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MOLIÈRE, Critique de l'École des Femmes, scène VI

Publié le 03/07/2011

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Commenter, non seulement par des observations de style, mais par des observations littéraires et morales, le texte que voici.

URANIE. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien touchée ; mais la comédie a ses charmes, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile à faire que l'autre. DORANTE. Assurément, madame ; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la comédie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins et dire des injures aux dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche pas de ressemblance; et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien écrites ; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter ; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. (MOLIÈRE, Critique de l'École des Femmes, scène VI.)

Conseils pratiques. — « Non seulement par des observations de style «, ainsi s'exprime la matière. Le jury a voulu très obligeamment mettre les candidats en garde contre le danger qu'il y aurait à faire porter sur le style le gros effort de l'explication. « Il y a des passages... où il importe avant tout de discuter les affirmations et les théories de l'auteur «. Cette remarque, extraite d'un Rapport cité dans notre Précis d'explication française, a cette fois toute sa valeur. On n'a rien fait quand on a expliqué ce passage, si riche en idées, en étudiant le sens des mots, l'allure de la phrase et la qualité de la langue.

« pièce a irrités ou exaspérés.

Non seulement il se défend contre la cabale, mais il attaque ses ennemis : marquis,précieux et précieuses, prudes, chacun a son tour; c'est à présent celui des mauvais auteurs jaloux dontl'insupportable pédantisme possède Aristote et Horace, en même temps que le secret d'assommer les honnêtesgens.

Monsieur Lysidas est de ceux qui font la moue devant les comédies, qui les traitent superbement debagatelles et regrettent pour le goût français que l'on se presse afin d'applaudir des balivernes quand les piècessérieuses sont délaissées.

Eh quoi ? N'y aurait-il donc de l'esprit et de la beauté que dans les poèmes sérieux, et lespoèmes comiques ne seraient-ils que niaiseries ? Monsieur Lysidas va avoir sa réponse : de là, le parallèle tracé parDorante entre la tragédie et la comédie. II L'idée générale est la suivante : il est bien plus aisé de faire une bonne tragédie qu'une bonne comédie.

Nousdiscuterons les arguments, présentés par Dorante, au nom de Molière.Ce qui nous frappe avant tout, c'est l'insistance avec laquelle cette idée est développée ; elle aurait pu fournirmatière à un parallèle; elle en fournit une à un vrai réquisitoire, serré, énergique.

C'est la preuve que ledéveloppement n'est pas « désintéressé ».

Je ne crois pas que Molière eût sur le cœur l'échec de sa tragédie (outragi-comédie) : Don Garde de Navarre ; ou plutôt il avait, à cette date, d'autres préoccupations.

On n'aime pas legenre où l'on n'a pas réussi, cela est vrai ; mais il y a ici une vivacité qui dénonce l'attaque personnelle.

Or qui nereconnaîtrait, dans cette critique très vive de la tragédie, celle de la tragédie cornélienne, et, à cette date dequelle autre tragédie pouvait-il être question ? De la tragédie de Thomas Corneille? Peut-être, et Molière aurait faitd'une pierre deux coups.

Mais c'est contre les chefs-d'œuvre mêmes de la tragédie héroïque, surhumaine, qui montredes sentiments extraordinaires dans une langue grandiloquente, que s'élance cette charge.

Corneille, rentré authéâtre avec Œdipe, pensait, à l'exemple de Lysidas, que le public se fourvoyait en délaissant les poèmes sérieuxpour des pièces plaisantes ; ses excuses étaient que Molière, en s'attaquant aux survivants de l'hôtel deRambouillet, préparait une génération qui ne comprendrait plus l'auteur du Cid et d'Œdipe; qu'un auteur dramatique,dont le succès a été éclatant, voit avec amertume qu'on déserte §es ouvrages pour ceux d'un farceur ; enfin etsurtout que Molière n'avait encore écrit ni Tartuffe mie Misanthrope.

Racine, dans ses mordantes préfaces, pouvaitplus tard reprendre contre son rival les reproches adressés par Dorante à la tragédie.

