Devoir de Philosophie

République, Ire

Publié le 11/02/2013

Extrait du document

1   PRÉSENTATION

République, Ire, régime politique de la France révolutionnaire, du 21 septembre 1792 au 10 novembre 1799.

2   NAISSANCE DE LA IRE RÉPUBLIQUE (AOÛT-SEPTEMBRE 1792)

La Ire République naît d’une révolution dans la Révolution. En 1792 l’exaspération de l’opinion jacobine contre la monarchie ne cesse de croître. Cette dernière en est d’autant plus fragilisée que la guerre contre le roi de Prusse, commencée en avril et mal entamée, fait craindre une défaite face à la première coalition (alliance militaire des monarchies européennes autour de l’Autriche). La tentative de retournement de l’armée par La Fayette (août 1792) aiguise encore la méfiance à l’encontre de Louis XVI et d’une éventuelle « cinquième colonne « préparant une restauration.

2.1   La chute de la monarchie

Le 10 août 1792, les sans-culottes prennent les Tuileries, mettant fin à la monarchie constitutionnelle instaurée en 1791. Affolée par l’émeute et ligotée par la pression de la Commune insurrectionnelle de Paris, l’Assemblée suspend le roi. Le lendemain, elle convoque une constituante élue au suffrage universel et chargée d’« assurer la souveraineté du peuple et le règne de la liberté et de l’égalité «.

Cet effondrement est l’aboutissement d’un processus de déconsidération de la monarchie accentué depuis la fuite à Varennes (juin 1791). Il tient aussi à l’aspiration profonde de nombreux dirigeants révolutionnaires fatigués d’avoir à composer avec l’héritage monarchique. Ils veulent rompre avec l’Ancien Régime, instaurer la République égalitaire par la révolution sociale. Leur aura ne cesse de croître grâce à la presse (le Patriote français de Brissot, le Père Duchesne de Hébert).

2.2   La logique de la répression préventive et punitive

Jusqu’au 20 septembre 1792, la Législative et un « Conseil provisoire « partiellement issu de l’insurrection assument la transition. Ils sont dominés par les Girondins (ou Brissotins). Leurs principaux mots d’ordre témoignent de leur modération : libéralisme économique, hostilité à la centralisation parisienne, esprit d’ouverture et de négociation.

En revanche, la Commune insurrectionnelle de Paris constituée le 10 août comprend des Cordeliers et l’aile gauche jacobine (Danton, Marat, Hébert, Robespierre). Ses 288 siégeants souhaitent une rupture radicale avec le régime qui vient de s’écrouler.

Pris entre les deux factions, le Conseil provisoire gère l’intérim pendant les travaux constitutionnels préparatoires. Sous l’influence de la Commune, il crée un tribunal extraordinaire pour juger les défenseurs des Tuileries (17 août) ; arrête ou déporte les « suspects contre-révolutionnaires « (aristocrates et ecclésiastiques) ; séquestre les biens des « émigrés « (26 août) ; censure la presse contre-révolutionnaire.

Ce climat procédurier et coercitif est alourdi par l’agitation vendéenne et la crise militaire. Début septembre en effet, après la prise de Verdun, la route de Paris est libre pour les coalisés. S’ils arrivent à Paris, ils risquent de décapiter la Révolution. Ces circonstances encouragent la politique contre-révolutionnaire ; d’autant qu’à Paris on craint aussi les complots de l’intérieur qui, selon la rumeur, pourraient être ourdis depuis les prisons où s’entassent les prisonniers politiques.

Le jacobin Danton, homme fort du moment, entend galvaniser l’esprit révolutionnaire pour triompher de la réaction. Au nom de « l’audace « et pour sauver « la Patrie «, il appelle à la lutte contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur.

Ce contexte amène aux funestes « massacres de septembre « à Paris puis en Province. D’épouvantables tueries préventives frappent plus de 1 300 suspects. Les sans-culottes forcent les portes des prisons, instaurent des tribunaux prononçant la liberté ou la mort, sentences immédiatement exécutoires. La peur de ne pas venir à bout de la contre-révolution explique la pratique ritualisée de cette violence expiatoire. Ainsi, la Ire République naît d’une première terreur punitive qui inaugure sa légende noire.

2.3   L’avènement républicain

Les massacres mettent en lumière la puissance politique des « septembriseurs « et le discrédit de la Législative. La Commune s’érige alors en assemblée dictatoriale et laisse prévoir une victoire jacobine (ou montagnarde) aux élections. Pourtant l’élection de la Convention nationale (26 août-18 septembre) change la donne en instaurant une majorité modérée.

Le 20 septembre, la Législative disparaît. La Convention réunit ses 749 élus. Elle élit son bureau et prononce à l’unanimité l’abolition de la royauté. Le lendemain, jour de la première grande victoire des armées révolutionnaires à Valmy, elle proclame la République.

3   LA CRISE IMMÉDIATE DE L’AN I (SEPTEMBRE 1792-MAI 1793)

Quoiqu’il n’existe à proprement parler aucun parti ni programme, la Convention abrite trois courants : la Gironde et la Montagne entre lesquels un centre mouvant, Plaine ou Marais, tient un rôle arbitral. L’Assemblée est donc à géométrie variable. Tributaires de coalitions contextuelles, les majorités, sursitaires, ne préjugent pas d’une domination absolue ou durable de l’un ou l’autre des courants.

3.1   Les forces en présence

La Gironde au pouvoir comprend nombre d’anciens siégeants à la Législative et compte 150 à 250 affidés auxquels s’associe souvent la Plaine. Les Girondins se distinguent par leur modération. Leur conception pacificatrice de la Révolution (à l’intérieur et à l’extérieur) s’appuie sur les notables de province.

Face à eux, les Montagnards, identifiés au club des Jacobins, comptent 250 à 300 élus. Ils regrettent qu’à l’exception notable du jeune Saint-Just, l’Assemblée ne soit pas constituée de nouveaux venus et compte surtout des hommes de loi, des publicistes, des professions libérales, intellectuelles (seuls deux ouvriers siègent). Soutenus par les sans-culottes parisiens et tous les députés parisiens, Marat, Danton et Robespierre, etc., défendent une politique offensive pour préserver la Révolution (guerre extérieure et lutte contre les ennemis de l’intérieur).

