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FAUT-IL DESIRER L'IMPOSSIBLE? ?

Publié le 13/03/2004

Extrait du document

Les Grands hommes, qui ont changé le cours de l'histoire, ou l'ont façonné sur le modèle de leur volonté, sont ceux qui ont rendu possible ce qui paraissait inconcevable, ou inaccessible. Les Grands hommes ont désiré ce à quoi tout le monde avait renoncé, ou n'avait même pas osé penser, étant donné son caractère a priori irréalisable. Mais précisément, on peut se demander ce qui a pu faire que ces hommes, contrairement aux autres, ne se soient pas refusé leurs rêves, aient pu céder à la tentation d'accomplir l'impossible. Plus étrange encore, comment psychologiquement expliquer que ces hommes aient même eu le désir conscient de réaliser quelque chose que le bon sens leur indiquait irréalisable. Comment comprendre qu'un individu veuille délibérément l'inaccessible, qu'il entreprenne des travaux pharaoniques, des conquêtes apparemment sans fin ou perdues d'avance, des voyages périlleux dont il sait décemment ne pouvoir revenir vivant, qu'il passe sa vie à chercher la pierre philosophale, ou qu'il aspire à la sainteté ? Ce que l'on se demande ici, c'est pourquoi désirer l'impossible ? La formulation de la question met d'emblée en opposition le désir de l'homme, qui peut se définir comme un élan, une aspiration, une tension vers quelque chose, cette aspiration étant la plupart du temps consciente. Et l'impossible, qui désigne ce qui ne peut être, ce qui ne peut être réel, ni réalisable, parce cela est contradictoire, par exemple. Il désigne donc ce qui est inaccessible. Or tout désir vise la réalisation d'un événement. Je désire qu'autrui m'aime, que je puisse manger à ma faim, que je devienne médecin. Autrement dit, je désire que l'événement « manger à sa fin « se réalise, qu'il prenne la consistance du réel. Même quand on dit que l'on désire une voiture, on désire que l'événement « avoir une voiture « se réalise. Comment, par conséquent, le désir peut-il porter sur ce qui par définition ne peut pas « être « ? Le sujet nous interroge bien entendu sur les causes de notre désir d'impossible, ma is plus que sur les causes, également sur les fins. Car l'enjeu du sujet est éthique. Si nous désirons l'impossible, et que ce désir est la manifestation d'une liberté, alors il faut se demander s'il a un sens, c'est-à-dire, au fond, s'il nous conduit à une vie heureuse. La question nous invite dans un premier temps à nous étonner de la contradiction logique dont témoigne notre désir d'impossible. Le « Pourquoi « nous questionne sur : Comment l'impossible peut-il être l'objet d'un désir ? Nous verrons que si le désir d'impossible semble être une contradiction insurmontable, il trouve une résolution dans les fondements irrationnels de notre comportement. Nous serons alors amenés à nous interroger psychologiquement sur ce désir d'impossible, pour mettre en évidence les impasses dans lesquelles il conduit l'homme. Le « Pourquoi désirer l'impossible «, devra en effet être lu comme un « A quoi bon désirer l'impossible ? « Si ce désir d'impossible ne nous conduit nulle part, et que nos désirs sont bien « conscients «, alors nous devrons questionner les fins de ce désir. Il nous faudra peut-être critiquer l'apparente stérilité du seul désir des choses possibles, pour voir quelles nobles fins peut servir notre désir de l'irréalisable.

