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MacArthur, un vieux soldat ne meurt jamais

Publié le 17/01/2022

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19 avril 1951 - " An old soldier never dies... " Le général MacArthur n'a pas fait mentir la vieille ballade militaire qu'il citait en avril 1951 dans un retentissant discours au congrès des Etats-Unis après son limogeage de Corée: " Un vieux soldat ne meurt pas, il se contente de disparaître... " La fin du proconsul a été aussi calme et discrète que sa carrière fut agitée. Volontairement, il s'était retiré de la vie publique, comme s'il voulait se faire oublier des foules enthousiastes qui l'avaient accueilli lors de son retour aux Etats-Unis. A New-York, sept ou huit millions de spectateurs avaient déversé 2 850 tonnes de confetti sur son passage, tandis qu'il parcourait Broadway en voiture découverte. Vingt autre villes avaient été soulevées par une vague de ferveur populaire au passage de celui qu'elles considéraient alors comme l'incarnation du plus pur et du plus intransigeant américanisme. Ce culte reposait pourtant sur un tragique malentendu. Au plus fort de la frénésie anticommuniste, les foules voyaient en MacArthur l'homme qui avait voulu imposer un blocus aux côtes chinoises, rendre leur liberté aux forces de Tchiang Kaï-Chek, et au besoin porter la guerre au delà du Yalou. C'étaient, à ses yeux, les moyens indispensables pour atteindre le but que ses supérieurs lui avaient fixé: gagner une guerre. " Dans la guerre, déclarait-il devant le Congrès, il n'existe pas de succédané de la victoire. " Et il affirmait tranquillement que la politique qu'il préconisait n'aurait pas entraîné d'extension du conflit... Ainsi put-on présenter MacArthur comme un fauteur de guerre. Mais dans le même discours au Congrès, il prononçait quelques phrases qui furent alors interprétées comme une simple clause de style. " Rares sont les hommes actuellement vivants, affirmait-il, qui connaissent la guerre comme je la connais. Rien n'est pour moi plus révoltant. J'ai depuis longtemps prôné son abolition complète, car les destructions mêmes qu'elle inflige à la fois aux amis et aux ennemis l'ont rendue inutile comme moyen de règlement des différends internationaux ". Quatre ans plus tard, la ville de Los Angeles inaugurait une statue du général MacArthur pour célébrer sa gloire guerrière. Le vieux soldat était là, et, avec la sagesse de ses soixante-quinze ans, il décrivait la guerre moderne comme " un Frankenstein capable de tout détruire ". Il demandait aux Etats-Unis de ne jamais recourir à ce monstre. Il mettait en doute la valeur des alliances sur lesquelles l'Amérique voulait fonder sa sécurité. En des termes saisissants, il en montrait la fragilité : " La chaîne n'est pas plus solide que le plus faible de ses maillons... " Par expérience personnelle, il connaissait des " maillons " qui ne résisteraient pas à une poussée un peu forte. Depuis, on n'avait pratiquement plus entendu parler de lui. Il avait résisté à toutes les sollicitations de groupes qui auraient voulu le convaincre de poser sa candidature à la présidence. Avant de mourir, il s'était condamné au silence, laissant à ses concitoyens et au monde un testament qui se résumait en un plaidoyer en faveur de la paix. S'agissait-il d'une conversion due au vieillissement et à la lassitude ? Assurément non. Les mesures qu'il préconisait en Corée lui étaient suggérées par les incertitudes de la politique américaine. A la fermeté avec laquelle fut prise la décision d'intervenir succédèrent en effet des hésitations dont font foi les documents aujourd'hui connus. Si le commandant en chef des forces des Nations unies outrepassa ses prérogatives, ce fut parce que son tempérament ne lui permettait pas d'accepter les contradictions du pouvoir politique, tiraillé entre un anticommunisme exploité par le maccarthysme, la crainte de provoquer un conflit mondial et le refus de toute attitude qui pourrait être considérée comme une manoeuvre d' " apaisement ". Les foules qui voyaient en lui un champion du nationalisme américain se trompaient lourdement. Les riches pétroliers du Texas qui financèrent les campagnes du sénateur McCarthy avaient tout d'abord jeté leur dévolu sur le général MacArthur, dont l'auréole de gloire aurait bien servi leurs ambitions. Ils durent bien vite y renoncer, car l'ancien " proconsul " était trop respectable pour se prêter à leurs jeux dangereux. Cette haute figure de l'américanisme en incarnait la tendance dignement conservatrice, et non pas l'extrémisme vulgaire et démagogique. MacArthur put ainsi décevoir des espoirs que rien ne justifiait. Dès lors, on préféra l'oublier. Et lorsque la fièvre anticommuniste commença à décroître, le vieux soldat put sans peine disparaître avant de mourir. Le fond de son caractère était d'ailleurs nettement apparu lorsqu'il régnait en monarque sur le Japon. Le " mikado blanc " s'enveloppait de discrétion, fuyant les apparitions en public, sachant bien que le mystère dont il s'entourait servirait non pas tant sa propre légende que la mission qui lui avait été confiée. Le Japon qu'il trouvait après la victoire était à genoux, en ruine, et livré au désespoir, prêt à obéir à quiconque saurait imposer son autorité. La misère et l'abattement moral auraient pu en faire une proie facile pour le communisme. MacArthur sut lui éviter le prix d'une révolution brutale, ou plus exactement sut lui faire subir une " révolution conservatrice ". Il maintint l'empereur et supprima l'armée. De sa propre main, il rédigea un projet de Constitution qui devait faire du Japon une Suisse de l'Extrême-Orient. La guerre de Corée et les pressions de John Foster Dulles jetèrent quelque trouble dans ce courant pacifique. Mais l'empire du Soleil-Levant resta rétif à cette volonté de le réarmer, et sa puissance militaire d'aujourd'hui réside surtout dans les bases américaines installées sur son territoire. Si le " proconsul " choisit cette ligne, ce n'était point poussé par la hargne ou l'arrogance du général vainqueur à l'égard de l'adversaire battu. C'était en soldat qui hait la guerre, qui considère-comme Eisenhower lui-même-que son uniforme l'autorise à parler de la paix et à travailler pour elle. Son rêve était de transplanter au Japon les vertus et les structures qui, à ses yeux, font de la démocratie américaine une puissante aspiration vers la paix. Lorsque éclata son conflit avec le président Truman, son caractère altier lui interdit de se rendre à la convocation qui lui était adressée. L'homme qui, cinq ans plus tôt, à bord du cuirassé Missouri, avait reçu la reddition des forces japonaises voulut éviter tout geste qui risquerait de compromettre son prestige. Et ce fut, au mois d'octobre 1950, l'entrevue dramatique de l'île de Wake. Dès lors, la décision de Truman était prise, et le 11 avril 1951 le général MacArthur était relevé de ses fonctions. Six jours plus tard, San Francisco en liesse rendait hommage à celui dont la carrière illustrait la défense du Pacifique. La griserie populaire de Chicago, de Washington, de New-York, ne sut le convaincre de se renier lui-même. Il renonçait aux armes de guerre et présidait benoîtement les réunions du conseil d'administration de la Remington Rand. CLAUDE JULIEN Le Monde du 7 avril 1964

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