3.2   La mort de Louis XVI scelle l’ère républicaine

Le premier acte de la République est le procès du roi. Il divise un peu plus Montagnards et Girondins. Après la découverte de « l’armoire de fer « qui prouve d’accablante façon la collusion de Louis XVI avec les forces contre-révolutionnaires (20 novembre), les Jacobins réclament l’exécution du souverain au nom de l’intérêt suprême de la Révolution : « Il n’y a point ici de procès à faire […]. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. […] Louis a été détrôné par ses crimes […], la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé, il est déjà condamné […]. J’abhorre la peine de mort et je n’ai pour Louis ni amour ni haine […] ; mais Louis doit mourir parce qu’il faut que la patrie vive… « (Robespierre, Discours du 3 décembre 1792).

Malgré les efforts des Girondins pour en repousser l’issue, le procès, instruit par l’Assemblée du 11 décembre 1792 au 19 janvier 1793, aboutit à un jugement irrévocable : la mort. Le 20 janvier, l’assassinat du député régicide Le Peletier de Saint-Fargeau par un fidèle de Louis XVI, Pâris, renforce la Convention dans sa décision et offre à la République son premier « martyr de la liberté «. Le 21 janvier 1793, Louis XVI est mené à l’échafaud, place de la Révolution (place de la Concorde). La guillotine rompt définitivement le lien avec l’Ancien Régime et l’Europe monarchique.

3.3   Une fragile domination girondine

Le 20 septembre 1792, l’élection du bureau de la Convention a donc révélé que la majorité girondine, subordonnée au soutien des « crapauds du Marais «, est intrinsèquement en sursis. Transcendant les clivages de l’Assemblée, la majorité de janvier le confirme. Mais la domination des Girondins résiste jusqu’en mai 1793. Dans ce laps de temps, ils ouvrent plusieurs chantiers politiques.

Pour contenir les mécontentements sociaux liés à la disette, ils rétablissent la liberté totale du commerce des grains, jusque-là taxés et réquisitionnés pour nourrir l’armée (8 décembre 1792). Mais ils se heurtent aux enragés qui réclament le retour à la taxation, pour alimenter les troupes et sauver la Patrie (février 1793).

Pour lutter contre les coalisés tout en rassurant le peuple, ils lancent une active propagande et consolident l’idéal républicain et patriotique grâce aux victoires de Valmy et Jemmapes. Le 21 février 1793, le décret sur l’« amalgame « permet de mêler compagnies de volontaires et régiments issus de l’ancienne armée royale. Le 24 février, la levée en masse est décrétée (300 000 hommes). Toutefois, le printemps marque un retournement militaire défavorable. Après sa défaite à Neerwinden (18 mars), le général Dumouriez trahit et passe à l’ennemi. La menace d’une invasion se précise. Depuis mars, elle se complique des émeutes vendéennes et de la création d’une « armée catholique et royale « à la suite de l’exécution de Louis XVI et de la répression des prêtres réfractaires.

Pour apaiser cette France enfiévrée, les Girondins nomment des représentants en mission, Conventionnels dotés de larges pouvoirs. Ils inspectent les armées et les départements pour y gérer les problèmes politiques, économiques, militaires. Pour sauvegarder les acquis révolutionnaires tout en surveillant les sans-culottes, les Girondins étendent les attributions du Comité de surveillance de 1789 (rebaptisé Comité de sûreté générale en mars 1793). En revanche, pour maintenir la paix intérieure et traquer les suspects, c’est sous la pression des sans-culottes et des Montagnards que sont fondés, en mars 1793, un tribunal criminel (qui prend le nom de Tribunal révolutionnaire en octobre ; sa tâche consiste à juger les crimes contre-révolutionnaires, tel le bannissement perpétuel des « émigrés «) et des « comités de surveillance « de quartiers et de communes.

3.4   Le Comité de salut public et la chute de la Gironde

Le 6 avril 1793, la fondation du Comité de salut public, destinée à accélérer l’action du gouvernement révolutionnaire, illustre cette perte d’influence des Girondins et l’ascendant des Jacobins qui y sont majoritaires. Danton, son chef de file, jouit alors d’une influence croissante sur la Convention, liée aussi bien à son intransigeance régicide qu’à son bellicisme et, pour finir, au contrecoup de l’affaire Marat.

Dirigeant montagnard marginal et homme de presse (l’Ami du peuple, 1789-1792), Marat jouit d’une large audience chez les sans-culottes parisiens. Les Girondins voyant en lui un aspirant à la dictature, ils le font mettre en accusation par la Convention (13 avril). Mais le procès se clôt sur un succès du prévenu qui revient en triomphateur à la Convention (24 avril). Le verdict accable un pouvoir girondin déjà affaibli par la crise protéiforme de février-avril et laminé par la puissance critique de la Commune de Paris, puis par les émeutes anti-girondines (comme à Lyon le 29 mai).

Début juin, les Girondins chutent. Leur mise en accusation a d’abord été réclamée par quelques sections parisiennes (unité de base représentative des sans-culottes), puis par la totalité des 48 sections le 31 mai. Le 2 juin 1793, la Garde nationale bloque la Convention. Sous la pression des Montagnards, Marat en tête, les députés votent la proscription de vingt-sept députés et deux ministres girondins. La majeure partie des Girondins s’enfuit. Un groupe se réfugie à Caen et entre en rébellion.

4   LE TEMPS DE LA « TERREUR « (JUIN 1793-JUILLET 1794)

Jusqu’en juillet 1794, au nom de la Patrie et de la Révolution en danger, la Ire République montagnarde se durcit. Guidée par le Comité de salut public, elle impose des mesures d’exception — la « Terreur « — pour lutter contre l’invasion étrangère, pour contenir les soulèvements en France (fédéralistes et Vendéens), pour écraser les ennemis politiques de l’intérieur.

4.1   La conjoncture commande

La Convention montagnarde s’ouvre pourtant sous des auspices pacifiques. Le 6 juin 1793, Hérault de Séchelles, président du Comité constitutionnel, présente un projet de Constitution rédigé par Couthon et Saint-Just, qui est adopté le 24 juin, puis ratifié par référendum. Très démocratique, ce texte veut « le bonheur commun « par les réformes sociales. Mais dans une République assiégée, il est inapplicable.