I

Le sujet nous invite dans un premier temps à réfléchir sur la contradiction manifeste entre notre désir, et l'objet de son aspiration. Le désir, c'est tout d'abord un élan qui nous porte vers un objet, dont la possession, même symbolique, nous procurerait une satisfaction, voire du plaisir. Désirer l'impossible, c'est donc espérer avoir la jouissance d'un objet, tout en sachant que la jouissance de cet objet nous est inaccessible car cet objet est tout simplement irréalisable. Il y donc bien une contradiction, à maintenir de front, d'un côté le désir de voir un événement se réaliser, et de l'autre la connaissance que sa réalisation entrerait en contradiction avec les lois du réel et de la logique. Désirer l'impossible, c'est désirer un miracle. Le miracle est ce qui se produit contre toute attente, et qui va à l'encontre des lois du réel. C'est d'ailleurs de ce caractère exceptionnel, extraordinaire , contre les lois de la nature, qu'il tire sa légitimité, et sa crédibilité. Or lorsqu'on prie pour qu'un miracle se produise, on formule le désir que l'impossible arrive, précisément parce qu'il est impossible. On ne peut prier pour qu'un événement peu probable arrive, mais l'intervention d'une force transcendante (comme Dieu par exemple) ou magique (ainsi d'un esprit de la forêt) est d'autant plus légitime que ce que l'on réclame est impossible. C'est lorsque l'on sait que l'on ne peut plus compter sur le hasard, ou sur une bonne configuration des événements, et que l'événement le plus souhaitable n'est de toute façon pas réalisable, que l'on se donne le droit de désirer l'impossible, alors même que l'on ne se fût pas prêté à désirer un événement pourtant même seulement très peu probable. Je ne désire pas toucher, si je suis écrivain, la totalité de mes potentiels lecteurs, car je sais qu'un au moins de mes lecteurs ne sera pas satisfait de ma production ; mais je désirerai, si je suis jeté dans une fosse aux lions, que ceux-ci me laissent tranquille comme, rapporte-t-on, ils laissèrent Ste Blandine. Dans le désir du miracle, on s'en remet à une instance qui a la possibilité d'aller contre l'ordre causal (ou en tous cas considéré comme tel) de la nature. Le désir d'impossible est alors justifié par la croyance en une puissance qui soit au-delà des catégories du possible et de l'impossible. Ou plutôt, ce désir s'explique par la croyance que l'on peut s'adresser à une instance dont l'action n'est pas dépendante de la causalité, et qui peut intervenir pour bouleverser les sphères du possible et de l'impossible. Si le désir d'impossible est concevable, c'est donc parce que l'on croit que cet impossible a une faille, ou qu'il peut être contrebalancé par un autre possible, qui échappe à la négation du possible, que suppose l'impossible désiré. Autrement dit, s'il est vrai que nous désirons parfois l'impossible, c'est que c'est impossible nous paraît contournable. Notre désir d'impossible, s'il parait inexplicable d'un point de vue logique, ou s'il paraît nous mettre en présence d'un comportement humain irrationnel, peut se trouver expliqué si nous supposons en fait une définition affaiblie de l'impossible ou du désir. L'impossible peut par exemple être défini, dans une acception large il est vrai mais courante du terme, comme ce qui est très peu probable. On dira par exemple qu'il est impossible de gagner au loto. En ce cas, il ne s'agit pas d'un pur impossible. Si je désire gagner au loto, c'est bien parce que j'ai une chance, même infime, de gagner. La formule « désirer l'impossible «, en ce cas, résonne comme un simple abus de langage, qu'il ne faut peut-être pas prendre à la lettre. De même si contradiction il y a, peut-être est-ce entre deux perceptions du réel. Le sujet proposé, de ce point de vue, n'est peut-être pas énonçable à la première personne. Je peux croire quelque chose possible, et mon entourage le reconnaître comme impossible. Mais puis-je m'avouer quelque chose impossible et la désirer quand même ? Je ne puis dire, en ce sens, que « je désire l'impossible «, mais mon entourage peut par contre reconnaître, parlant de moi, qu'il « demande la lune «. C'est que nous sommes souvent bien ignorants des paramètres qui entrent en ligne de cause, ou que nous ne sommes pas toujours très perspicaces quant à nos possibilités… La jeunesse, qualifiée souvent d'idéaliste, désirera peut-être faire la révolution, ou changer le monde, mais c'est parce que sa vision du réel est simplifiée, et qu'elle ne prend pas toutes les données en compte qu'elle prendra peut être les armes pour instaurer « la paix et l'amour «. Le vent de l'histoire a balayé plus d'une fois notre