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Éric RAIMOND. Un fil tranché ?

Publié le 22/03/2011

Extrait du document

Imaginons Villon revenant à Paris à l'époque de Stendhal, c'est-à-dire avant Haussmann et bien avant l'automobile : malgré quelques siècles d'absence, il n'aurait guère été dépaysé. Imaginons maintenant Stendhal ressuscité et plongé dans le Paris d'aujourd'hui. Un siècle et demi à peine s'est écoulé ; et pourtant il y a gros à parier que non seulement il n'y retrouverait pas son chemin, mais qu'il n'y survivrait pas longtemps : les bolides qui sillonnent les rues auraient tôt fait de le renvoyer dans sa tombe. Il y a quelques jours, chez un ami, je tombe en arrêt devant une reproduction d'un tableau de Monet : une symphonie de lumière, de verdure et d'eau. Au-dessous le titre : « Régates à Argenteuil «. Imaginer Monet revenant à Argenteuil et cherchant le bord de Seine où il a peint son tableau est une plaisanterie qui peut faire sourire. Sourire jaune. Dire que « ça a changé «, ici c'est ne rien dire. C'est un autre univers, une autre planète. Même la lumière a changé. Simple préoccupation d'intellectuel? Nostalgie d'artiste en quête d'atmosphère et de décors ? Non, mille fois non : car le milieu où l'on vit n'est pas qu'un décor. L'eau où nage le poisson n'est pas un décor. Artiste ou pas, l'homme est conditionné par son milieu. La culture n'est, d'une certaine façon, que le reflet de ce milieu. Or le milieu dans lequel ont vécu nos ancêtres était pratiquement le même d'une génération à l'autre. La nature était immuable, les villes construites pour durer des siècles.

D'où cette « ressemblance «, cet air de famille, malgré leur diversité, entre Villon, Stendhal, Mac Orlan1 et tant d'autres. Aujourd'hui, les paysages sont à peine plus durables que l'homme, à peine moins vulnérables. Comparées aux puissances de destruction qui sont maintenant à l'œuvre, les hordes d'Attila n'étaient que des enfants de chœur, mais un même mot revient à la bouche : barbarie. Car ce ne sont pas que des paysages qui disparaissent, ce ne sont pas que des villes qui sont rayées de la carte (en fait leur nom continue d'y figurer, c'est sur le terrain qu'elles ont cessé d'exister), ce n'est pas seulement le plus grand fleuve de France qui est transformé en canal et sa vallée curetée sans pitié. Comment de telles modifications du milieu naturel pourraient-elles n'avoir aucune conséquence sur les gens qui y vivent, sur leur façon d'être, de sentir, de penser? En un mot, c'est toute la culture à laquelle paysages, villes et fleuves avaient servi de berceau qui risque de disparaître ou de devenir incompréhensible à ceux qui auront vingt ans en l'an 2000. La chaîne s'est rompue, il n'y a plus d'après, comme dit la chanson, ou plutôt plus d'avant. Ceux qui viennent seront des étrangers n'ayant pas de passé, ou incapables de le comprendre. Tout ce qui a fait notre vie leur sera étranger. Comme si le fil qui nous reliait d'une génération à l'autre était soudain tranché net. Questions : 1) Résumez ce texte en une dizaine de lignes. 2) Expliquez : « une symphonie de lumière, de verdure et d'eau; immuable; à peine moins vulnérables; les hordes d'Attila «. 3) Pensez-vous que la « barbarie « soit à l'œuvre et que « le fil soit tranché «, comme le suggère l'auteur ? Vous exprimerez votre point de vue dans un développement composé de trente à cinquante lignes.   

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