En effet, lorsque les Jacobins accèdent au pouvoir, au début de l’été 1793, la France vit une pénurie généralisée et subit la pression militaire et insurrectionnelle des coalisés, des Fédérés, des Vendéens. Sur le plan extérieur, le territoire est pris en tenaille : les Anglo-Hollandais tiennent les Flandres ; les Autrichiens sont à Valenciennes ; les Prussiens campent aux confins de la Lorraine ; les Piémontais menacent le Dauphiné et les Espagnols entrent en Roussillon. Sur le plan intérieur, Les Jacobins font face à une double menace. D’une part celle des dissidents Girondins de l’« Assemblée générale de la résistance «, installés en Normandie et implantés en Vendée, Lyonnais, Midi, qui cherchent à phagocyter les révoltes fédéralistes. D’autre part, celle de la Chouannerie vendéenne et de son armée conquérante, qui sème le désordre dans l’Ouest (elle domine les actuels Pays-de-la-Loire). Les dangers intérieurs et extérieurs mettent la France et la République en péril.

4.2   La Terreur

Pour lutter contre cette double menace, le pouvoir jacobin prend des mesures drastiques. Le Comité de salut public de l’automne 1793 comprend Robespierre (il en est devenu l’âme et le maître après son intégration le 27 juillet), ses deux plus fidèles zélateurs, Couthon et Saint-Just ; puis Carnot, Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, Prieur, Lindet, Barère de Vieuzac. Pour gérer l’épineuse situation à laquelle ils s’affrontent, ils usent des structures léguées par les Girondins : pouvoir suprême du Comité de salut public, appui inconditionnel du Comité de sûreté générale (entièrement montagnard), soutien des comités de surveillance sans-culottes. En outre, leurs prérogatives exécutives sont élargies : une extrême centralisation leur donne la mainmise sur toutes les affaires intérieures et extérieures ; toutes les questions posées au gouvernement provisoire sont soumises par principe à l’impératif de la défense nationale dont ils ont la charge. Enfin, le 10 octobre 1793, le Comité suspend sine die la Constitution du 10 août et décrète que le « gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu’à la paix «. Au nom de l’État de siège et de la vacance constitutionnelle, les Jacobins s’arrogent donc un pouvoir dictatorial qui s’exprime déjà dans la Terreur.

Après les assassinats de Marat (13 juillet, Paris), de Chalier (17 juillet, Lyon) et l’affirmation d’un fort mécontentement populaire parisien (troubles du savon en juin, émeutes en août), la Terreur, implacable appareil terroriste d’État, a été mise en place (5 septembre). Robespierre la justifie comme une « conséquence générale « et nécessaire de la défense de la démocratie « appliquée aux plus pressants besoins de la patrie «. L’application draconienne de la « loi des suspects « du 17 septembre, associée à la dialectique de la conspiration permanente inspirée par Robespierre, commande une répression « prompte, sévère, inflexible «. La largeur de vue avec laquelle sont définis les suspects explique l’amplitude de la punition collective en cours. Sont suspectés : les « traîtres «, les « conspirateurs «, les « fédéralistes « et les « accapareurs «, les « intrigants «, les « tyrans «, les « fanatiques «, les « égoïstes « et les « charlatans «. Selon les estimations les plus larges, 80 000 citoyens de l’an II sont arrêtés. Entre septembre 1793 et l’été 1794, les exécutions s’enchaînent : Marie-Antoinette (octobre 1793) ; les 22 députés girondins proscrits en mai (octobre), les hébertistes ou enragés (mars 1794), les « indulgents « de Danton et les opposants à la Terreur tel Desmoulins (février-avril 1794), 27 fermiers généraux (dont Lavoisier, mai 1794), des notables provinciaux soupçonnés de traîtrise, ayant dénigré la Révolution, etc.

Le châtiment collectif est aggravé par le décret du 10 juin 1794 : sont désormais suspects les pourvoyeurs de « fausses nouvelles « et ceux qui « inspirent le découragement «. Durant la période de la « Grande Terreur «, il n’y a plus qu’un verdict, expéditif : la mort. Les magistrats du Tribunal révolutionnaire, surtout Fouquier-Tinville, organisent cette dérive de la justice révolutionnaire qui entraîne plus de la moitié des exécutions à Paris (un peu moins de 2 800 au total).

4.3   Le redressement militaire

Outre cette lutte contre les ennemis de l’intérieur, le Comité mène la guerre. En août 1793, le vote d’une loi réquisitoire sur le blé et menaçant de mort les « accapareurs de denrées « permet de mieux ravitailler les soldats. Puis, la réorganisation de l’armée (stratégie, hiérarchie, équipement, formation) apporte d’importantes victoires à Hondoschoote (6-8 septembre 1793) et au Geisberg (26 décembre). Les Vendéens sont battus à Granville, au Mans et à Savenay (novembre-décembre). Les offensives de Kellermann, Bonaparte, Dugommier et Jourdan permettent de reprendre Lyon (9 octobre), Toulon (19 décembre), le Roussillon et la Catalogne (mai 1794), enfin la Belgique à l’issue de la bataille de Fleurus (26 juin).

Ces épisodes témoignent de l’enthousiasme et de l’efficacité des soldats de l’an II. Encadrée par de jeunes généraux, souvent sortis du rang, l’armée de la levée en masse est galvanisée par l’idéal de la défense de la Patrie et de la Révolution.

4.4   L’esquisse d’une politique sociale et économique

Les Montagnards luttent aussi contre la disette. Sur le plan économique, ils sont très interventionnistes. En juin, les biens des émigrés sont saisis et mis en vente. En juillet, l’accaparement est puni de mort et les droits féodaux sont abolis sans indemnité. En septembre, les biens des sujets ennemis sont séquestrés, un prix maximum du grain est décrété, les prix et les salaires sont soumis à la loi sur le « maximum général «. En février 1794, la mendicité est réprimée et des secours publics sont institués (dix millions de dotation aux indigents). Ajoutés à l’interdiction d’exportations de produits et de capitaux et à l’emprunt forcé sur les riches, ces décisions doivent permettre l’assainissement des finances nationales et la fin de la pénurie.

Esquissée à travers ces mesures, la politique sociale des Montagnards est symbolisée par la publication du Grand livre de la bienfaisance nationale et les décrets de Floréal an II (mai 1794) sur la redistribution des terres aux nécessiteux, sur la pension des anciens, sur les allocations aux familles de plus de quatre enfants, sur le morcellement de la propriété.

