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Un discours sur l'homme peut-il être scientifique ?

Publié le 17/03/2004

Extrait du document

discours

« A.

Cuvillier définit la sociologie comme «la science des groupes humains réels et concrets, c'est-à-dire enracinésdans l'histoire».

Cette définition met heureusement l'accent sur cette idée que le concept fondamental de lasociologie est celui du groupe social, que ce groupe est quelque chose de réel et de distinct des individus qui lecomposent et non une pure abstraction, et enfin que le présent s'éclaire par le passé et s'oriente vers l'avenir, lasociologie n'étant pas une étude intemporelle des formes et des rapports sociaux.

C'est cette «réalité objective desfaits sociaux» que Durkheim voulait affirmer en prescrivant comme première règle, en des termes, il est vrai,équivoques, «de considérer les faits sociaux comme des choses».

Cette règle exprime simplement que ledéterminisme, postulat de toute science, s'applique à la sociologie.

En conséquence, il est légitime de parler de loissociologiques.

D'abord, des lois de structure, qui établissent entre les éléments d'un même type social descorrélations, comme le lien entre la puissance quasi absolue du chef de famille et le culte des ancêtres.

Ensuite,parce que les faits sociaux sont des faits historiques, des lois d'évolution, comme le passage des économies ferméesaux économies d'échange.

Enfin et surtout, parce que les faits sociaux sont des faits de groupe, des loisstatistiques, forme par excellence des lois sociologiques, qui éliminent l'individuel en tant que tel pour faire ressortirce qui est imputable au social lui-même.

Le déterminisme sociologique est d'ailleurs un déterminisme causal d'unecomplexité particulière, car les effets réagissent à leur tour sur leurs causes, la réciprocité des actions causalesétant un fait marquant de l'explication sociologique.

Ainsi, par ses méthodes mêmes, la sociologie n'a pas à faireétat de l'activité propre du sujet, et il lui est inutile d'admettre, avec A.

Comte, selon une outrance qui fait penser àcelle de certains behavioristes, que «l'homme proprement dit n'existe pas, qu'il ne peut exister que l'Humanité», il luisuffit de s'en tenir au déterminisme global des faits sociaux qui assure son objectivité. § 3.

Compréhension et sciences humaines Cette conception objective des sciences humaines, qui semble les assimiler aux sciences de la nature, a déclenché,avec l'Allemand W.

Dilthey (1837-1911) et son école, un mouvement de protestation qu'exprime bien sa célèbreformule : «Nous expliquons la nature, nous comprenons la vie psychique.» Les sciences de la nature sontexplicatives en ce qu'elles cherchent par l'analyse les relations invariables ou lois entre les phénomènes.

Les«sciences de l'esprit» sont compréhensives en ce qu'elles perçoivent du dedans par une synthèse primitive le jeudes forces psychiques et leurs résultats.Mais, pour séduisantes qu'elles soient, les vues de Dilthey paraissent reposer sur un postulat très discutable, selonlequel nous connaîtrions parfaitement les états internes du fait que nous les vivons.

Or, on peut se demander sivivre un état n'est pas tout autre chose que de le connaître, et s'il n'y a pas, aussi bien en psychologie qu'ensociologie, une illusion sur l'expérience immédiate du vécu.

C'est ce que dénonce G.-G.

Granger.

La connaissancescientifique laisse échapper, dit-on, ce qui est le plus spécifique de l'acte humain et de ses oeuvres.

Ainsi, «pour laréalité psychologique et sociale, on voudrait que le savant la saisisse telle que l'expérience immédiate nous la donne,c'est-à-dire comme un tissu de qualités».

Or, «la saisie de la qualité correspond au moment immédiat de laconnaissance.

Mais cette immédiateté est équivoque ».

La science a précisément pour tâche «de dissiper cetteéquivoque et d'instaurer un mode de pensée résolument objectif ».

En psychologie et en sociologie comme en toutescience, il s'agit de dépasser l'immédiat, le subjectif, pour aboutir à un savoir indépendant du sujet et de l'esprit.

Aufond, toutes les théories du vécu et de l'immédiat reposent sur une confusion entre le réel et le vrai.

Ce qui estdonné dans l'expérience, c'est la réalité de nos états vécus.

Mais la vérité est d'un autre ordre, celui de l'intelligible,qui n'est jamais donné.

Pour atteindre le vrai, cet intelligible, les méthodes des sciences humaines doivent êtreobjectives comme celles des sciences physiques et biologiques et, comme elles, elles ont à construire le réel. § 4.

Liberté et déterminisme psychologique et sociologique Dans ce qui précède, une question essentielle reste implicitement posée.

Jusqu'où le déterminisme peut-il s'appliquerà l'homme? En effet, l'homme ne s'oppose pas seulement à la chose parce qu'il est conscience mais parce qu'il estliberté.

L'homme peut être objet de science dans la mesure où il se prête à une observation méthodique.

D'une part,en effet, son comportement individuel manifeste des régularités qui attestent une nature humaine justiciable d'unegénéralisation.

D'autre part, son comportement est aussi social et par conséquent objectivement déterminable.

Maisla liberté, si elle s'oppose sur le plan moral à la servitude des passions et sur le plan métaphysique à la fatalité, n'estnullement incompatible avec les déterminismes qui sont à la base des sciences de l'homme.

En premier lieu, sil'homme est capable de progrès, aussi bien individuel que collectif, c'est qu'il a le pouvoir d'échapper auxautomatismes, aux entraînements, mais aussi de créer dans le domaine des sciences, des arts et de la vie sociale etpolitique.

C'est dire qu'il est libre, et si cette liberté ne saurait être prouvée, c'est elle qui confère son sens àchacun de nos actes.

Mais liberté n'est pas caprice ou arbitraire, elle est ce qui rend par excellence l'acte rationnel,car il procède d'un déterminisme propre qui le justifie, dans la mesure où le motif qui l'inspire provient d'un jugementpersonnel.En second lieu, l'efficacité de l'action humaine ne peut être fondée que sur la connaissance des déterminismes.

Surle plan psychologique, les comportements conscients et volontaires ont des conditionnements biologiques quimarquent les limites entre lesquelles notre liberté peut s'exercer.

De même, comme l'écrit Jean Cazeneuve, «lesrégularités, les convergences, les corrélations fonctionnelles qu'on observe entre les cadres et les phénomènessociaux ne sont pas rigoureusement assimilables aux lois de la physique, de la chimie, de la cosmologie.

La liberté,en ce sens reste une dimension irréductible que la sociologie doit prendre en compte».

Si donc les phénomènessociaux ne sont pas absurdes et aléatoires, de son côté, «la liberté s'exerce dans un devenir qui n'est peut-être pasprogrammé, mais qui n'est pas fortuit, parce qu'il est compréhensible ».

Si l'histoire a un sens, ajoute-t-il, ce sensn'est pas donné à l'avance ni intégralement prévisible.

Les groupes humains ont une certaine plasticité, qui oblige lasociologie à «poursuivre sa marche en respectant l'originalité de son objet de recherche, qui, en même temps, est lesujet de la connaissance, puisque c'est l'homme».. »

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