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Trente-cinq jours de suspense

Publié le 17/01/2022

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12 décembre 2000 PLUS QU'UNE CRISE de la démocratie ou du système électoral, c'est d'abord une anomalie statistique qui frappe l'élection américaine le 7 novembre. Au fur et à mesure que sont annoncés les résultats, il apparaît que le scrutin est serré. Incroyablement serré, même, dans certains Etats. « Too close to call », répètent les chaînes de télé. Le suspense va durer trente-cinq jours. En définitive, l'écart se fixera sur 537 bulletins de vote de Floride. 537 suffrages sur 5,8 millions, soit 0,0009 %. Un cheveu, littéralement, sur une tête normalement coiffée, a calculé le Miami Herald. Pendant la soirée du 7, la Floride devient rapidement le centre de la tourmente électorale. Mais le scrutin se révélera tout aussi serré dans d'autres Etats. Dans le Nouveau-Mexique, Gore n'aura que 366 voix d'avance sur 615 000 voix (on a recompté, là aussi, y compris à la main, et jusqu'au 30 novembre). Dans l'Etat de Washington, il faudra un mois pour déclarer le vainqueur de l'élection sénatoriale (une démocrate). Pour l'ensemble du pays, Gore sera crédité au total de 337 576 voix d'avance sur Bush (sur 100 millions de suffrages exprimés). En 1960, Kennedy avait eu 119 450 voix d'avance sur Nixon. Mais il comptait 303 grands électeurs et Nixon seulement 219. Avec la Floride, Gore a 267 grands électeurs, mais Bush 271, soit un de plus que la majorité requise pour être déclaré président. A 19 h 50, la Floride est d'abord attribuée à Al Gore par les chaînes de télé. A cette heure-là, les bureaux de vote n'ont pas encore fermé dans la partie ouest de la Floride. Les républicains se mobilisent. Jeb Bush, le frère de « W », fonce passer des coups de fil pour convaincre les gens d'aller voter. George W. reçoit des journalistes pour les morigéner : les résultats annoncés lui paraissent trop expéditifs. Deux heures plus tard, les télés reviennent sur leur projection et annoncent qu'il est impossible de départager les candidats. A 02 h 15, Fox News, la chaîne proche des républicains, annonce que c'est Bush, en fait, qui a gagné la Floride. Il est donc le président élu. Six minutes plus tard, les autres chaînes emboîtent le pas. Seule l'agence Associated Press ne suit pas. Il sera établi plus tard que le cousin germain des frères Bush, un politologue du nom de John Ellis, était cette nuit-là le responsable des opérations électorales à Fox. C'est lui qui était chargé de décider de l'opportunité de publier ou non les estimations de sortie des urnes. Lundi 12 décembre, John Ellis a lui-même confirmé avoir eu cinq contacts téléphoniques avec George W. pendant la soirée électorale. Vers 3 heures, Al Gore téléphone à son rival et reconnaît sa défaite. On danse à Austin, la capitale texane. Mais une heure plus tard, coup de théâtre, le vice-président rappelle. Il n'est plus question de concéder quoi que ce soit. Les résultats sont si serrés en Floride - 1 784 voix d'écart - qu'il y a automatiquement recompte, en vertu des lois électorales de l'Etat. Le premier recompte officiel ne lui donne plus qu'une avance de 288 voix. Dès lors, la tactique du gouverneur du Texas consistera à tenter d'empêcher l'étape suivante : le recompte manuel. Le 11 novembre, ses avocats portent plainte devant un juge fédéral de Miami pour obtenir l'interdiction des vérifications à la main. C'est la première fois dans l'histoire politique américaine qu'un contentieux portant sur l'élection présidentielle est porté devant la justice. Deux heures durant, Bush s'est cru président. Et avec lui, toute l'Amérique l'a cru aussi. Voire la planète, et certains chefs d'Etat - comme Jacques Chirac - auront le temps de lui adresser leurs plus sincères félicitations. Ces deux petites heures de présidence vont peser lourd. Al Gore devra toujours corriger l'impression d'être le « mauvais perdant » qui essaie de renverser une situation acquise. Sa tactique sera de réclamer obstinément que l'on recompte. Ses défenseurs en font la demande dans quatre comtés. On leur reproche d'avoir choisi des circonscriptions qui votent majoritairement démocrate. Qu'à cela ne tienne, le 15 novembre, Gore proposera que l'on recompte, à la main, les 5,9 millions de bulletins de l'Etat. DÉLAI ÉCOULÉ La secrétaire d'Etat de Floride, Katherine Harris, qui fut aussi la directrice