4.5   Une République cocardière et vertueuse

Le Comité de salut public se donne par ailleurs une tâche urgente : familiariser le peuple avec une notion renouvelée de citoyenneté et de responsabilité vis-à-vis de la République révolutionnaire, de la Nation. Le contexte de guerre éclaire l’à-propos de ce projet cherchant à imposer au peuple l’idée du corps national agressé et uni dans la République patriotique. In fine, il s’agit de provoquer une acculturation politique permettant l’enracinement de la République jacobine.

Outre la levée en masse qui fait du peuple de la République « indivisible « le bras armé de la Nation, plusieurs décrets soulignent cette politique : port obligatoire de la cocarde par les femmes en septembre 1793 ; adoption du calendrier républicain selon la terminologie choisie par le poète Fabre d’Églantine ; obligation du tutoiement en novembre.

Si la République doit être patriotique, Robespierre la veut également vertueuse. Aussi, la question religieuse est-elle centrale. À l’automne 1793, la déchristianisation est systématisée : iconoclasmes, chasses aux réfractaires, « déprêtrisations «. Néanmoins Robespierre s’élève contre ces excès qui nourrissent l’hostilité à la Révolution, surtout dans les campagnes. Il lance une politique opposée tant aux « déchristianisateurs « qu’aux athées. Puis il fonde le « culte de l’Être suprême « qui, associé au culte des martyrs de la Révolution (Le Peletier, Marat et deux enfants morts au combat, Bara et Viala), nimbe le pouvoir montagnard d’un rayonnement spirituel. Au fait de sa puissance, Robespierre obtient de la Convention nationale l’officialisation de cette nouvelle religion en mai 1794. De ce culte accessible à tous, offrant un lieu cardinal de communion, Robespierre espère qu’il libérera le pays de ses fractures. Mais en dépit de la fastueuse Fête de l’Être suprême (8 juin 1794), ce culte — expression du centralisme dictatorial marquant la renaissance d’une religion d’État (rompant avec la liberté de conscience) — lui aliène les catholiques et les athées. En définitive, cet ensemble de mesures influence superficiellement les mentalités et les Jacobins n’en tirent pas le renfort escompté.

4.6   L’exécution de la République jacobine

L’autorité jacobine n’est pas moins périssable que celle des Girondins en 1792-1793. Fin juin 1794, la victoire de Fleurus a un fort retentissement. Quoiqu’il ne s’agisse pas d’une victoire définitive, elle permet aux Girondins et au Marais de dénoncer le terrorisme que le Comité de salut public justifie toujours par l’état de guerre.

À terme, l’arme de Robespierre se retourne contre lui et les siens. Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), il est arrêté, avec son frère, Couthon, Saint-Just, Le Bas et les administrateurs de la Commune de Paris. Ils sont exécutés le lendemain. Au 30 juillet, 105 Jacobins ont été guillotinés. Ce bain de sang vengeur et purificateur ouvre la voie à la Convention thermidorienne.

5   LA CONVENTION THERMIDORIENNE (JUILLET 1794-OCTOBRE 1795)

Issus de la Gironde et du Marais, les Thermidoriens tentent de protéger la Révolution des excès jacobins et de la réaction royaliste. La Constitution de l’an III fonde une démocratie bourgeoise. Elle s’enorgueillit de mener un travail pérenne sur le plan social et de mettre un terme à la guerre totale.

5.1   L’héritage militaire

Sur le plan militaire, la Convention thermidorienne hérite du travail de la République jacobine et lui adjoint une diplomatie pacificatrice. À partir de l’automne 1794, les armées progressent partout en Europe. En octobre, l’armée de Sambre-Meuse de Jourdan repousse les Autrichiens au-delà du Rhin, puis assiège Mayence. Le général Pichegru pénètre les Provinces-Unies en décembre et occupe Amsterdam (20 janvier 1795), avant que la flotte batave soit défaite au Helder le 23 janvier. Les premiers traités de paix suivent, avec la Prusse (5 avril), les Provinces-Unies (16 mai), l’Espagne (22 juillet).

La coalition étant disloquée, la France n’a plus face à elle que l’Angleterre — sur mer — et l’Autriche. Ainsi l’action de Carnot, entamée sous Robespierre, se poursuit avec succès.

Restent les problèmes intérieurs, particulièrement la Chouannerie. Mais, en dépit de sa réorganisation par Georges Cadoudal (juin 1795), le coup d’arrêt donné à l’expédition de Quiberon, soutenue par les Anglais, permet au général Hoche, victorieux, d’écrire le 21 juillet que les « anglo-émigrés-chouans sont bloqués comme des rats «. Leurs défaites successives, à Carnac, Auray et Vannes les épuisent. Le 5 octobre 1795 toutefois, au prétexte de mesures anti-royalistes et du décret du 20 août (réservation des « deux tiers « des sièges aux conventionnels sortants pour la prochaine chambre), ils réussissent à lever 20 000 hommes à Paris et menacent la Convention. Assisté de Bonaparte, Barras mitraille les émeutiers. Cette débâcle marque l’ouverture d’une vague de décrets contre les émigrés, les royalistes, et l’ascension de Bonaparte, nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur.

5.2   Une rupture politique et symbolique

Si la Convention thermidorienne bénéficie des acquis militaires jacobins, elle instaure en revanche une rupture politique radicale avec la période « robespierriste «, dont un seul personnage sort indemne : Lazare Carnot, « l’organisateur de la victoire «.

Cette rupture est d’abord une vengeance politique, inaugurée par l’arrestation en août du champion de la guillotine, Fouquier-Tinville. Pendant populaire à cette arrestation, les émeutes anti-jacobines du Midi (assassinats d’administrateurs et de Jacobins liés à la Terreur) précèdent la fermeture et le sac du club des Jacobins par les « muscadins « (12 novembre 1794) — nonobstant, les Jacobins réussissent à se réorganiser dans la clandestinité. Jusqu’en juin, de nombreux députés montagnards sont jugés, dont d’anciens membres du Comité de salut public pourtant impliqués dans le 9 Thermidor. Barrère, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, sont arrêtés. Les deux derniers sont déportés en Guyane.

