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BEAUMARCHAIS: analyse de son oeuvre

Publié le 16/05/2011

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Bref, une carrière faite d'intrigues et de publicité, à partir des dons les plus brillants et d'une véritable exploitation de sa propre personnalité. Tout est mobilisé au service de sa gloire, mais sa gloire elle-même, sa bonne ou sa mauvaise réputation sont sans cesse remises en jeu pour alimenter cette activité incessante, cette agitation, ces scandales sans lesquels il n'y aurait pas de Beaumarchais et sans lesquels nous n'aurions pas sans doute Le Mariage de Figaro.  La vertu comme le libertinage, ses femmes et ses maîtresses, la rouerie et l'enthousiasme, l'âpreté au gain et une générosité sans borne, la raison la plus froide et le goût de la bizarrerie, de l'extravagance, les appuis aristocratiques et la faveur populaire, tout concourt chez ce bourgeois hors pair à faire de lui l'arriviste qui se moque d'arriver, l'aventurier aux prises  plus avec lui-même qu'avec son temps et son milieu.   

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« A cet égard, les ambiguïtés du Barbier et du Mariage sont parfaitement levées par la troisième pièce de la trilogie deFigaro, La Mère coupable.

Ce drame, qui reprend certaines données du Tartuffe de Molière, rompt avec la verve etl'entrain des deux comédies.

La Révolution a éclaté, Almaviva n'est plus l'aristocrate donjuanesque, le « grandseigneur méchant homme », mais sa fortune est intacte.

Figaro ne revendique plus : il sauve les millions de sonmaître.On a allégué, pour expliquer la faiblesse de cette pièce, le vieillissement de Beaumarchais, ses échecs dans la luttequ'il menait depuis 1785 contre les grands financiers modernes.

Il vaudrait mieux y voir certaines constantes dutempérament de Beaumarchais, son goût des situations mélodramatiques et romanesques, des problèmes de famille,d'une sorte de médiocrité heureuse, qui restait caché sous les lazzi du Barbier et qui réapparaît dans ce rôled'entremetteur vieillissant, d'intermédiaire indispensable.Que le bourgeois se sente valet, rien d'extraordinaire à cela.

Il y gagne un franc-parler et y garde sa conscience declasse essentielle à la nation.

Entre les villageois apeurés et Almaviva inconscient, Figaro réalise l'harmonie joyeusedes classes.

Bien plus, pour le négociant Beaumarchais, et à la fin du XVIII° siècle, la classe à exploiter n'est pasdirectement le peuple, mais l'aristocratie qui possède et néglige ses biens.

Rêve de valet, que d'exploiter sesmaîtres, quitte à les défendre quand ils risquent de perdre leur fortune.Ainsi quand Beaumarchais dénonce par la bouche de Figaro le parasitisme aristocratique, il vise moins à supprimerl'état nobiliaire qu'à le coloniser.

Et au théâtre, dans la dialectique du dialogue, les monologues de Figaro constituentles étapes de cette colonisation verbale, mais ne vont pas plus loin, de même que les affaires de Beaumarchais nepeuvent prospérer que si la noblesse française continue à posséder Saint-Domingue ou à s'intéresser aux entreprisesindustrielles.Dans cette revanche des « gens à talent » sur les « hommes nés », Beaumarchais - Figaro représente la traction lamoins audacieuse de la bourgeoisie, qui se contenterait de quelques réformes sociales, de quelques satisfactionsd'amour-propre, de bons revenus, mais ne songe guère au pouvoir politique, bien différente en cela des grandsfinanciers comme Clavière 1.

qui envahissent la place de Paris dans les dix dernières années de l'ancien régime, et sesoucient fort peu de se laisser éblouir par le pactole d'une aristocratie en décomposition.Outre l'ambiguïté du caractère de son auteur, l'oeuvre de Beaumarchais fixe donc l'instabilité profonde d'une époqueet d'une classe qui sentent approcher l'heure du choix et ne peuvent se décider à choisir.

Dans une situationrévolutionnaire, Beaumarchais en discerne la plupart des éléments, parce que son valet a hérité de cette acuité, decet esprit enthousiaste de liberté et de scandale qui caractérisaient déjà le jeune P.-A.

