Devoir de Philosophie

Penser, est-ce fuir le concret ?

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Introduction On a coutume d'opposer l'attitude du penseur, que l'on se représente souvent retiré en luimême ou perdu dans des constructions abstraites dont il est seul à percevoir le sens, à la saisie immédiate et directe de ce qu'il prétend nous fait connaître et comprendre, à ce que l'on peut effectivement saisir de façon concrète. Cette opposition communément admise permet-elle toutefois de déterminer clairement ce qu'il en est de l'activité complexe et polymorphe qui consiste à penser, c'est-à-dire étymologiquement à peser et à comparer des éléments dont le rapport n'est pas donné mais construit par-delà les évidences premières ? Ne présuppose-t-on pas, en relayant l'opinion commune, que l'existence concrète et sensible des choses suffit à nous les faire connaître de façon immédiate et sûre ? On peut ainsi se demander : si la pensée est par nature une opération qui institue un écart, une distance (le « recul » dont parle le sens commun) entre les choses et l'esprit, faut-il nécessairement en conclure qu'il s'agit d'une fuite devant le réel, comme on parle d'un individu fuyant devant ses responsabilités ? Cet écart de la pensée, par nature abstraite, par rapport aux choses qu'elle vise et construit, n'est-il pas au contraire la condition de leur intelligibilité et ce qui permet une action concrète et assurée ?

« abstraites de la pensée scientifique nécessaires pour saisir les phénomènes naturels, le rapport de l'homme auxautres hommes et à lui-même est marqué par un effort de la pensée pour maîtriser et s'approprier les conditionsconcrètes et singulières de l'action.

1.

La critique de l'abstraction en art.

On reproche à l'art abstrait d'avoir vidé lapeinture de tout rapport direct au monde et aux choses concrètes, en renonçant notamment à la figuration et àl'imitation réalistes.

Mais la démarche de l'artiste, même classique, ne consiste-t-elle pas toujours à dépasserl'immédiateté du concret pour interroger le regard et le rapport familiers que nous avons avec les objets ? L'artabstrait insiste paradoxalement beaucoup sur le matériau brut, concret, en livrant au regard des formes privées dela sophistication et de l'élaboration chères à l'art classique.

Mais qu'il s'agisse de l'art contemporain ou classique,l'art demeure l'expérience singulière d'un artiste proposant à un public de partager un vécu sensible et concret àpartir d'une certaine façon de sentir, d'éprouver et d'appréhender le réel.

Il n'y pas de fuite, mais au contraire uneffort pour embrasser le réel avec l'esprit et le corps.

2.

Les formes concrètes de l'action humaine et leur rapport àla pensée.

C'est sans doute le champ de l'action politique et morale, qu'on ne peut jamais totalement distinguer, quioffre le meilleur exemple de l'effort de celui qui pense pour appréhender la réalité concrète dans sa consistance.Agir, c'est toujours chercher à adapter une conception de la réalité aux choses elles-mêmes, dont le caractèreconcret ne saurait être nié sans risquer de rendre l'action vaine ou illusoire.

3.

L'action morale.

D'un point de vuemoral, on dispose de principes et de règles hérités de la culture, de la société et de son éducation, qui sont autantd'interprétations pré-établies des comportements à adopter en toute situation.

Mais le propre d'une situation (cf.Sartre : qui la définit comme un ensemble de paramètres que l'on ne choisit pas mais qu'il faut assumer, par ex.

dansson théâtre), c'est d'être toujours singulière et concrète.

Agir, c'est donc toujours établir un rapport qui n'est pasdonné d'avance entre ce qui est et la manière qu'on a de le comprendre et de s'en saisir par une pensée.

Cf.L'existentialisme est un humanisme : l'exemple de celui hésite entre l'engagement dans la Résistance et sa mèremalade.

4.

L'action politique.

De même, une théorie politique (l'épistémologie n'épuise pas le champ de la théorie !)n'a de réelle valeur que si elle permet de transformer effectivement la réalité sociale concrète des hommes dans lesens que ces derniers souhaitent créer par leurs actes collectifs.