Sur le plan symbolique, deux éléments prédominent : la dépanthéonisation de Marat et la pacification religieuse. Déposées au Panthéon le 21 septembre 1794 par ceux qui venaient de liquider les « robespierristes «, les cendres de Marat en sont retirées lors de la mascarade processionnelle des incroyables et jetées à l’égout (8 février 1795). Cette dépanthéonisation montre que les Thermidoriens regimbent à la survivance d’un martyrat proprement jacobin.

En matière religieuse après avoir supprimé le salariat des cultes et accepté le retour des prêtres réfractaires autorisés, la Convention thermidorienne prononce la liberté des cultes, la neutralité de l’État et la séparation totale de l’Église et de l’État (février 1795). La Révolution est en partie libérée de l’« encombrante « question religieuse.

5.3   La Révolution et sa base : une conception renouvelée

La rupture voulue par les Thermidoriens passe également par une réforme de la représentation de la légitimité révolutionnaire. Ils ne veulent plus être assujettis à la volonté d’un peuple prenant trop facilement les armes, comme depuis 1792, pour défendre « sa « Révolution. Les soulèvements parisiens de germinal et prairial an III (avril-mai 1795) leur offrent l’occasion de mettre en pratique cette réforme. Là où le pouvoir cherchait autrefois à transiger, pour tirer sa légitimité du peuple, les Thermidoriens optent pour l’affrontement. Les insurgés du 12 germinal (1er avril) réclament du « pain «, la « Constitution de 1793 « et la « liberté des patriotes «. Ils se heurtent à une impitoyable répression, qui fait des émules dans le Midi et le Lyonnais sous le nom de Terreur blanche : attaques contre les insurgés et les députés montagnards.

La conception du rapport entre pouvoir central et base révolutionnaire est foncièrement altérée par cette évolution, qui renvoie au profil des Thermidoriens : conservateurs de l’ordre révolutionnaire, nantis de la puissance, souvent de la richesse, ils se méfient de tous les facteurs de déstabilisation et sont prêts à réprimer toute agitation, qu’elle soit démocratique ou royaliste. Ils préfèrent tirer leur légitimité de l’armée, également populaire, mais pour l’heure aux ordres et victorieuse — et qui plus est à même de réprimer les émeutes.

Cette acception de la République révolutionnaire se traduit aussi par une rupture institutionnelle. Dès le 24 août 1794, l’agencement du pouvoir dictatorial montagnard a été détruit. Le pouvoir est désormais partagé entre quinze comités assujettis à la Convention (le plus important est le Comité législatif, le Comité de salut public n’est plus chargé que de la Guerre et la Diplomatie). La réhabilitation des Girondins, exclus de la Convention en juin 1793, accompagne cette prééminence retrouvée du législatif sur l’exécutif. Pour finir, l’abolition du « maximum « (24 décembre) souligne la volonté d’en finir avec l’économie de guerre et de baptiser une vraie démocratie économique.

5.4   Une période clef pour l’éducation et la vie intellectuelle

L’œuvre des Thermidoriens comprend également une action volontaire et pérenne dans le domaine social et scolaire. Sur le plan social, ils héritent encore du travail mené sous Robespierre. Certes, la pauvreté citadine ne disparaît pas, mais la redistribution des biens et le système des aides permet à de nombreux citoyens, surtout en milieu rural, de recouvrer une aisance depuis longtemps oubliée.

Même si le projet de Code civil, mis en chantier sous la Terreur et à nouveau étudié en 1794-1795, ne voit finalement le jour que sous le Consulat, la réflexion sur la citoyenneté et le droit civil progresse aussi : le divorce, acquis en 1792, devient d’une procédure plus aisée ; la suppression de l’esclavage dans les colonies, votée à l’instigation de l’abbé Grégoire en février 1794, est mise en œuvre.

Mais la marque thermidorienne dans l’œuvre de la Ire République est surtout sensible sur le plan scolaire et intellectuel. Quoiqu’elle revienne sur l’obligation de scolarité instaurée par les Montagnards, la Convention prend une série de mesures témoignant de son désir d’offrir à la République les moyens de briller et d’instruire les citoyens. Sous l’influence majeure de Lakanal, le décret du 3 brumaire an III (octobre 1795) résume l’œuvre de la convention qui, quoique appliquée d’inégale façon, n’en marque pas moins son temps. Celle-ci comprend : la liberté de l’enseignement primaire et l’obligation d’une école par canton de 1 000 habitants ; la création des « écoles centrales « (futurs lycées) ; l’organisation embryonnaire de l’enseignement supérieur autour de grandes écoles et musées fondés en 1794-1795 — Muséum d’histoire naturelle, École polytechnique dite « École centrale des travaux publics «, Conservatoire des arts et métiers, Beaux-Arts, Conservatoire national de musique, École des langues orientales.

À ce bilan scolaire, il convient d’ajouter l’impulsion majeure donnée à la vie intellectuelle et muséale avec la création du musée du Louvre, de la Bibliothèque et des Archives nationales (1795).

5.5   Un régime transitoire

Pour le reste, la Convention thermidorienne est un régime transitoire qui apprête son propre avenir. À la suite des réformes institutionnelles d’août 1794, une « Commission des Onze « est constituée le 30 mars 1795. Elle élabore une nouvelle Constitution, adoptée le 22 août par la Convention, ratifiée par référendum, puis proclamée le 23 septembre 1795, premier jour de l’an IV. Elle remplace la Constitution jamais appliquée de l’été 1793.

C’est donc à un changement de régime que la Ire République se prépare à l’automne 1795, mais avec les mêmes hommes au pouvoir, puisque le décret sur les « deux tiers « garantit dès l’été 1795 le maintien d’une majorité thermidorienne à l’Assemblée.

6   LE DIRECTOIRE (OCTOBRE 1795-NOVEMBRE 1799)

Encadrée par la Terreur et la réaction thermidorienne d’une part et l’épopée napoléonienne de l’autre, le Directoire a longtemps été traité avec mépris. Un mépris lié à son instabilité politique et accentué par sa chute, provoquée par le coup d’État du 18 brumaire an VIII, qui met un terme à l’histoire de la Ire République. Mais avant tout, le Directoire — régime républicain bourgeois et modéré, dirigé par une majorité issue des Girondins, de la Plaine et des rangs des royalistes constitutionnels — rompt avec l’histoire d’une République ayant le plus souvent tirée sa légitimité du peuple en armes.