de la campagne de George W. dans cet Etat très disputé, donne un sérieux coup de pouce à ses alliés républicains. D'abord, elle se prononce contre le recompte à la main, arguant du fait que les machines de tabulation ne sont pas en panne. Du coup, le comté de Palm Beach est obligé de se tourner vers la Cour suprême de Floride pour obtenir le feu vert. Le temps que celle-ci se prononce, le délai légal pour recompter est presque écoulé. Dans le comté de Volusia, en revanche, la commission électorale n'a rien demandé à personne. Les vérifications y sont ficelées en trois jours. Gore y récupère 98 voix. Katherine Harris décide de toute façon de ne pas prendre en compte les décomptes manuels et de certifier les résultats. Le 18 novembre, les bulletins de vote par correspondance venus de l'étranger sont inclus dans les totaux. Ils portent l'avance de Bush à 930 voix. Mais entre-temps, la Cour suprême de Floride s'est saisie de l'affaire. Elle décide qu'il faut compter tous les votes. Délai est fixé pour le 26 novembre à 17 heures. C'est une date qui ne correspond à rien (sinon à la fin du week-end de Thanksgiving) et c'est ce qui sera invoqué par la Cour suprême des Etats-Unis pour renvoyer leur copie aux magistrats de Tallahassee. En vertu de quels textes, la Cour suprême de Floride a-t-elle pu autoriser un délai autre que celui de sept jours qui figure dans la loi et se substituer au législateur ?, interrogent les neuf juges de Washington. On compte donc et on recompte pendant le week-end férié. Mais avec des fortunes diverses. Le comté de Broward donne 567 voix de plus à Gore, bien que les républicains aient fait descendre Bob Dole, entre autres, pour surveiller la commission électorale. Le comté de Miami-Dade renonce avant de commencer, cédant à la pression de l'horaire et à celle, plus musclée, de quelques gros bras républicains. Le comté de Palm Beach (462 000 bulletins) supplie Mme Harris de lui accorder un délai. Elle refuse. Les centaines de scrutateurs et d'observateurs auront travaillé pour rien. A quatre-vingt-dix minutes près, ils auraient donné 176 voix de plus à Gore. Les républicains continuent à jouer la montre et l'affaire des « chads », les confettis qui ne se sont pas détachés des cartes mal perforées, est portée en justice : quand et comment faut-il les compter ? Le petit juge Burton, de West Palm Beach, comparaît comme témoin. Il vient avec une machine à voter et réclame conseil. Les démocrates lui reprochent d'être trop restrictif dans son attribution des « sous-votes » à Gore. Il est pourtant démocrate, comme 8 des 9 membres des commissions électorales concernées et comme la plupart des juges de Floride appelés à statuer. Contrairement à George W. Bush, Al Gore n'aura pas bénéficié d'une énorme complaisance de ses amis supposés. PRÉCIPITATION Mais c'est trop tard. Le 26 novembre à 17 heures, Katherine Harris certifie que Bush a gagné avec 537 voix d'avance. Jeb Bush, le frère, sort de sa réserve pour signer sans perdre une seconde le certificat portant les noms des grands électeurs désignés par la Floride. George W. quitte son ranch pour accepter avec honneur la tâche qui lui a été confiée par les électeurs. Mais le lendemain, les observateurs scrutent la presse et relèvent que personne n'a suivi. Pas de mention de « président-élu ». La précipitation floridienne n'a pas convaincu. A peine certifiés, les résultats ont, en effet, fait l'objet d'une contestation par les démocrates. Cette fois, il s'agit d'un litige qui entre dans les délais légaux prévus. Le juge Sauls Sanders se fait livrer en camionnette quatorze mille bulletins litigieux. Pendant l'audience, le camp Gore est ravi. L'un de ses avocats a réussi à retrouver une demande de brevet présentée par l'inventeur de la machine à voter Votomatic dans laquelle tous les inconvénients de la machine étaient détaillés (confettis qui restent coincés, etc.). Malgré tout, le juge rejette la demande de Gore. Bush triomphe. Mais à son tour la Cour suprême de Floride intervient de manière fracassante et ordonne le décompte. Vite, on se remet à compter vendredi 8. Tout aussi vite, on s'arrête le lendemain. La Cour suprême des Etats- Unis l'a ordonné ainsi. Jamais auparavant, elle n'avait statué un samedi. La bataille de Floride est terminée. La bataille judiciaire se déplace vers de nouveaux horizons. Gore versus Bush sera finalement arbitré par la Cour suprême, à Washington.

