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L'occupation française en Allemagne

Publié le 17/01/2022

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Août 1945 - En août 1945, la France s'installait dans " sa zone " en Allemagne. Le principe d'une occupation totale et conjointe, après la reddition du Reich, avait été adopté sans difficulté majeure, dès octobre 1943, par les ministres des affaires étrangères des trois Grands réunis à Moscou. Mais il a fallu attendre le 10 février 1945-dernier jour de la conférence de Yalta-pour que Staline, sur l'insistance de Churchill, qui ne voulait pas laisser à l'Union soviétique la possibilité de devenir la seule grande puissance en Europe après le départ des Américains, donne son accord quant à l'attribution d'une zone d'occupation à la France, " à la seule condition qu'elle soit prélevée sur celle devant échoir aux Anglo-Américains ". La " ZOF " eut, de ce fait une configuration bizarre : deux triangles disposés de part et d'autre du Rhin, mais qui ne se touchent pas étant séparés-c'était à prendre ou à laisser-par un couloir américain. La " zone " ne comprend que quatre villes de seconde importance, entre 100 000 et 150 000 habitants : Mayence, Sarrebruck, Ludwigshafen et Fribourg. Stuttgart, la seule grande ville conquise par l'armée française sans l'aide des Américains, a dû être rendue à ces derniers, ainsi que Karlsruhe, cité de moindre importance. Le 31 juillet 1945, la " ZOF " reçoit un " gouvernement civil de militaires " que dirigera, du début à la fin, le général Pierre Koenig, héros de Bir-Hakeim. Il a pour principaux collaborateurs le général de Monsabert, qui commande les troupes, Schmittlein, directeur de l'éducation publique, Granval, délégué supérieur pour la Sarre, et Laffont, qui occupera jusqu'en novembre 1947 le poste d'administrateur général adjoint. Pour les Allemands, ils ne sont que des " combattants de l'après-guerre " arrivés dans les bagages des Américains. Aussi alors que Russes, Américains, Anglais n'auront aucune difficulté à imposer leur loi aux vaincus, les Français vont-ils devoir faire continuellement étalage de leur force et de leur détermination afin de surmonter le double handicap de la défaite de 1940 et de la collaboration. Avoir contribué avec beaucoup de courage et au prix de lourds sacrifices à l'écrasement de l'Allemagne nazie ne suffira pas aux soldats français pour imposer leur présence à six millions d'Allemands, qui garderont l'habitude tenace de se gausser de l'occupant français. Bien avant que les hommes de la Ire armée ne franchissent le Rhin, leurs chefs avaient cru de leur devoir de préparer moralement les soldats à une occupation qu'on espérait alors longue et bénéfique, tant pour la France, qui pourrait ainsi se dédommager du pillage systématique de ses richesses, que pour les Allemands, qu'il allait falloir " rééduquer ". A ce moment précis de l'histoire, la haine et le mépris sont les sentiments dominants des deux côtés du Rhin. Pour l'Allemand, qui fait à son tour la difficile expérience de l'occupation étrangère, le mépris sert en quelque sorte d'exutoire en attendant des jours meilleurs. S'y ajoute la peur du Français, moins enclin que quiconque à faire des concessions maintenant que l' " ennemi héréditaire " est devenu synonyme de SS et de Gestapo, de massacres et de tortures, de répression et de privations. C'est au tour des Allemands de vivre au rythme des " Verboten " et des " Avis à la population " qui, pendant cinq ans, ont fait trembler la majeure partie des peuples de l'Europe. Et, là encore, les Allemands de la zone française vont être soumis à un régime beaucoup plus rigoureux que dans les zones anglaise et américaine voisines. L'opinion publique française, convaincue une fois pour toutes qu'il fallait " faire payer aux " boches " ce qu'ils avaient fait aux autres ", se désintéressait complètement de la zone d'occupation, en particulier, de l'Allemagne et de son avenir en général. Présentant, en septembre 1946, le bilan d'une année de " présence en Allemagne " -c'est ainsi qu'on désignait officiellement l'occupation,-le général Koenig, grand patron de l'administration, affirme : " Nous ne quitterons pas l'Allemagne avant d'avoir la certitude que les idées démocratiques sont solidement ancrées dans le peuple allemand. Il faut compter trente à quarante ans avant que les Allemands puissent comprendre les avantages d'une telle démocratie ". A contre-courant Ceux qui, dans un tel climat, décident de marcher à contre-courant sont peu nombreux. Ces hommes de bonne volonté ne croient pas à la " responsabilité collective " du peuple allemand. Très tôt, ils comprennent qu'il ne faut à aucun prix tomber dans les erreurs de 1918 si l'on veut, ensemble, reconstruire l'Europe. L'oeuvre en profondeur entreprise par ces intellectuels est admirable. Dans ce cadre naît, pour Joseph Rovan , Alfred Grosser, le Père du Rivau, Emmanuel Mounier et quelques autres, la conception la plus féconde de l'action à exercer sur les Allemands des jeunes générations. " Il faut mettre Français et Allemands en situation de réaliser des oeuvres communes, depuis un camp d'écoliers jusqu'à la paix du monde, " écrit Emmanuel Mounier. Sur son initiative sera créé en France " le comité français d'échanges avec l'Allemagne nouvelle ". Dès 1945 ont lieu, timidement et de manière presque clandestine, les premières rencontres, gouttes d'espoir dans l'océan de la haine et du mépris. Quelques dizaines seulement à se rencontrer en 1945, un millier en 1946, 2 000 en 1948, 5 000 en 1949, année où pour la première fois la frontière fut ouverte aux jeunes Allemands, ils seront, quarante ans plus tard, plus de sept millions de jeunes, Français et Allemands, à avoir traversé le Rhin sans autre préoccupation que de se connaître. Officiellement, la zone d'occupation française en Allemagne cesse d'exister le 21 septembre 1949 Tout aussi officiellement, deux années plus tard, l'ennemi allemand cesse d'exister à son tour. Le décret n° 51-883 du 9 juillet 1951 porte " le président du conseil des ministres, sur le rapport du ministre des affaires étrangères, décrète : Article 1er-A dater de la publication du présent décret, les ressortissants allemands ne seront plus réputés ennemis... " MARC HILLEL auteur de l'Occupation française en Allemagne Le Monde du 18 août 1985

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