désir d'un monde meilleur, et nous a montré que la réalité était plus complexe qu'il n'y paraissait. Si donc nous désirons l'impossible, c'est tout simplement parce que nous ne le reconnaissons pas comme tel, et que nous sommes avons souvent une vision simplifiée du réel. En ce sens, le sujet « Pourquoi désirer l'impossible ? « constitue une invitation à la circonspection, à la prudence, et à l'attention. Il s'agit de « comprendre «, selon le mot de Spinoza, les chaînes causales dans lesquelles nous sommes pris, et ne pas poursuivre aveuglément des fins irréalisables. Régler, donc, son désir et ne pas le laisser courir sans fin vers des mirages à jamais fuyants. Car si nous désirons l'impossible ce peut être enfin parce que notre désir lui-même ne s'est pas affirmé comme tel, et n'est encore qu'une vague velléité. La contradiction que suppose le sujet peut en effet être résolue d'une troisième façon si nous comprenons le mot « désir « dans un sens affaibli, où le désir n'est qu'une aspiration, ou un élan tout juste conscient de lui-même, une rêverie. Il est de ces désirs d'impossible qui ne sont que des brefs éclairs d'une volonté teintée d'imaginaire. C'est par exemple, en attendant patiemment le métro aux heures de pointe, après avoir passé une rude journée enfermé au bureau, le désir immédiat et irrépressible de courir seul dans les steppes mongoliennes battues par les grands vents… Je ne le désire pas « réellement «, au sens où c'est un désir spontané, qui disparaît à peine éclos, et qui se construit comme une réaction par rapport à une situation peu acceptable, plutôt que comme un véritable projet. Désirer l'impossible cesse donc d'être une contradiction, si l'on traite le désir non comme une ferme volonté de voir se réaliser un événement, mais comme une aspiration fantasque, et sans suite, née spontanément de notre imaginaire. Car enfin le sujet ne nous demande pas pourquoi nous voulons l'impossible, mais pourquoi nous le désirons. Si la volonté suppose le calcul rationnel et l'activité consciente, le désir, quant à lui, est bien plus mystérieux. Il ½uvre bien souvent dans l'ombre, et porte notre existence, plus qu'il ne lui donne des limites et des objectifs, comme le fait en revanche notre volonté. Ce n'est pas d'ailleurs que le désir ait un rôle amoindri dans notre action. Pour Freud, notre inconscient est tout entier régi par nos désirs. Ils sont autant de pulsions, qui ignorent la contradiction, l'espace et le temps. Bon nombre de nos actions, de nos parole s, de nos rêves, sont l'expression (indirecte, car ils ont d'abord été filtré par l'instance psychique que Freud appelle le sur moi et qui joue un rôle de censure) de cet inconscient. Nous n'avons pas accès à ces désirs, par définition inaccessibles à notre conscience, mais ces désirs guident nos existences. Or comme nous l'avons dit, ils ignorent la contradiction. Je puis avoir, en tant que petite fille, le désir inconscient d'être un petit garçon. Cela est impossible, bien entendu. Mais mon désir, parce qu'il n'est en aucun cas soumis aux lois de la non-contradiction, me portera peut-être à me comporter de manière très virile. Dans une acception plus essentialiste du désir, telle que la propose Freud, pour qui le désir constitue l'essence de notre moi profond, il n'y a pas d'incompatibilité entre le désir, et l'impossible. C'est même comme le dit Freud ce qui peut paraître tragique dans notre exi stence. Nos désirs inconscients nous poussent vers la réalisation de certaines aspirations que notre conscience reconnaît allant contre les lois de la logique, et que notre sur-moi peut reconnaître comme allant contre celles de la morale. Nous désirons alors doublement l'impossible. Mais que dirons-nous de ce désir qui s'ignore. Il n'a de désir que la charge énergétique et dynamique. S'agit-il encore d'un désir, puisqu'il perd sa consistance de projet, au profit de l'évanescence d'une pulsion aveugle et inconséquente. Ce que nous pouvons retenir, en l'occurrence, c'est que notre comportement est fondamentalement irrationnel. Bien sûr, l'homme est un être doté de raison, et il en fait régulièrement usage. Mais dirons-nous que la plupart de nos actes, au quotidien, sont accomplis sous le contrôle de notre raison ? Combien, de gestes accomplis machinalement, de phrases dites par habitude, et d'actions dont nous n'avons pas mesuré la portée ou dont nous n'avons pas médité les finalités… Désirer l'impossible ne paraît donc guère moins irrationnel, que de se lever chaque matin en ayant oublié ce qui pour nous donne un sens à l'existence. Mais en tant que tel, il nous condamne, semble-t-il, à un malheur certain.

