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Tempête sur l'histoire

Publié le 17/01/2022

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Mémoire 1982 - Les dirigeants japonais ont décidé, souverainement mais sans ménagements, d'effacer dans les nouveaux manuels scolaires le sang répandu en Asie par l'armée impériale, et d'escamoter d'autres outrages aux connotations trop négatives. Ce faisant, ils ont rouvert des plaies mal cicatrisées, déclenchant chez eux et dans toute la région un ouragan de vindicte populaire et une tempête diplomatique, qui en disent long : les victimes n'ont pas eu le temps d'oublier. C'était, même en catimini, agir à la légère. On voulait blanchir certaines pages, on a fait remonter jour après jour à la une des journaux les faits et les documents les plus sanglants du passé. Pour une fois d'accord, la Chine populaire et Taiwan, les deux Corées mais aussi Hongkong, l'Asie du Sud-Est, Hanoi et Moscou, et même Okinawa (terre japonaise), ont jeté l'anathème et ouvert leurs archives comme autant de charniers, pour le plus grand enseignement des nouvelles générations. Des manifestations hostiles ont eu lieu ici et là. Parallèlement, face à l'indifférence initiale des dirigeants nippons, puis à leur obstination doublée de propos ambigus et de manoeuvres dilatoires, des tensions diplomatiques se sont développées avec la Chine populaire, d'une part, avec la Corée du Sud, de l'autre. Dans la droite japonaise, des voix se sont élevées pour dénoncer les " ingérences " étrangères dans les affaires intérieures. D'autres ont fait valoir que tous les pays embellissent l'histoire à leur avantage, citant même Napoléon comme l'exemple d'un envahisseur devenu héros national ! D'autres encore ont laissé entendre que Pékin et Séoul avaient peut-être de bonnes raisons politiques et économiques de détourner l'attention sur le Japon. Seuls, les partis, syndicats et personnalités de la gauche, et la presse dans sa quasi-totalité, ont condamné, ou au moins critiqué, la réécriture de l'histoire et le système de censure et élevé la voix pour mettre en garde contre un " retour aux erreurs du passé ". Pour l'opposition, l'offensive des conservateurs vise avant tout à affaiblir le sentiment antimilitariste et à dissiper les complexes de culpabilité dans toute la nation. La transformation des esprits serait la prélude à un renforcement du potentiel militaire et à une révision de la Constitution imposée par les Américains. La droite ne rejette pas cette interprétation. Quant à l'opinion publique, les sondages la montrent également partagée entre ceux qui soutiennent le point de vue officiel-et s'irritent des ingérences étrangères,-ceux qui s'y opposent et ceux qui ne se prononcent pas. ROLAND-PIERRE PARINGAUX Le Monde du 11 septembre 1982

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