6.1   La Constitution de l’an III

La nature de la Constitution de l’an III souligne ce tournant capital. Dès le 23 juin 1795, l’esprit qui y préside est préfiguré par les propos de Boissy d’Anglas à la tribune de la Convention. Pour lui, la République doit être dirigée par « les meilleurs «. Or, ceux-ci se recrutent parmi les possédants, car la propriété, juge-t-il, donne l’aisance et une éducation permettant de défendre les lois avec « sagacité et justesse «. Et il conclut ainsi sa réflexion : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social «.

Cette affirmation de la prééminence des nantis dans la hiérarchie du pouvoir et l’a priori corollaire de leurs vertueuses prédispositions à gouverner sont transposés dans quatre éléments constitutionnels capitaux. En premier lieu, il s’agit du ton très évangélique du préambule constitutionnel (Déclaration des Droits et Devoirs du Citoyen). Il illustre le regain catholique sous le Directoire et des factions conservatrices. Il s’agit en deuxième lieu de la réforme du mode de scrutin : la substitution du suffrage censitaire au suffrage universel ramène le collège électoral à environ 20 000 personnes, ce qui met fin à la démocratie directe. De plus, l’accentuation de la centralisation limite les pouvoirs locaux, de la base révolutionnaire, renforçant d’autant le pouvoir des élites dirigeantes. Enfin, la fameuse loi sur les « deux tiers « fait que les deux assemblées — Conseil des Anciens, Conseil des Cinq-Cents — sont dominées par des Thermidoriens réélus.

En somme, la hiérarchie est cadenassée. Si concurrence des pouvoirs il y a, elle a cours entre les Conseils et les cinq directeurs désignés par les Anciens pour siéger au Directoire exécutif, et non plus entre l’État et le peuple. Dans ce système, les masses, contrôlées et non sollicitées lors du vote, ne jouissent plus que d’une voie pour se faire entendre : l’illégalité, le coup de force. Dès lors, la position arbitrale de l’armée entre l’exécutif et le législatif, entre l’État et le peuple, déjà profilée sous les Thermidoriens, se trouve implicitement renforcée.

6.2   Ni populisme, ni monarchie

Mais le Directoire ne se préserve pas seulement du pouvoir du peuple et du retour éventuel de factions néo-jacobines. Il élabore un système dans lequel l’État ne peut a priori céder ni à la pression royaliste ni à une éventuelle tentation populiste.

S’agissant du danger royaliste, les militaires ont par avance sauvé le Directoire en réprimant l’insurrection parisienne d’octobre 1795, en pleine période de transition avec la Convention thermidorienne. En revanche, le verdict des législatives, le 21 octobre, est difficile à contrecarrer. Plus de 170 royalistes sont élus, beaucoup plus que les anciens Montagnards, réduits à une soixantaine. Outre leur influence majeure sur la conjoncture — efforts militaires déployés pour pacifier l’ouest du pays, Terreur Blanche dans le Midi —, ils sont en mesure de peser sur le pouvoir politique ; ce que le Directoire refuse.

Le 31 octobre 1795, cinq jours après leur première séance à Paris, les Anciens désignent cinq directeurs. Or ce sont tous d’anciens régicides, tels Lazare Carnot et Paul Barras. Ce choix délibéré amène encore à évoquer la très stratégique loi des « deux tiers «. En effet, le maintien d’une majorité thermidorienne ajouté à un État dirigé par des républicains régicides empêche toute restauration monarchique, toute alliance avec les royalistes, qu’elle que soit leur puissance.

S’agissant de l’opposition démocratique et de l’influence qu’elle pourrait avoir en favorisant une dérive populiste du pouvoir lui-même, le Directoire prévoit des pare-feu. Le scrutin censitaire ajouté au bannissement des droits à la subsistance et à l’assistance inscrits dans la Constitution empêchent a priori les directeurs, désignés par une Assemblée modérée, de céder à la tentation d’une telle dérive. Ni monarchie ni populisme, telle aurait donc pu être la devise d’un Directoire, bourgeois, modéré, mais réellement républicain. Nonobstant, ces garde-fous ne le protègent qu’en théorie ; et il montre très tôt son incapacité à endiguer les oppositions.

6.3   L’éradication du babouvisme, la peur de la révolution sociale

S’agissant de l’opposition démocratique, le Directoire s’affronte d’emblée au mouvement né autour du club du Panthéon. Fondé fin 1795 sous la houlette du théoricien Gracchus Babeuf et de ses émules, cette chapelle promeut un égalitarisme forcené, présenté dans le Manifeste des Égaux. Dans leur organe, le Tribun du Peuple, les babouvistes s’opposent violemment à la République bourgeoise. Bien qu’interdit et fermé le 7 février 1796, le club prépare un complot contre l’État. Informé, le Directoire sévit. Babeuf et les « insurrecteurs « sont arrêtés le 10 mai 1796. Babeuf est exécuté le 27 mai 1797, avec nombre d’autres babouvistes et néo-jacobins.

Cette affaire permet à Carnot de renforcer son prestige auprès de la bourgeoisie tout en inscrivant une nouvelle peur chez les élites dirigeantes : celle du complot, et plus encore celle de la révolution sociale. Cette évolution de l’argumentaire du Directoire illustre nettement la rupture avec la logique qui prévalait en août 1792, lors de la fondation de la Ire République sur la base d’une révolution sociale. Elle renvoie à la métamorphose de la légitimité du pouvoir révolutionnaire, entamée sous les Thermidoriens.

6.4   La crise financière et sociale

La résurgence du jacobinisme et de l’opposition de gauche hors des assemblées, tout comme cette phobie de la révolution sociale, ne sauraient au reste être comprises sans évoquer la profonde crise qui affecte le pays.

C’est d’abord une crise monétaire. Elle aboutit à la fin des assignats (19 février 1796), puis au retour au numéraire (7 février 1797). L’État doit vivre d’expédients, ce qui favorise une corruption fonctionnariale très critiquée. La crise accable plus encore le petit peuple. Il souffre de la dévaluation de la monnaie, de la hausse des prix, du chômage, de l’étiolement des aides publiques. Après le rude hiver 1795-1796, les excellentes récoltes de 1796 entraînent un effondrement des cours des céréales et la ruine de nombreux paysans. Cette situation entretient une constante agitation et colère exacerbée par l’étalage sans vergogne de la spéculation et de l’opulence de la bourgeoisie d’affaire.