II

La question « Pourquoi désirer l'impossible ? « sonne comme une invitation à remettre en cause ce désir apparemment non rationnel. Le « pourquoi « résonne ici comme un « à quoi bon… ? «, et nous propose d'examiner l'absurdité d'un tel désir, ainsi que ses conséquences malheureuses. Notre désir d'impossible est guidé par la croyance rousseauiste que le plaisir ne se trouve pas tant dans la réalisation de nos désirs que dans la tension qui nous y porte. Le bonheur, selon Rousseau, comme il le montre dans La Nouvelle Héloïse, réside davantage dans l'imagination de l'être aimé, et l'attente de cet être, que dans les retrouvailles avec cet être. Autrement dit, pour Rousseau, le plaisir est dans l'imagination, dans la construction imaginaire que j'élabore pour pallier le manque qu'est le désir. Comme le montre Sartre dans l'Etre et le Néant, le désir est manque en effet, manque d'être. Il est pro-je ctif, ek-statique, comme la conscience. Tout désir est désir de quelque chose, pour paraphraser la célèbre formule d'Husserl dans les Méditations cartésiennes. Or si le désir est manque d'être, l'erreur de Rousseau est de croire que je trouverai un quelconque plaisir dans une réalisation virtuelle de ce désir. Notre désir s'enracine dans notre chair, il coule dans nos veines, nous procure l'énergie nécessaire pour mener à bien nos entreprises. Il ne saurait être « rassasié « des productions de notre fantaisie, toutes plus inconsistantes et évanescentes les unes que les autres. De sorte que désirer l'impossible, c'est se contraindre à une satisfaction virtuelle, ou phantasmatique. Mais cette satisfaction, de nature psychique, ne peut suffire à combler l'élan, physique aussi, qui nous pousse. A quoi bon poursuivre l'impossible, si le bonheur ne se trouve pas dans notre imagination, qui ne satisfait pas ce désir ? Si nous désirons l'impossible, c'est souvent parce qu'il est impossible. L'impossible est souvent perçu comme un interdit. On dira par exemple que si ma femme et moi n'avons pas eu une fille, mais un garçon, c'est que Dieu, ou le Sort, qui en a voulu ainsi. Nous percevons souvent le cours des événements comme le fruit d'une intelligence supérieure, que celle-ci ait un projet vers lequel notre histoire tende ou qu'au contraire cette volonté soit capricieuse et agisse spontanément. Or si nous désirons l'impossible, c'est parce que nous y percevons la forme d'un interdit formulé par cette intelligence supérieure. Il en va même parfois de notre honneur. Nous désirons l'impossible comme l'enfant désire ce qu'il sait lui être interdit. C'est ainsi que l'on pourrait lire le mythe du péché originel, au cours duquel Adam et Eve croquent dans le fruit défendu. Cueillir les fruits de l' arbre de la connaissance, c'est aspirer à acquérir la connaissance absolue, celle qui rendrait l'homme l'égal de Dieu. Il n'était pas possible de cueillir le fruit, au sens où cela le lui avait été formellement interdit moralement. Mais peut-être était-ce parce que cela le lui avait été interdit qu'il l'a désiré. Notre désir est souvent rebel, provocateur…et enfantin. Nous sommes fascinés par ce que nous ne pouvons pas faire, et désirons le faire pour cette raison même. Roméo et Juliette, dans l'½uvre de Shakespeare, n'ont que quatorze ans. Or si Juliette paraît si désirable à Roméo, après qu'il a appris qu'elle est la fille d'un Montaigu n'est-ce pas aussi parce qu'elle est précisément celle qu'il ne peut pas épouser, la seule à laquelle il lui faut renoncer ? On sait comment se termine l'histoire de ces deux enfants. Il faut donc abandonner ce désir puéril pour accéder à un désir « raisonnable «, où j'accepte l'ordre établi. Désirer l'impossible, c'est se méprendre sur nos capacités. C'est ignorer le réel et les lois qui le régissent. La principale clef de la sagesse sera alors de connaître ce réel, et de mesurer la place que nous y tenons. C'est d'ailleurs le sens de la sagesse stoïcienne. Dès les premières pages de son Manuel, Epictète nous invite à distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n'en dépend pas. Il faut se souvenir, nous dit par exemple Epictète, que la présence d'un ami ou d'un de nos proches ne dépend pas de nous. Demain, le sort m'aura peut-être ôté à jamais cet ami, ou ce proche. Je puis donc lui témoigner ma sincère amitié, mais je dois sans cesse avoir à l'esprit que cette amitié, le secours et la joie qu'il me procure peuvent m'être retirés. En revanche, je serai responsable de ma déception, si je me lance dans une carrière politique, et que j'essuie toute sorte de revers, qui me plongeront dans le discrédit. Il n'appartenait qu'à moi de ne pas poursuivre inconsidérément les honneurs ; en tous cas, j'aurais dû garder à l'esprit que ce cursus honorum ne dépendait pas que de moi, mais aussi des électeurs et des autres politiciens. Savoir distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n'en dépend pas, c'est donc régler son bonheur sur autre chose que des événements aléatoires, autrement dit, apprendre d'abord à savoir ce que je puis désirer ou, comme le dit Kant, « ce qui m'est permis d'espérer « ; apprendre ensuite à conformer son désir sur le cours des choses qui ne dépendent pas de nous. Epictète nous invite donc à mesurer notre désir. Désirer l'impossible, c'est vouloir l'excès, et donc se condamner à être malheureux. « Mèden agan «, disaient les épicuriens : rien de trop. Se donner pour mission l'impossible n'est pas raisonnable. Le problème est que nos désirs, même conscients, échappent parfois au contrôle de notre raison. Il est bien difficile de soumettre nos désirs au joug de notre raison. A bien des égards, nos désirs appartiennent au domaine de nos passions. Nos volontés émanent en effet d'états émotionnels, et de situations dont nous ne décidons pas. Bien souvent aussi nos désirs s'élaborent négativement, comme refus de quelque chose, et non comme « aspiration vers «. Le désir d'un monde plus juste ne se formule pas toujours, au niveau de notre expérience, comme l'aspiration à un monde idéal où tout le monde mangerait à sa faim. Ce désir d'un monde plus juste peut se vivre comme un refus, ou un sentiment de révolte, en voyant la misère des gens de mon quartier. Il est alors très difficile de conformer son désir sur le cours du monde. Quelle est la moralité de cette résignation, qui nous enjoint de ne pas désirer un monde meilleur, mais d'accepter, voire de désirer ce monde à la dérive. Désirer l'impossible, c 'est se donner une chance de refuser la médiocrité et le compromis. Désirer l'impossible répond à une exigence éthique et morale.