Caron, mais il élude tous lesproblèmes, parce que ce valet reste pour l'essentiel la projection de l'auteur dans un monde de comédie, oùl'aventure et le jeu forment l'unique terrain de l'héroïsme égotiste.C'est peut-être pourquoi Stendhal aimait si fort Beaumarchais, et c'est sans doute grâce à ce mystère que l'oeuvresubsiste.

Car si ses positions politiques et sa situation sociale ont poussé Beaumarchais à empêcher lareprésentation du Mariage au moment où la Révolution était imminente, si donc l'oeuvre n'a pas joué un rôle directet précis dans l'explosion révolutionnaire, et si l'auteur était particulièrement discrédité dans tous les milieux, il n'enreste pas moins qu'en 1784 Figaro avait présenté, en même temps qu'une des plus vives satires de son époque — etceci dans le domaine social beaucoup plus que sur le plan politique — les principales aspirations de la sensibilitéLouis XVI.C'est ce mélange extraordinaire de libertinage et de vertu, de grossièreté et d'élégance, d'effronterie et de respect,d'audace et de timidité qui fait de tous ses personnages des cas-limites.

Ainsi Chérubin, type de l'enfant qui mue, etsouvenir d'un Beaumarchais attendri sur lui-même, n'est pas un ornement : pièce importante de l'intrigue, ilreprésente le lieu commun de tous les autres personnages, l'aspiration au bonheur, à un bonheur senti plus encoreque conçu comme devant allier la mâle activité de l'homme fait à l'innocence enrubannée de l'enfant.Absent du Barbier de Séville, essentiel au Mariage de Figaro, Chérubin est mort bien avant que débute l'action de LaMère coupable.

La comédie a tourné au drame et les problèmes sérieux ont fait surface quand la catastrophe dusiècle n'a plus permis cette curieuse dialectique de la responsabilité et de l'irresponsabilité, si caractéristique deBeaumarchais et de ses créatures : le grand d'Espagne investi des plus lourdes charges et doué de la plus grandelégèreté, la femme fidèle, trompée et tentée par les troubles amours maternelles, le valet à qui tout est à la foisinterdit et permis par sa position, la fille-mère abandonnée et cherchant à se faire épouser par celui qui n'est autreque son fils, la soubrette qui risque son piquant dans la recherche de l'établissement conjugal, tous concourent parleur ambiguïté, par le jeu de leur lucidité et de leur inconscience.

au festival endiablé de reconnaissance et dedésillusions qui termine le Mariage.

Seul un tempo d'une aussi éblouissante virtuosité pouvait provisoirement masquerd'une part le caractère mélodramatique des situations et d'autre part les nuances d'amertume que comporte cetterecherche du bonheur.Appris dans les « parades » au temps de Louis XV, modelé sur la vie même dans Eugénie et Les Deux Amis, cerythme dramatique est porté à sa plus grande ardeur vers 1780, dans les années heureuses des grandes entreprisesfinancières et des conquêtes multiples.

Nécessaire à l'expression d'un bonheur à la fois joyeux et inquiet, soutenupar toutes les passions de l'espoir, en ce moment fragile, où Beaumarchais fait confiance à son destin, qu'il acceptejuvénilement parce qu'il s'en croit le maître ou du moins l'avisé complice.C'est là le sommet de son oeuvre, dont Mozart traduit si justement la grâce équivoque et la revendicationimpatiente.

Plus tard, le rythme retombe, tente de se faire relayer par l'opéra avec Tarare et s'avoue vaincu dans LaMère coupable.

Ce mélodrame larmoyant, dont les recettes vont alimenter une bonne partie du théâtre français auXIX° siècle, jusqu'aux Corbeaux de Becque ou à Mille francs de récompense de Hugo, ne garde plus rien de cettedialectique du bonheur.

Tout au plus une sensibilité y savoure sa décadence en dessinant la nostalgie rouge et noirede la jeunesse gâchée.L'exceptionnelle réussite du Mariage de Figaro peut donc se comprendre par cette rencontre miraculeuse d'uneépoque instable, d'un tempérament bizarre, d'un système dramatique fondé sur le risque et d'une aspiration originaleau bonheur.

Par tous ces traits, la pièce porte témoignage d'une période qui va enfanter la Révolution.

Ce qui neveut nullement dire que Beaumarchais ait été un révolutionnaire, ni que son théâtre possède en ce sens quelque. »

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