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Soutenant la "reformasi", Al Gore suscite une tempête en Asie

Publié le 17/01/2022

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17 novembre 1998 - Le premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, n'avait sûrement pas prévu que le sixième sommet de l'Asie-Pacifique, dont il est l'hôte mardi 17 et mercredi 18 novembre, attirerait tant l'attention sur la crise politique que traverse son pays. Il ne pouvait pas davantage imaginer que l'affaire irakienne retiendrait à Washington un Bill Clinton auquel il souhaitait offrir "la possibilité de voir par lui- même" les réalisations de son gouvernement et donner une leçon d'économie politique. Pourtant, c'est bien ce qui se passe. En levée de rideau, lundi à Kuala Lumpur, en présence du Dr Mahathir, le vice-président Al Gore a vivement soutenu les "réformateurs" asiatiques. "Parmi les nations qui souffrent de la crise économique, nous continuons d'entendre des appels à la démocratie dans plusieurs langues : " Pouvoir du peuple" , " Doi moi" , " Reformasi" . Nous les entendons ici même, en ce moment même, parmi les gens courageux de Malaisie", a-t-il dit. Enfonçant le clou, dans une référence à peine voilée à la politique économique de Kuala Lumpur, Al Gore a ajouté à propos des autocrates : "Ils s'accrochent à la croyance selon laquelle un régime autoritaire facilite l'imposition de la discipline fiscale et du sacrifice financier nécessaires à contrer les tempêtes économiques et à relancer la croissance." Et Al Gore d'ajouter que "le message venu cette année d'Indonésie est sans ambiguïté", ce qui est exactement le contraire de ce que dit le premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad. Ces appels à la démocratie lui ont valu une cinglante répartie de Mme Rafidah Aziz, le ministre malaisien du commerce : "C'est le discours le plus répugnant que j'aie jamais entendu", a-t-elle déclaré. Rafidah avait déjà eu une altercation, dimanche, avec Madeleine Albright au cours d'une conférence de presse conjointe. Cité par la presse malaisienne, le premier ministre a lui aussi fait savoir sa fureur : "Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi grossier", a-t-il dit du vice-président américain. Dans un communiqué, le ministre des affaires étrangères, Ahmad Badawi, a estimé que "les sermons" des Etats-Unis - "un pays connu pour avoir commis des violations grossières des droits de l'homme " - étaient "une violation des règles de base régissant les relations entre les pays souverains" ainsi qu'une "ingérence grossière" dans les affaires intérieures malaisiennes. "La Malaisie juge très détestable l'encouragement donné par le gouvernement américain à certains éléments dans le pays, à utiliser des moyens non démocratiques pour renverser un régime constitutionnellement élu ", a ajouté le ministre. Gaz lacrymogènes Dans une capitale pourtant quadrillée par la police, environ deux mille manifestants avaient réclamé, samedi, dans le centre-ville, la démission du Dr Mahathir, chef du gouvernement depuis dix- sept ans, et en avaient brûlé le portrait. Pour la première fois, deux coups de feu avaient été entendus. Plus tard dans la soirée, la police avait également dispersé, à l'aide de canons à eau jaune et acide, une petite foule qui tentait de s'approcher de l'hôtel Renaissance, où Madeleine Albright résidait. Dimanche, la police avait de nouveau utilisé des lances d'incendie et des gaz lacrymogènes pour disperser deux cents opposants au pied des tours Petronas, les plus hautes du monde. Ces manifestants, les "réformateurs", se réclament d'Anwar Ibrahim, l'ancien vice- premier ministre emprisonné et dont le procès, ajourné le 12 novembre, ne reprendra qu'après la réunion du forum de l'APEC (Asia Pacific Economic Cooperation). Le sort réservé à Anwar, qui plaide non coupable de dix chefs d'inculpation de corruption et de sodomie, a en effet suscité un mouvement de sympathie à l'étranger. Le sommet de l'APEC offre une occasion de faire passer le message. Vingt-neuf organisations non gouvernementales et partis politiques malaisiens ont profité de l'affluence pour réclamer soit la tenue anticipée d'élections (elles ne sont prévues qu'en l'an 2000), soit la démission de Mahathir. "Discuter de l'économie n'a aucun sens quand ce genre de choses se produit sur votre perron", a déclaré Elizabeth Wong, porte-parole d'organisations humanitaires de la région qui ont tenu une Assemblée des peuples de l'Asie- Pacifique (APPA), pendant populaire de l'APEC. Mises en garde Deux ministres canadiens, Lloyd Axworthy (finances) et Sergio Marchi (commerce), et le chef de la diplomatie australienne ont rencontré l'épouse d'Anwar Ibrahim. Le secrétaire d'Etat américain, Madeleine Albright, a également passé un moment avec la femme de l'opposant avant de regagner Washington. D'autres personnalités ont manifesté leur sympathie à l'égard d'Anwar, en particulier le président philippin, Joseph Estrada, et le chef de l'Etat indonésien, B. J. Habibie, lequel était attendu mardi à Kuala Lumpur malgé la crise à Djakarta. Avant de s'envoler, le président indonésien a lâché un peu de lest à domicile. Il a déclaré, lundi 16 novembre, qu'il ne s'opposerait pas à une présidentielle anticipée de quelques mois, comme le réclame l'opposition. Il a en outre promis une enquête sur les affrontements de la semaine dernière à Djakarta, qui ont fait, selon un dernier bilan, quinze morts et quelques centaines de blessés. Pour sa part, le premier ministre canadien Jean Chrétien a fait savoir qu'il avait renoncé au traditionnel entretien avec l'hôte du sommet. Al Gore, le vice-président américain, devrait se contenter de la sèche poignée de main échangée lundi soir avec le Dr Mahathir. Ce dernier, à plusieurs reprises, a mis en garde ses hôtes contre des contacts qu'il considère comme autant d'ingérences dans les affaires de son pays. Mais le doyen des chefs de gouvernement de la région embarrasse un bon nombre de ses partenaires en isolant l'économie malaisienne et avec le procès d'Anwar, qui était considéré comme l'un des chefs de file d'une nouvelle génération de gouvernants. La politique du Dr Mahathir contribue à diviser davantage l'Asean, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, déjà affaiblie par une grave récession et par la difficulté à gérer le problème que lui pose la Birmanie. Celle-ci a été admise au sein de l'Asean en 1997 mais la junte qui la dirige demeure réfractaire à toute ouverture politique. Le Dr Mahathir a eu beau insister pour que l'affaire Anwar ne perturbe pas le sommet, cette dernière n'en a pas moins été sur toutes les lèvres et dans tous les esprits, en attendant le discours "important" que Jiang Zemin devait prononcer mardi. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 18 novembre 1998

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