III

Il nous faut à présent relire le sujet en nous penchant à nouveau sur le « pourquoi «. Celui-ci ne nous demande pas seulement de nous étonner de la contradiction, et de critiquer ce désir sous l'angle des conséquences négatives qu'il implique. Il s'agit de s'interroger sur l'impossible en tant qu'il peut être une fin. Pourquoi, nous demande le sujet, se donner comme fin l'impossible ? Nos réflexions précédentes nous contraignent à faire l'hypothèse que si nous nous donnons pour finalité de notre action un événement impossible, cela ne signifie par pour autant que nous escomptions sa réalisation. C'est qu'en effet, il y a un écart, entre ce que nous désirons et ce que nous savons être réalisable d'abord, et entre ce que nous désirons, et ce dont nous sommes capables ensuite. Voir dans le désir d'impossible une contradiction, c'est croire que l'homme désire un objet et sa réalisation. Alors que l'objet de notre désir, peut être différent de ce que nous attendons voir se réaliser. Nous pouvons ici repenser la distinction que nous avions préalablement présentée entre la volonté et le désir. La volonté est peut-être subordonnée au désir comme à un étalon. Le désir d'impossible porte sur un idéal. En tant qu'idéal, il est par définition inaccessible. Mais c'est en tant qu'idéal qu'il g uide mon action. Pour Kant, on peut appeler idéal régulateur (Critique de la faculté de Juger) cette forme d'idées que nous avons tous et qui nous servent à penser et à ordonner le réel. Penser l'Histoire comme tendue vers une fin heureuse, qu'elle soit le règne de la paix ou l'abolition des classes (dans le cas du Marxisme) par exemple, est une forme d'idéal régulateur. Ce n'est pas là une certitude, que l'histoire tende vers une fin. Mais la penser orientée vers un horizon nous aide à comprendre le cours des événements, et leur enchaînement, et à nous y repérer : c'est en cela que cette idée est « régulatrice «. On peut donc analogiquement considérer que désirer l'impossible, c'est placer devant soi une ligne d'horizon qui nous aide à fixer des repères dans le réel. C'est donc tout d'abord donner un sens à son existence. Désirer être parfaitement sage et vertueux, n'empêche pas que je reconnaisse la sagesse ou la sainteté comme inaccessibles : c'est là un idéal, que je ne pourrai sans doute jamais atteindre. Mais désirer être un sage, ou un saint, c'est se donner un repère, un point fixe, qui m'indique ce que je dois faire. C'est même précisément parce que cet idéal est impossible que je peux m'y fier : je le sais immuable, invariant, par delà le temps et l'espace. La figure du saint définit un idéal de sagesse qui est censé traverser le temps pour permettre aux hommes de tous horizons de se reconnaître dans les valeurs que la fabuleuse histoire du saint met en avant. Ce qui est impossible, c'est ce qui n'est pas susceptible de devenir réel, et donc d'être emporté par le vent de l'histoire, érodé par le temps, ou englouti par le flux du devenir. Notre existence, par nos désirs d'impossible, qui prend alors la forme d'un absolu, trouve un sens. Désirer l'impossible, c'est assigner un sens à notre existence. Que voudrait dire que le sens de notre existence est accessible ici et maintenant ? Une fois atteint, à quoi rimerait alors notre vie ? Bien sûr, notre existence est jalonnée de projets et de rêves, qui nous aident à avancer dans notre vie, et qui constituent autant de « sens « à notre existence. Mais une fois ces projets ou ces aspirations réalisées (fonder une famille, faire le tour du monde…) dirons-nous que notre existence n'a plus de sens ? Il faut rêver d'impossible, pour que notre désir oriente (et par là même donne une signification) et porte notre existence jusqu'à son terme. Si nous désirons l'impossible, c'est parce que nous lui reconnaissons non pas la valeur négative de brimer notre liberté ou de mettre en évidence nos limites et nos incapacités, mais celle, positive, parce que créatrice, de nous pousser à aller plus loin. La fin de notre vie n'aura peut-être pas vu la réalisation de nos désirs, mais l'impossible agit sur l'être humain comme un « stimulant «. Plus encore, désirer l'impossible, c'est repousser toujours l'étendue de nos possibles. Nous ne savons jamais, et ne pouvons avoir à l'esprit toutes les combinaisons d'événements concevables qui auront lieu demain. Nous pouvons en énumérer quelques unes, les plus probables comme les plus folles d'ailleurs. Mais nous ne pouvons toutes nous les représenter. Or