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pudeur, histoire de la

Publié le 10/04/2013

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histoire
1 PRÉSENTATION

pudeur, histoire de la, histoire d’un sentiment qui définit la nature humaine comme l’antithèse de la bestialité. Notion complexe, la pudeur désigne une gêne, une honte éprouvée ou encore une disposition permanente à ressentir ces sentiments.

2 LE SENTIMENT DE PUDEUR
2.1 Approche de la pudeur par les textes

Sous diverses appellations, la pudeur est toujours apparue comme un sentiment nécessaire à l’homme et à la société humaine. Selon le témoignage de la Bible, l'histoire de la pudeur commence avec celle de l'humanité : dans la Genèse lorsqu'Adam et Ève mangent du fruit de l'arbre interdit, leurs yeux s'ouvrent et voient leur nudité, qu'ils cachent aussitôt sous des feuilles de figuier cousues ensemble. C'est parce qu'ils cachent leur nudité (Genèse, 10-11) que Yahvé comprend qu'ils ont mangé du fruit interdit, qu'il les maudit et les chasse du paradis. La pudeur se lie dès lors tant à la nudité qu'à la sexualité, mais également à la mortalité (puisque c’est là le châtiment divin qu’entraîne la découverte de l'amour charnel). La pudeur apparaît alors comme un voile destiné à préserver du regard des autres la fragilité de la chair, incapable de résister au désir et sujette à la mort.

Hérodote — et à sa suite, de nombreux Occidentaux jusqu'à l’époque moderne — lie la pudeur à l'humanité d'une autre façon, lorsqu'il décrit les Noirs qui « copulent en public comme des bêtes « : copuler en public, c'est ignorer le sentiment de pudeur, propre à l'homme. Les Noirs, taxés de bestialité pour leur manque de pudeur, éprouvent pourtant un sentiment semblable : pour exemple la femme africaine qui se couvre de honte, lorsque les missionnaires chrétiens l'obligent à cacher sa nudité.

La pudeur n’est pas une notion strictement judéo-chrétienne et on retrouve son équivalent dans d’autres civilisations. Le Coran considère la pudeur comme une vertu cardinale et le terme arabe haya, issu d’une racine sémitique, brosse un champ sémantique large, allant du vocable de la vie et de la résurrection, à celui du vagin, de la pluie et de la bonne récolte, enfin à la honte et à la pudeur. Cette pudeur islamique vise surtout à maintenir la paix sociale, car la fitna (trouble public) est identifiée au trouble sexuel causé par la femme, qu’il faut contenir, voiler, cacher pour l’ôter à la concupiscence du mâle.

2.2 Évolution sémantique de la pudeur

Dans la Chine classique, le terme xiu chi désigne un mélange de timidité rougissante et de honte, qui sert de facteur d’harmonie dans les rapports des hommes entre eux et avec le monde, un souci pour ménager un espace pour l’épanouissement de la dignité.

Dérivé du latin pudor, le terme français apparaît au xvie siècle pour désigner ce que le Moyen Âge nommait « honte « ou « vergogne «. Au xviie siècle encore, on parle de la « modestie « de la femme, notion plus large que la pudeur, liée à la chasteté.

La pudeur, telle qu’on l’entend aujourd’hui, est ressentie lorsqu’on doit entreprendre — ou être témoin — des choses qui renvoient à la fragilité de l’être, corporelle ou affective mettant en cause la dignité humaine ou sociale de soi-même ou d’une tierce personne. Elle est donc une honte anticipée, une conscience de ce qui n’est pas encore directement en cause. Elle est en même temps naturelle — ce n’est pas la bienséance — et prend sens en société, devant ou face aux autres. En tant que dynamique, elle s’inscrit dans les relations humaines comme une convenance intériorisée, un seuil de sensibilité socialement institué face au corps et aux sentiments, destiné à protéger un espace intime, de soi à soi ou aux plus proches.

Pour lire les manifestations historiques de ce sentiment fugace, on doit faire appel aux pratiques du corps et de l’expression des sentiments. Aussi doit-on distinguer pudeur corporelle et pudeur des sentiments, pudeur au féminin et au masculin et, enfin, des pudeurs différentes selon le statut social dans la plupart des sociétés.