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En vertu de quels textes, la Cour suprême de Floride a-t-elle pu autoriser un délai autre que celui de sept jours quifigure dans la loi et se substituer au législateur ?, interrogent les neuf juges de Washington. On compte donc et on recompte pendant le week-end férié.

Mais avec des fortunes diverses.

Le comté de Broward donne567 voix de plus à Gore, bien que les républicains aient fait descendre Bob Dole, entre autres, pour surveiller la commissionélectorale.

Le comté de Miami-Dade renonce avant de commencer, cédant à la pression de l'horaire et à celle, plus musclée, dequelques gros bras républicains.

Le comté de Palm Beach (462 000 bulletins) supplie Mme Harris de lui accorder un délai.

Ellerefuse.

Les centaines de scrutateurs et d'observateurs auront travaillé pour rien.

A quatre-vingt-dix minutes près, ils auraientdonné 176 voix de plus à Gore. Les républicains continuent à jouer la montre et l'affaire des « chads », les confettis qui ne se sont pas détachés des cartes malperforées, est portée en justice : quand et comment faut-il les compter ? Le petit juge Burton, de West Palm Beach, comparaîtcomme témoin.

Il vient avec une machine à voter et réclame conseil.

Les démocrates lui reprochent d'être trop restrictif dans sonattribution des « sous-votes » à Gore.

Il est pourtant démocrate, comme 8 des 9 membres des commissions électoralesconcernées et comme la plupart des juges de Floride appelés à statuer.

Contrairement à George W.

Bush, Al Gore n'aura pasbénéficié d'une énorme complaisance de ses amis supposés. PRÉCIPITATION Mais c'est trop tard.

Le 26 novembre à 17 heures, Katherine Harris certifie que Bush a gagné avec 537 voix d'avance.

JebBush, le frère, sort de sa réserve pour signer sans perdre une seconde le certificat portant les noms des grands électeurs désignéspar la Floride.

George W.

quitte son ranch pour accepter avec honneur la tâche qui lui a été confiée par les électeurs.

Mais lelendemain, les observateurs scrutent la presse et relèvent que personne n'a suivi.

Pas de mention de « président-élu ».

Laprécipitation floridienne n'a pas convaincu. A peine certifiés, les résultats ont, en effet, fait l'objet d'une contestation par les démocrates.

Cette fois, il s'agit d'un litige quientre dans les délais légaux prévus.

Le juge Sauls Sanders se fait livrer en camionnette quatorze mille bulletins litigieux.

Pendantl'audience, le camp Gore est ravi.

L'un de ses avocats a réussi à retrouver une demande de brevet présentée par l'inventeur de lamachine à voter Votomatic dans laquelle tous les inconvénients de la machine étaient détaillés (confettis qui restent coincés, etc.).Malgré tout, le juge rejette la demande de Gore.

Bush triomphe.

Mais à son tour la Cour suprême de Floride intervient demanière fracassante et ordonne le décompte.

Vite, on se remet à compter vendredi 8.

Tout aussi vite, on s'arrête le lendemain.

LaCour suprême des Etats- Unis l'a ordonné ainsi.

Jamais auparavant, elle n'avait statué un samedi.

La bataille de Floride estterminée.

La bataille judiciaire se déplace vers de nouveaux horizons.

Gore versus Bush sera finalement arbitré par la Coursuprême, à Washington. CORINE LESNES Le Monde du 14 décembre 2000 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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