si nous désirons l'impossible, c'est aussi sur la foi que nous ne devons pas raisonner dans les strictes bornes que définit notre raison limitée, et qu'il se pourrait bien que les bornes du possibles soient beaucoup plus étendues qu'il n'y paraît. Désirer l'impossible, c'est donc être créateur. Contre le calcul mesquin de quelques probabilités d'événements pour m'aider à délibérer, le sujet nous invite à réfléchir sur une autre attitude face au réel. Désirer l'impossible, n'est pas une attitude irrationnelle, mais exigeante, face au monde. Si je me fixe d'atteindre la sagesse absolue du sage, et non celle d'un ami cher qui se distingue par sa vertu, c'est dans l'espoir que je pourrai être plus vertueux encore que cet ami. Il est vertueux, certes, mais sans doute peut-on l'être plus encore. On allèguera que désirer en ce cas être parfaitement vertueux, c'est se risquer à la déception et à la frustration de ne jamais l'être tel qu'on le voudrait, et donc à peut-être renoncer à l'être totalement. A quoi nous répondrons que c'est aussi à la constance de nos efforts et à notre opiniâtreté à désirer le bien que l'on mesure notre sagesse. Celui qui est capable, tout au long de la traversée de son existence, de maintenir le cap de son idéal, quelles que soient les tempêtes, quels que soient les obstacles et les revers de la vie, celui-là est bien plus vertueux que celui qui s'est fixé d'être courageux dans des circonstances où il jugeait qu'il était raisonnablement possible de l'être. L'impossible est moteur du dépassement, et donc du progrès. On songe à ces personnages hugoliens par exemple, comme le Gilliat des Travailleurs de la Mer, qui, derrière son visage hideux, sa morphologie monstrueuse, et sa solitude, dissimule un être extraordinaire, en quête d'absolu, et qui accomplit des actes prodigieux. Gilliat est la figure du progrès, celui qui ose désirer l'impossible, et qui prêt à tous les sacrifices, parvient là où, selon le mot de Rimbaud « d'autres se sont affaissés « (Lettre à Paul Démeny, de mai 1871). Si l'homme désire l'impossible, c'est parce qu'il y va de son bonheur. L'enjeu du sujet est bien d'ordre éthique, et nous avions montré précédemment que désirer l'impossible pouvait nous condamner à une insatisfaction chronique, cause de notre malheur. Mais nous devons reconnaître à présent que le désir d'impossible vise autre chose qu'une existence « bien menée «. Désirer l'impossible correspond à une exigence non de plaisir ou de satisfaction, mais de bonheur. C'est le dépassement de ce que nous croyions être nos limites qui nous permet d'accéder à un état de joie durable et de grande intensité, que suppose le bonheur. Le calcul des probabilités et de nos chances de réussites, et les délibérations que nous effectuons en fonction, nous procureront avec une certaine constance, la réussite de tous les projets que nous entreprendrons. Mais réussir un projet que l'on avait choisi parmi des choses raisonnables et fort probables ne procure de satisfaction que celle que nous procure une simple déduction logique. Elle est vérification d'un enchaînement causal, dont j'ai conçu les possibilités d'occurrence, ou, au mieux, le constat du bien fondé des lois de la probabilité. Le dépassement de soi en revanche nous met en contact avec l'inédit, l'impensable, bref l'absolu. Le bonheur ne s'obtient pas par le calcul de nos chances de réussir : ce dernier ne procure qu'une satisfaction passagère. Le bonheur est la quête elle-même. Du Bellay, qui imagine heureux celui qui « comme Ulysse, a fait un long voyage «, nous montre d'ailleurs bien que le bonheur n'est pas que dans le fait de revoir sa chaumière et « fumer [sa] cheminée «, il est aussi dans l'exil et l'imagination du retour chez soi. Ce n'est pas, que le bonheur, comme Rousseau le pense, soit dans le rêve ou la nostalgie de notre foyer. Il est dans les victoires que ce désir d'impossible nous permet d'atteindre. Ulysse n'est pas simplement heureux de retrouver son foyer. Il est heureux de l'avoir désiré, et d'avoir grâce à cela, traversé les mille et une épreuves que lui ont envoyées les dieux. Qu'il retrouve la fidèle Pénélope et le courageux Télémaque est plaisant. Mais c'est l'aventure d'Ulysse, qui est merveilleuse, pas son retour. Le très sage Homère ne dit peut-être rien d'autre que ceci : seul celui qui brave les dieux, et désire par là-même l'impossible, accède, au terme du voyage, au plus sublime, au plus absolu, et donc au plus doux des bonheurs.