3 ÉVOLUTION HISTORIQUE DU SENTIMENT DE PUDEUR
3.1 Nu olympique et pudeur dans l’Antiquité

Dans l’Antiquité grecque et romaine, la pudeur au sens où nous l’entendons aujourd’hui n’existe pas. La nudité masculine et féminine, comme à d’autres époques, a des sens très différents. En Grèce, la nudité masculine, exposée à la vue de tous au stade, n’a rien de honteuse. Inaugurée aux jeux Olympiques au cours du viie siècle av. J.-C., cette nudité devient la norme dans le stade où seuls les hommes ont accès. Plus encore, dans la cité de Sparte, « la nudité des filles [n’a] rien de honteux ; la pudeur [est] là, et nul ne [songe] à l’intempérance «, comme le souligne Plutarque dans les Vies parallèles.

Mais, d’une manière générale, l’exposition des femmes nues est inimaginable et ridicule durant l’Antiquité. À Rome, la pudeur est la vertu de la matrone, symbolisée par la déesse Pudicitia. La femme mariée doit cacher son corps et signaler par sa tête voilée l’honorabilité de l’épouse, contrairement à la courtisane qui cherche à attirer le regard. Cette notion d’honorabilité publique, liée à un certain statut social, introduit la pudeur féminine comme le désir de ne pas être troublé par le regard d’un homme.

Ce clivage entre le rapport social aux corps masculin et féminin est exprimé par Pline l’Ancien qui considère naturelle la pudeur féminine car, dit-il, le corps de la noyée flotte le ventre en bas, tandis que le noyé flotte sur le dos. Cependant, la nudité devant les animaux ou les esclaves n’a rien de honteuse, ni celle des classes subalternes, que ne frappe aucune règle morale.

3.2 L’émergence de la pudeur au Moyen Âge

Bien des choses changent avec la construction de la notion chrétienne de « péché de chair « qui, jointe au mythe d’Adam et Ève, charge la femme de la responsabilité du désir sexuel. Le christianisme élabore, dans l’Antiquité tardive, un refus de la sexualité féminine. Tentatrice et pécheresse, la femme est considérée comme une créature d’ordre secondaire qu’il faut contenir. Dans les sociétés germaniques, au contraire, le corps et la nudité de la femme ont alors une valeur sacrée, liée à la fécondité.

Malgré les condamnations des conciles médiévaux, hommes et femmes se baignent nus dans les étuves ou dans les rivières ; de même, les processions nues sont pratiques courantes et signe d’humilité au Moyen Âge ; enfin, rien à cette époque ne sépare le couple de ses hôtes dans le lit familial. Si, dans la vie quotidienne, la nudité est dépourvue de connotation sexuelle, elle est rarement complète, contrairement à ce que font croire les textes ; au contraire la nudité complète et les besoins naturels sont couverts de pudeur. Toutefois selon la morale chrétienne, le corps doit être caché, gardé, enveloppé dans des vêtements qui marquent cependant bien l’appartenance sexuelle car le corps est en danger et source de danger pour l’homme. Le dépouillement du corps au masculin a un sens de rupture sociale ou de contestation : fous, hommes des bois et hérétiques vont « nus «, c’est-à-dire peu vêtus ; saint François se dévêtit sur la place d’Assise.

Après l’an mil, l’émergence du culte de la Vierge signale un déplacement de sensibilité concernant la femme : la Vierge, mère immaculée, honorable et vertueuse, a la pudeur corporelle comme nature même. Cependant la culture courtoise, qui fait la synthèse des cultures nobiliaire et chrétienne, met en valeur la femme avec son corps. Elle autorise des décolletés de plus en plus audacieux, jusqu’au sein — lisons « gorge « — découvert, qui persistent jusqu’au xvie siècle ; dans le même temps, il faut se couvrir les pieds.

Parallèlement, la pudeur des sentiments n’autorise que l’expression des sentiments religieux, non pas ceux engendrés par les liens terrestres. L’évêque ou la religieuse peut pleurer à l’église et en public sur les souffrances du Christ, alors que le chevalier qui pleure la mort de son amie provoque la raillerie de ses compagnons. Cependant, vers la fin du Moyen Âge, la suspicion grandit envers les épanchements pieux dépourvus de réserve, tenus pour peu sincères ; l’expression des sentiments terrestres reste, de même, sujette à la retenue.