6.5   Le coup d’État du 18 Fructidor et ses conséquences

Comme depuis 1792, la tension sociale met donc la Ire République en péril. Pour prévenir les désordres, le Directoire, influencé par Carnot, transige et accepte le soutien des royalistes pour combattre les babouvistes. Les monarchistes ne s’en portent que mieux. À l’issue des élections de l’an V (mars 1797), ils dominent les deux Conseils. Le Directoire comprend deux hommes prêts à pactiser avec eux : Carnot et Barthélemy. Mais, le 27 août, La Révellière, autre directeur, prononce un discours sans équivoque : « le Directoire ne pactisera pas avec les ennemis de la République «. Le 17 fructidor (3 septembre 1797), les royalistes demandent pourtant la mise en accusation de tous les directeurs. En réponse, les trois directeurs, républicains irréductibles — La Révellière, Barras et Reubell — limogent Carnot et Barthélemy avant de faire appel aux militaires. Les généraux Augereau, Bonaparte et Hoche, préparent le coup d’État anti-royaliste du 18 fructidor an V.

Le 4 septembre 1797, ils assiègent le Conseil des Cinq-Cents qui invalide 149 députés nouvellement élus. Puis, au prétexte d’un complot dans lequel est impliqué le général Pichegru (et le prince de Condé), le Directoire promulgue des mesures d’exceptions : déportation en Guyane d’une cinquantaine de députés royalistes, retour aux décrets contre les émigrés, contre les prêtres réfractaires, suspension des journaux monarchistes, épuration de la magistrature, etc.

Le recours à la force des généraux institue une connivence armée-Directoire mettant définitivement en lumière le rôle prophylactique et arbitral des militaires depuis l’émeute royaliste d’octobre 1795. Le 18 Fructidor sauve assurément la République ; mais en contrepartie, l’armée prend plus que jamais conscience de sa puissance. Une puissance fondée sur trois éléments : son rôle d’indispensable soutien au régime ; ses victoires ; sa légitimité puisqu’elle incarne désormais la « Grande Nation « protectrice du patrimoine républicain et révolutionnaire.

6.6   Le rôle capital des militaires (1797-1799)

Pour comprendre l’évolution politique du Directoire et la place grandissante qu’y occupent les militaires, il faut interroger sa politique extérieure. La guerre est un facteur prédominant de la conjoncture politique depuis 1792. Bien que la France se s’affronte plus à une Europe coalisée, le Directoire n’échappe pas à cette réalité guerrière. Or, l’armée de l’an IV n’est plus celle de l’an II. En premier lieu, son objectif n’est plus de sauver la France d’une agression européenne puisque les traités de paix ont limité les ennemis à l’Autriche et à l’Angleterre. L’urgence est autre ; répondant au credo girondin, l’armée cherche autant à assurer la paix qu’à exporter la révolution. En second lieu, les ressources du Directoire ne lui permettent pas de contrôler l’armée en campagne, obligée de se ravitailler sur ses butins et aux dépens des pays occupés. Dès lors, les généraux jouissent d’une grande liberté de manœuvre qui, conjuguée à leurs victoires, prédispose leur succession à un pouvoir civil chancelant.

Après l’échec, début 1796, d’une offensive contre l’Autriche, Bonaparte lance la campagne d’Italie. Auréolé de sa victoire de Toulon (1792), de sa contribution au retour à l’ordre après la réaction royaliste de vendémiaire an III, le général-politicien ambitieux abat alors une carte maîtresse. Après avoir relevé le moral des troupes, il bat les Piémontais, repousse les Autrichiens (avril) et signe le traité de Cherasco qui donne Nice et la Savoie à la France. Entre mai 1796 et janvier-février 1797, il boute les Autrichiens hors d’Italie (victoire de Rivoli, capitulation de Mantoue). Cependant que Hoche et Moreau reprennent l’offensive sur le Rhin, il traverse les Alpes pour être le premier à prendre Vienne. Après la prise du passage du Tagliamento (27 mars), la route de la capitale autrichienne est libre. À l’arrière, ses troupes prennent Venise en avril. Après l’arrêt des combats et le coup d’État de fructidor, Bonaparte, en position de force, dirige en personne les négociations face à l’émissaire de François II, Coblenzl. Le traité de Campoformio (17 octobre 1797) comporte les vœux exhaussés de Bonaparte : réorganisation de toute l’Italie du Nord désormais indépendante, cession à la France des provinces de la Belgique, de la rive gauche du Rhin et de Mayence, des îles ioniennes.

Ces succès militaires ont trois conséquences. D’une part, ils rétablissent le lien avec la stratégie conquérante de l’Ancien Régime. D’autre part, ils confèrent une aura accrue aux soldats de l’an VI. Enfin, ils ouvrent sur de nouveaux succès, en 1798-1799, qui permettent la naissance des Républiques sœurs : Républiques ligurienne autour de Gênes, cisalpine autour de Milan, romaine et parthénonienne (ou napolitaine), helvétique et, enfin, batave. En trois ans, les généraux ont donc acquis une autorité politique considérable, qu’amplifient leur relative autonomie par rapport à l’État et leur fonction protectrice. Ce n’est plus le peuple, miséreux, qui défend la République ; ce n’est pas le Directoire ; c’est l’armée, mère de la paix continentale.

Reste, il est vrai, le conflit avec l’Angleterre. Les velléités de négociations sont bloquées par le coup d’État de fructidor. Renonçant à une invasion depuis la Manche, Bonaparte s’embarque dans la prestigieuse expédition d’Égypte de mars 1798 à août 1799. Si elle n’annihile pas les Anglais, elle établit une domination durable sur le pays du Nil.

Durant la campagne d’Égypte, le tsar Paul Ier, contrarié par le prosélytisme républicain du Directoire en Europe, a traversé l’Autriche vers la France. Le Directoire lui a déclaré la guerre le 12 mars 1799. Puis les Autrichiens, les Anglais, les Bourbons évincés de Naples et les Turcs défaits en Égypte par Bonaparte s’allient à Paul Ier. Toutefois, en trois mois et en dépit de leur infériorité numérique, les armées françaises domptent tout de même la deuxième coalition. Grâce à cette nouvelle paix extérieure, le Directoire paraît sauvé. Mais c’est sans compter avec les troubles intérieurs.