L'idée générale doit donc êtreainsi interprétée : il est plus facile de faire une tragédie héroïque qu'une bonne comédie.L'idée est présentée d'abord, avec quelque atténuation, par Uranie ; la maîtresse de maison est dans son rôle,d'abord en n'écrasant pas de sa dialectique Monsieur Lysidas qui est un invité, puis en faisant causer ceux quil'entourent sans garder pour elle-même le privilège de se faire écouter.

Elle n'accapare pas la conversation, elle ladirige.

Mais elle la dirige réellement.

La concession qu'elle fait est immédiatement suivie de deux affirmations dontl'une corrige ce qu'elle a dit, dont l'autre invite Dorante à pousser plus avant la charge.

Oui, la bonne tragédie estbelle, mais la comédie l'est aussi, et, pour la difficulté, les deux genres se valent.

Voilà la conversation aiguillée,pour ainsi dire.

Uranie n'est pas allée jusqu'au bout de sa pensée ; Dorante, qui n'a pas les mêmes raisons des'arrêter en chemin, conduira jusqu'au bout la pensée d'Uranie.Pour mieux discuter l'argumentation de Dorante, il semble que nous pouvons distinguer :a) ce qui dans sa tirade se rapporte à la tragédie ;b) ce qui se rapporte à la comédie.a) Reconnaissons qu'il y a quelque vérité dans la thèse de Dorante.

Il est certain qu'il est plus commode de faire unetragédie médiocre qu'une médiocre comédie.

L'histoire de notre théâtre nous le prouve : Racine a eu au 17e siècleun nombre incalculable de continuateurs qui, dès le collège, bâtissent, avec une déplorable facilité, des tragédiessuivant les recettes recommandées.

Beaucoup d'entre eux eurent leur jour de succès.

Au contraire, on ne fait pasune comédie, même médiocre, avec des souvenirs classiques, et en appliquant des formules autorisées.

Il y fautquelque expérience de l'âme, de la vie.Mais il est de toute évidence que Dorante ne serait pas satisfait de cette demi-approbation.Tandis que le poète comique fait tous ses efforts pour nous représenter la vérité de tous les jours, le poète tragiquese sort d'affaire en accumulant les tirades boursouflées ; son héros déclame sur ses sentiments et apostrophe laFortune, les Destins et les Dieux, voilà sa tâche ! —- Procédé de discussion un peu factice, puisqu'il oppose l'enfluredu style tragique, non pas à la simplicité du style comique, mais au fond même de la comédie.

Procédé un peuinjuste, car il y a des cas où ces « déclamations » sont conformes à la vérité humaine et sont la source des plusgrandes beautés.

Sans doute, les apostrophes, les prosopopées, les imprécations sont des « machines » tragiques ;on les emploie dès le 16e siècle, elles sont un de ces « procédés » dont nous parlions plus haut, et dont lesmédiocres usent et abusent.

Mais quand un poète de génie nous présente une âme forte, véhémente, passionnée, àl'heure où elle subit un assaut rude et violent, il ne se préoccupe pas de lui prêter les ressources de la rhétorique ; illa laisse traduire par des cris de passion, de haine, de douleur, les sentiments profonds qui la bouleversent.

Et celaest une vérité de plus.

Curiace, exaspéré par l'acharnement du sort qui l'oblige impitoyablement à briser les liens del'amitié et de l'amour, se contient devant le messager qui lui annonce la décision de sa patrie ; mais, dès que Flaviann'est plus là, il éclate, contre le ciel, les enfers et la terre, en imprécations qui nous secouent par leur énergie etleur sincérité.

De même, l'âme ardente de Cléopâtre exhale ses violences dans des apostrophes à ses sentiments, aupoison, au trône, etc., qui sont dans la logique du rôle, et sans lesquelles la physionomie de cette criminelleadmirable serait fausse et incomplète.

Enfin, Voltaire lui-même, malgré son aversion pour la déclamation et l'emphase(1), était le premier à faire rétablir à la scène le monologue que les actrices avaient supprimé au début de Cinna,faute d'avoir compris que non seulement il était utile à l'action mais encore que, par ces superbes apostrophes à dessentiments personnifiés, Corneille rendait les fureurs d'Emilie naturelles et vraisemblables.La « vraisemblance », telle est en effet la grande loi du théâtre.

Et alors, comment Dorante peut-il prétendre que lepoète d'une tragédie n'a pas besoin d'une pénétrante observation psychologique, et qu'il a le droit de se laisser aller. »

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