3.3 L’apogée de la pudeur à l’époque moderne

La fin du Moyen Âge et la Renaissance marquent un accroissement de la sensibilité à la mise en scène (et en valeur) du corps ainsi qu’à la convenance du comportement et de l’habit. D’un côté, une certaine nudité reste habituelle, dans toute la société ; de l’autre, les hommes portent des vêtements moulants qui soulignent l’architecture du corps, et la gorge des femmes est découverte par des robes coquettes qui établissent cependant un équilibre délicat entre l’exposé et le caché. La fermeture des étuves, synonymes de débauches, s’explique par l’apparition de la peste puis de la syphilis, mais aussi par l’idée chrétienne de la sexualité pécheresse liée à la nudité.

C’est au xviie siècle qu’apparaît une pudeur corporelle accrue chez les femmes, en même temps que la mode des proéminentes braguettes chez les hommes. C’est alors que se dessine, paradoxalement, la pudeur au sens moderne, celle des organes sexuels, en particulier masculins, en attachant plus de honte — donc de valeur — à l’organe mâle, visible, qu’à celui des femmes, caché. Jusque là, il convenait de cacher la tête, plutôt que le sexe ou le derrière. La victoire des précieuses qui se pâment devant les habituels baigneurs nus des quais de la Seine à Paris témoigne de l’accroissement de la pudeur du corps dans le cadre du processus de civilisation décrit par Norbert Elias. Parallèlement apparaît l’expression d’une intériorité, d’une intimité sentimentale, lisible dans les correspondances et les œuvres littéraires, traduisant la baisse du seuil de la pudeur des sentiments.

Le xviiie siècle connaît même les épanchements de sentiments en commun des hommes et des femmes, sans que la honte d’une faiblesse soit en cause, lors des représentations théâtrales ou des épisodes de communion révolutionnaire. Parallèlement, la pudeur des sentiments se manifeste par des signes involontaires du corps chez les femmes : rougissement, tremblement de la voix. Il s’agit là de préserver l’intimité du regard d’autrui. Cette pudeur féminine, liée au trouble que la femme peut provoquer, apparaît « naturelle « chez les jeunes filles du xviiie siècle.

3.4 De la pudeur à l’impudeur contemporaine

Cependant, la fin du xviiie et le début du xixe siècle font place à une impudeur croissante dans l’expression romantique des sentiments, surtout masculins. La pudeur féminine, liée à la honte de la sexualité, fait partie des bonnes mœurs chrétiennes dans la seconde partie du xixe siècle, et prend un caractère sacral et obligatoire. C’est à elles que sont alors réservées les manifestations corporelles de la sensibilité de l’âme : larmes, rougissement ; et aux hommes, la gauloiserie associée à la retenue des sentiments.

le xxe siècle libère la femme de la pâmoison et restructure largement le champ de la pudeur. Du maillot de bain long au monokini, les corps se découvrent progressivement à la plage, parallèlement au raccourcissement des jupes. En passant par le flirt à la mode à la fin du xixe siècle, la sexualité féminine perd peu à peu son aura peccable et interdite pour devenir une des revendications majeures du mouvement féministe. Cependant, la publicité fait du corps des femmes un objet de convoitise marchande, en contraste avec la liberté du corps pour laquelle les femmes luttent depuis les débuts du féminisme. Étrangement, la virilité des hommes fait plus longtemps l’objet de la pudeur, au cinéma comme à la plage. L’exposition des corps au regard d’un tiers a cependant des limites conventionnelles dans la vie privée : une pudeur tacite du corps survit dans les relations intimes et familiales.

Aussi, la libération des corps a pour contrepartie une pudeur accrue des sentiments, en particulier chez les hommes qui ne pleurent plus en public et qui semblent de nos jours plus pudiques de leurs sentiments et de leurs corps que les femmes. Quant aux choses de la sexualité, la pudeur couvre le dire et non le faire. Ainsi l’impudeur du rapport Starr sur les ébats secrets de Bill Clinton a scandalisé le monde moins par les faits eux-mêmes que par l’existence même de ce rapport, qui a rendu public ce que l’on considère généralement comme relevant de l’ordre du privé.

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