 

Au terme de notre discussion, nous voyons donc que s'il y a contradiction logique entre notre désir et l'objet inaccessible qu'il se donne, cette contradiction, loin de nous conduire à l'errance et au désarroi, nous porte tout au long de notre vie et nous permet d'accéder à la fin de notre quête, au bonheur. Si nous désirons l'impossible, ce n'est pas toujours parce que nous ne savons quelle est notre place exacte dans l'univers. Le principe de la morale n'est pas de « travailler à bien penser «, comme le dit Pascal (Pensées, ed. Brunsvicg, n°347-348), s'il s'agit seulement de prendre la mesure de notre faiblesse et de réfléchir doctement aux limites de notre possible. « Bien penser «, c'est au contraire penser toujours au-delà de nos possibilités. Il y va de notre bonheur. Le grand homme est donc bien celui qui désire l'impossible. Mais il est grand de s'être donné jusqu'au bout les moyens de réaliser ce qu'il savait être impossible. Il est celui qui a su désirer, contre vents et marées, ce que tout le monde pensait irréalisable. Or, pour cette raison même, et pour reprendre le mot de Camus à la fin de son Mythe de Sisyphe, il faut imaginer, Ulysse, Alexandre le Grand ou Napoléon… heureux. \Sujet désiré en échange : Doit-on souhaiter satisfaire tous nos désirs ?  

