ouvre la voie à l'oubli programmé de l'horreur. LUC ROSENZWEIG Le Monde du 22 janvier 1987

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