Le théoricien politique est soit un doux rêveur quiflatte les puissants sans concerner les masses humaines, soit au contraire celui qui inquiète les dominants etintéresse directement les hommes dans leurs conditions d'existence effectives, du moins s'il invente dans l'ordre dela pensée ce que la vie sociale et politique des individus requiert.

Cf.

Marx, dans la XIè thèse sur Feuerbach : « Lesphilosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, mais il s'agit de le transformer ».

Marx entend critiquer l'idéalisme desphilosophes, qui a finalement laissé le monde tel qu'il a toujours été, entre les mains des classes dominantes de lasociété.

Mais on peut se demander si cette interprétation, y compris celle qui conduit Marx à critiquer l'idéalismephilosophique, n'est pas la condition de possibilité d'une véritable transformation consciente et volontaire de la vieconcrète et matérielle des hommes.

Ce que critique Marx, ce n'est pas la pensée elle-même, mais son rapportinversé à la réalité concrète et matérielle.

Cf.

le concept d'idéologie comme « camera obscura ». Transition.

On voit que le passage par la théorie est une condition nécessaire de la compréhension des phénomènesconcrets ; mais il apparaît également que ce qui fait la valeur d'un effort théorique, c'est sa capacité de saisir de cequi est et d'agir sur les choses (par exemple une théorie scientifique permettant une innovation technique outechnologique, mais aussi un acte moral, politique ou une création artistique).

Il est donc temps de reconsidérer lesens même de la question posée et de sortir de la logique fermée, statique de ses présupposés qui opposent defaçon absolue la pensée au concret.

3ème partie : Comment s'assurer que la pensée ne consiste pas à fuit concret,mais à se l'approprier de façon théorique et pratique ? 1.

A la différence des phénomènes de la nature, qui noussont connus par des hypothèses abstraites et des expérimentations, l'action implique une part irréductible decontingence et d'incertitude qu'il faut constamment intégrer à l'action à l'aide de la pensée.

Par exemple, le stratègesur le champ de bataille doit constamment réviser son jugement et adapter son action aux conditions mouvantes del'expérience.

Ici, la pensée n'est pas une simple construction abstraite qui décrirait théoriquement des conditionsidéales de façon purement rationnelle.

L'action, qui s'inscrit dans le temps et dans l'espace, suppose un cadre deparamètres concrets qui ne dépendent pas d'elle pour exister.

C'est plutôt le contraire.

2.

Or, celui qui pense n'estpas jamais totalement coupé du concret.

Il appartient toujours à un monde dont il ne peut définitivement s'abstraireet se couper, au risque d'errer dans ses idées ou d'échouer dans ses actions.

Pour autant, il serait absurde dereprocher de renoncer à penser pour comprendre ou pour agir.

Une pensée sans rapport au réel est sans doutevaine et creuse, mais un rapport au concret sans le détour par la pensée est aveugle et source d'errance et dedésillusion.

3.

La figure du sage (antique par exemple) qui s'adonne à l'étude et à la contemplation sans renoncer àune action sur le monde, sur les autres et sur soi, est doute l'image la plus parlante d'un équilibre entre lesexigences de la pensée abstraite et celles de l'existence concrète.

Penser, c'est peut-être alors construire uneharmonie qui permet de vivre en accord avec la nature et avec soi.

Cf.

les écoles grecques de philosophie : lestoïcisme et l'épicurisme notamment.

Mais aussi les grandes sagesses orientales, comme le bouddhisme et letaoïsme.

Conclusion Il n'y a donc pas lieu de reprocher au fait de penser de nous éloigner du concret, puisque ce quinous est donné de façon concrète nous est transmis par nos sens, qui ne suffisent pas à constituer uneconnaissance fiable et vraie.

Le détour par l'abstrait est une condition nécessaire à la fois pour saisir rationnellementles phénomènes naturels et pour agir de façon adaptée sur la réalité.

Au lieu de renvoyer dos à dos concret etpensée, comme le laisse supposer la question posée initialement, c'est une certaine manière de définir l'un et l'autrequ'il faut soumettre à la critique de la raison : le concret, seul, demeure inintelligible et source d'erreur ; la penséeabstraite, coupée de ce qu'elle est censée faire connaître, n'est qu'une construction vide et vaine.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles