Devoir de Philosophie

Regrets sur ma vieille robe de chambre (1772). Diderot

Publié le 23/05/2011

Extrait du document

diderot

 

 

Ce célèbre morceau, qui nous révèle le Diderot intime, débraillé et bon enfant, travailleur et maniaque, est aussi très intéressant à étudier, pour des élèves, comme développement ingénieux et brillant d'un aimable paradoxe. Il fut publié sous forme de petite brochure, en 1772, probablement à l'insu de Diderot, avec la note suivante (de Grimm ou de Meister): "M. Diderot ayant eu occasion de rendre un service signalé à Mme Geoffrin, celle-ci imagina, par reconnaissance, d'aller déménager, un jour, tous les haillons du réduit philosophique et d'y faire mettre d'autres meubles, qui, quoique beaux, étaient d'une extrême simplicité, et ne sont devenus si recherchés que sous la plume poétique du pénitent en robe de chambre écarlate." On comparera aux Regrets sur la vieille robe de chambre, l'épître de Sedaine : A mon habit, et la chanson de Béranger : A mon vieil habit. Pourquoi ne l'avoir pas gardée? Elle était faite à moi, j'étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner : j'étais pittoresque et beau. L'autre, raide, empesée, me mannequine. Il n'y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât, car l'indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, toujours un de ses pans s'offrait à l'essuyer. L'encre épaisse refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu'elle m'avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l'écrivain, l'homme qui travaille. A présent, j'ai l'air d'un riche fainéant ; on ne sait qui je suis. Sous son abri je ne redoutais ni la maladresse d'un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l'eau. J'étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l'esclave de la nouvelle. A chaque instant je dis : « Maudit soit celui qui inventa de donner du prix à l'étoffe commune en la teignant en écarlate! Maudit soit le précieux vêtement que je révère! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calmande ! Mes amis, gardez vos vieux amis, craignez l'atteinte de la richesse; que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l'opulence a sa gêne. O Diogène ! si tu voyais ton disciple sous le fastueux manteau d'Aristippe, comme tu rirais! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé! J'ai quitté le tonneau où je régnais, pour servir sous un tyran. « Ce n'est pas tout. Écoutez les ravages du luxe, les suites d'un luxe conséquent. Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres; quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie, entre ces estampes, trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre, l'indigence la plus harmonieuse. Tout est désaccordé ; plus d'ensemble, plus d'unité, plus de beauté.... J'ai vu la bergame céder la muraille 'à la tenture de damas; la chaise de paille reléguée dans l'antichambre par le fauteuil de maroquin; Homère, Virgile, Horace, Cicéron, soulager le faible sapin courbé sous leur masse, et se renfermer dans une armoire marquetée, asile plus digne d'eux que de moi ; une grande glace s'emparer du manteau de ma cheminée; ces deux jolis plâtres que je tenais de Falconet (I), et qu'il avait réparés lui-même, déménagés par une Vénus accroupie; l'argile moderne brisée par le bronze antique. La table de bois disputait encore le terrain, à l'abri d'une foule de brochures et de papiers entassés pêle-mêle, et qui semblaient devoir la dérober longtemps à l'injure qui la menaçait. Un jour, elle subit son sort, et, en dépit de ma paresse, les brochures et les papiers allèrent se ranger dans les serres d'un bureau précieux.... Il y avait un angle vacant à côté de ma fenêtre. Cet angle demandait un secrétaire, qu'il obtint, et ce fut ainsi que le réduit édifiant du philosophe se transforma dans le cabinet scandaleux du publicain. J'insulte ainsi à la misère nationale. De ma médiocrité première, il ne m'est resté qu'un tapis de lisières. Ce tapis mesquin ne cadre guère avec mon luxe, je le sens. Mais j'ai juré et je jure que je réserverai ce tapis, comme le paysan transféré de sa chaumière dans le palais de son souverain réserve ses sabots. Lorsque, le matin, couvert de la somptueuse écarlate, j'entre dans mon cabinet, si je baisse la vue, j'aperçois mon ancien tapis de lisières : il me rappelle mon premier état, et l'orgueil s'arrête à l'entrée de mon coeur! Non, mes amis, non, je ne suis point corrompu. Ma porte s'ouvre toujours au besoin qui s'adresse à moi : il me trouve la même affabilité; je l'écoute, je le conseille, je le secours, je le plains. Mon âme ne s'est point endurcie. Mon luxe est de fraîche date, et le poison n'a pas encore agi. Mais, avec le temps, qui sait ce qui peut arriver? qu'attendre de celui qui a oublié sa femme et sa fille, qui s'est endetté, qui a cessé d'être époux et père, et qui, au lieu de déposer au fond d'un coffre fidèle, une somme utile.... Ah! saint prophète, levez vos mains au ciel, priez pour un ami en péril.  

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Ingénieux développement, dans lequel Diderot exprime, sur un ton de bonhomie, que relève parfois une verve doucement railleuse, ses regrets sur sa vieille robe de chambre. — N'y a-t-il pas, dans ce morceau, une comparaison incessante? Laquelle? Quelle personne avait renouvelé la robe de chambre et le mobilier de Diderot? Comprenez-vous que Diderot préfère sa vieille robe de chambre à la nouvelle, pourtant bien plus riche? — son vieux mobilier, aux meubles luxueux qui ornent maintenant son cabinet ? (Raisons de cette préférence.) Sur quel ton s'exprime l'auteur? Dites l'intérêt que vous trouvez à la lecture de ce morceau.

II. — L'analyse du morceau. — Quelles sont les différentes parties du développement? a) Ma vieille robe de chambre moulait tous les plis de mon corps : — la nouvelle... ; b) Elle était complaisante; c) J'eu étais le maître absolu, — et je suis devenu l'esclave...; d) Craignez l'atteinte de la richesse; — apostrophe aux amis, à Diogène, à Aristippe; e) Ma vieille robe de chambre formait avec mes meubles une harmonieuse unité; f) Ce qui me reste de ma médiocrité première; — crainte, prière); Quels services rendait à l'auteur sa complaisante robe de chambre? Comment comprenez-vous qu'il soit l'esclave de sa nouvelle robe de chambre? Montrez que tout, autrefois, dans son cabinet, formait une harmonieuse unité; Que lui rappelle son tapis de lisières?

III. — Le style ; — les expressions. - Faites ressortir la simplicité et le naturel du style (Elle était laite à moi, j'étais fait à elle...), le mouvement, la verve (Maudit soit celui qui inventa...! Maudit soit le précieux vêtement... Mes amis, gardez vos vieux amis...), — le piquant et l'imprévu de la forme (A présent, j'ai l'air d'un riche fainéant.... J'insulte ainsi à la misère nationale.... Priez pour us ami en péril); Commentez ces deux phrases : L'indigence est presque toujours officieuse, — Mes amis, gardez vos vieux amis; Quel est le sens des expressions : ce fastueux manteau, — le cynique déguenillé? Faites ressortir la double opposition marquée dans ces deux phrases : La pauvreté a ses franchises; l'opulence a sa gêne.

IV . — La grammaire. — Quels sont les mots de la même famille que pittoresque? (indiquer l'étymologie de ce mot); Quelle est la composition des mots maladresse, — désaccordé? Justifiez l'e final, dans le mot gardée (i" phrase); Fonction des pronoms contenus dans les deux premières phrases.

Rédaction. — Un paysan enrichi est venu habiter la ville. Il occupe un très bel appartement, mais combien il regrette sa maison des champs!... Faites-le parler.   

 

Liens utiles