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Mouvement sans impulsion? La liberté d'indifférence.

Publié le 22/02/2012

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C'est une plaisante imagination de concevoir un esprit balancé justement entre deux pareilles envyes. Car il est indubitable qu'il ne prendra jamais party, d'autant que l'application et le chois porte inéqualité de pris; et qui nous logeroit entre la bouteille et le jambon, avec égal appétit de boire et de menger, il n'y auroit sans doute remède que de mourir de soif et de faim. Pour pourvoir à cet inconvénient, les Stoïciens, quand on leur demande d'où vient en notre âme l'élection de deux choses indifférentes, et qui faict que d'un grand nombre d'escus nous en prenions plustost l'un que l'autre, estans tous pareils, et n'y ayans aucune raison qui nous incline à la préférence, respondent que ce mouvement de l'ame est extraordinaire et dérègle, venant en nous d'une impulsion estrangiere, accidentalc et fortuite. Il se pourroit dire, ce me semble, plustost, que aucune chose ne se présente à nous où il n'y ait quelque différence, pour legicre qu'elle soit; et que, ou à la veuë ou à l'atouchement, il y a tous-jours quelque plus qui nous attire, quoy que ce soit imperceptiblement. Pareillement qui présupposera une fisselle également forte partout, il est impossible de toute impossibilité qu'elle rompe; car par où voulez-vous que la faucée commence? et de rompre par tout ensemble, il n'est pas en nature. Qui joindrait encore à cecy les propositions géométriques qui concluent par la certitude de leurs démonstrations le contenu plus grand que le contenant, le centre aussi grand que sa circonférence, et qui trouvent deux lignes s'approchant sans cesse l'une de l'autre et ne se pouvant jamais joindre, et la pierre philosophale, et quadrature du cercle, où la raison et l'effect sont si opposites, en tireroit à l'adventure quelque argument pour secourir ce mot hardy de Pline : "qu'il n'est rien certain que l'incertitude et rien plus misérable et plus fier que l'homme". M. DE MONTAIGNE.

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