 

« l'obtention de son désir.

Nous retrouvons ceci chez Aristote, philosophe grec du IIIe siècle avant JC, dans son roman de l'âme, où il dit que les désirs sont fondamentales dans laconstruction de la personnalité.

Dans le cas suivant désirer l'impossible à desconséquences positives.Il y a un désir que nous retrouvons quasiment chez la totalité des êtreshumains, qu'il soit conscient ou non, c'est le désir d'immortalité, qui finalementdécoule de la crainte de la mort.

Ce désir impossible pousse l'homme à fairedes enfants, car à travers leur progéniture les individus ont le sentiment decontinuer à vivre.

Ceci est une idée de Platon, philosophe grec du IIIe siècleavant JC, dans le Banquet.

Nous voyons ici encore une fois que le désir del'impossible permet une bonne chose, telle que la création biologique. Nous avons vu dans cette seconde partie, que dans certains cas le désir del'impossible pouvait être nécessaire que ce soit pour que l'homme se surpasse, pour la construction de sa personnalité ou encore pour la créationbiologique.

Nous allons maintenant découvrir qu'en fait le mieux serait dedésirer ce qui est possible. Pour son bonheur, l'homme devrait pouvoir maîtriser ses désirs.

Faisons doncla distinction entre volonté et désir.

La volonté est un exercice de la raisonqui permet le bonheur et la liberté, les désirs font partie de l'irrationnel.

Lavolonté permet de contrôler les désirs et par la même de sélectionner lesdésirs réalisables plutôt que ceux irréalisables.

Et ainsi le problème d'une insatisfaction perpétuelle n'a plus lieuxd'être.

Et l'homme devient par la même raisonnable.Les désirs restent tout de même quelque chose de nécessaire pour l'épanouissement de l'homme, sans désir l'hommene crée plus rien.

André Gide, dans son roman Les nourritures terrestres, écrit: « Je te le dis en vérité, Nathanaël,chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir.

» Nous voyons ici quele désir est plus fort que la possession , et est également une nécessité pour le bien être de l'homme.L'idéal serait en fait une juste mesure, sans excès.

Il faudrait conserver certains désirs et en rejeter d'autres parl'intermédiaire de la volonté.

Épicure, philosophe grec du IIIe siècle avant JC, dans la Lettre à Ménécée, propose defaire un calcul entre le plaisir obtenu par le désir et la quantité de souffrance ressenti.

Ainsi il est nécessaire devivre quelques désirs pour être heureux. Épicure constate que le plaisir, recherché par tous, est l'élément essentiel dela vie heureuse.

Conforme à la nature humaine, il procure un critère parfait detous les choix que nous avons à faire.

Il réside dans la sensation qui, nousmettant en rapport avec le monde, est la règle qui nous fait choisir ouexclure.

Ce bien est inné et personnel, puisque chacun est juge de ce qui luiconvient : c'est de notre propre point de vue sensible que nous jugeons dece qui est pour nous un plaisir ou une douleur.

Ainsi, nous ne recherchons pasles plaisirs qui engendrent de l'ennui, et l'on peut préférer endurer certainesdouleurs si elles sont le moyen d'accéder à un plus grand plaisir.

L'épicurismen'est pas une philosophie simpliste qui recherche le plaisir à tout prix et fuit ladouleur ; elle repose sur un principe de détermination, qui est la sensation,critère complexe d'estimation des valeurs, puisqu'il aboutit à un paradoxe :"Nous en usons parfois avec le bien comme s'il était le mal, et avec le malcomme s'il était le bien", (Épicure). En conclusion nous avons vu dans quels cas désirer l'impossible pouvaitconduire au malheur, que néanmoins dans d'autres cas cela pouvaitcontribuer au bien être et enfin que le désir de choses réalisables était plusraisonnables.

Nous pouvons donc répondre à notre problématique en disantque ce n'est pas le désir de l'impossible mais le désir de ce qui est possible quiest nécessaire.

Ce qui nous amène à nous demander si l'homme est totalement maître de ses désirs.. »

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