6.7   Inquisition et instabilité

Depuis le 18 fructidor, rien ne va plus en France. Les mesures d’exception étendues à toute la population font ployer le pays sous un régime d’inquisition policière touchant en priorité les royalistes, mais également les Jacobins et les catholiques insurgés du Sud-Ouest. À la guillotine sanglante s’est substituée la « guillotine sèche «, c’est-à-dire la déportation en Guyane.

Sur le plan financier, l’État est en faillite. En septembre 1797, il annule purement et simplement 66 p. 100 de sa dette (banqueroute des « deux tiers «). Les taxations multipliées et en hausse, la corruption fonctionnariale, réveillent l’agitation urbaine et encouragent le brigandage en province.

Ces vicissitudes amènent à la victoire néo-jacobine lors des élections de l’an VI (mai 1798). Invalidée par le Directoire le 11 mai, la centaine de nouveaux députés est remplacée par des modérés qui profitent de leurs fonctions (juges, administrateurs) pour s’imposer aux électeurs. Cependant, les élections de germinal an VII (avril 1799) confirment la poussée néo-jacobine et la résistance royaliste. Sous la pression des assemblées et des généraux, le Directoire accepte le remplacement de Reubell par Sieyès. Ce dernier propose une révision de la Constitution de l’an III : renforcement de l’exécutif et réaffirmation de la conception élitaire de la direction du pays.

6.8   La chute du second Directoire

Entre juin et octobre 1799, on assiste à deux retournements de situation. Dans un premier temps, Sieyès s’appuie sur le corps législatif et sur les néo-jacobins pour renouveler le Directoire. Sieyès et Barras sont rejoints par Gohier, Ducos et le général Moulins. Mais ce virage à gauche, qui entraîne la révocation de tous les ministres et une nouvelle vague de décrets anti-royalistes, fait craindre à la majorité des Conseils un retour à un révolutionnarisme digne de 1792-1794 ou à une réaction royaliste d’ampleur. C’est le moment que choisit le second Directoire pour solliciter la force militaire afin de rétablir l’autorité de l’État.

Auréolé par la campagne d’Égypte et sa victoire d’Aboukir contre les Turcs (juillet), Bonaparte, général réputé invincible, vient de débarquer à Fréjus (9 octobre). Il fait un voyage triomphal jusqu’à Paris. Talleyrand et le général Moreau convainquent Sieyès de requérir son soutien. Bonaparte pensait dès avant, avec ses frères, Lucien et Joseph, à s’emparer du pouvoir.

Le 23 octobre 1799, Lucien accède à la présidence du Conseil des Cinq-Cents. Avec le soutien de Barras et Ducos, Sieyès et Bonaparte mettent ensuite au point un coup d’État, favorisé conjointement par la présidence de Lucien et le conservatisme inquiet du Conseil des Anciens. Les 18 et 19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799), le coup de force ne rencontre qu’une opposition de principe du régime moribond. Le 18 Brumaire, au prétexte d’un complot terroriste, les Anciens sont déplacés à Saint-Cloud ; Bonaparte est nommé commandant des troupes de Paris et les cinq directeurs démissionnent. Le lendemain, Bonaparte se présente devant le Conseil des Cinq-Cents qui le hue : « À bas le dictateur… Hors la loi ! «. Mais par une habile manœuvre, Lucien démissionne et fait encercler l’Orangerie par les troupes de Murat qui expulsent les députés. Au soir, une poignée de députés réorganise un pouvoir exécutif (assumé par trois consuls, Sieyès, Bonaparte et Ducos) et crée deux commissions chargées de préparer une nouvelle Constitution. Le Consulat est en cours de fondation.

6.9   Dilution et pérennité révolutionnaires

L’histoire de la Ire République s’écroule avec la déroute d’une bourgeoisie thermidorienne qui, craignant d’être mise en échec ou soumise par les forces néo-jacobines et royalistes, s’en rapporte au césarisme d’un général de trente ans, trop entreprenant pour se contenter de pérenniser l’aventure révolutionnaire. À partir de la promulgation de la Constitution de l’an VIII (février 1800), grâce à ses victoires intérieures (paix sociale et religieuse, relance économique, liquidation de l’opposition) et extérieures (paix de Lunéville avec l’Autriche en février 1801, paix d’Amiens avec l’Angleterre en mars 1802), Bonaparte se rend indispensable. Son despotisme éclairé se renforce avec la Constitution de l’an X — qui le fait consul à vie — et s’impose avec l’avènement de l’Empire.

Il n’en reste pas moins, comme le souligne l’historien Denis Woronoff, que le mérite du Directoire, issu en droite ligne de la tenace Convention thermidorienne, n’est pas négligeable notamment pour son œuvre fiscale et scolaire. Sa dérive autoritaire et ses carences morales, sa chute ne peuvent masquer que, malgré la catastrophe finale, il a préservé la révolution bourgeoise dans le but, lié aux maximes de 1789 et 1792, de construire une société nouvelle. Si le Consulat termine la Révolution après 1799 en réconciliant les notables, il le doit ainsi à la préservation relative de l’œuvre poursuivie depuis 1792 par différents régimes, en dépit des secousses et des violences qui émaillent l’aventure de la Ire République.

Ces remarques renvoient à la sismographie sociale et politique générale de la Ire République. Entre 1792 et 1799, elle connaît successivement : une révolution socio-politique populaire, un pouvoir girondin modéré, une période de dictature jacobine, de nouveau un régime modéré, enfin le retour à l’autoritarisme du Directoire. Ces à-coups tiennent évidemment aux hommes, à leur débats d’idées, à leur conception du pouvoir républicain et révolutionnaire. Mais il faut également souligner l’importance cruciale de la conjoncture. En effet, à côté des intentions, des querelles et des ambitions, la crise socio-économique endémique, les émeutes, les guerres, ont une fonction motrice dans la tectonique politique. Si l’histoire de la Ire République est si chaotique, c’est donc également du fait des incidences profondes de l’événement lui-même et du contexte social et économique légué par l’Ancien Régime.

Enfin, il faut souligner une des grandes conséquences de l’histoire de la Ire République : la déformation progressive, en dépit du maintien de l’idéal républicain, du principe de légitimité du pouvoir révolutionnaire. Il s’appuie d’abord sur une onction populaire puis sur la force de l’armée gardienne de la nation. Cette métamorphose préfigure en partie l’Empire napoléonien.

Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles