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LE PROBLÈME DU MAL (Propos de Philon dans les Dialogues sur la Religion naturelle, Chapitre XI)

Publié le 05/02/2011

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Si toutes les créatures vivantes étaient incapables de peine, ou si le monde était administré par des volitions particulières, le mal n'eût jamais trouvé accès dans l'univers ; et si les animaux étaient doués d'une large provision de forces et de facultés, au-delà de ce qu'exige la stricte nécessité, ou si les divers ressorts et principes de l'univers étaient assez exactement construits pour conserver toujours le tempérament juste et le juste milieu, il y aurait eu nécessairement très peu de mal en comparaison de ce que nous ressentons effectivement. Que prononcerons-nous donc en cette occasion ? Dirons-nous que ces circonstances ne sont pas nécessaires et qu'elles auraient aisément pu être changées dans l'agencement de l'univers ? Cette décision semble trop présomptueuse pour des créatures aussi aveugles et ignorantes que nous. Soyons plus modestes en nos conclusions. Convenons que, si la bonté de la Divinité — j'entends une bonté telle que celle de l'homme — pouvait être établie sur des raisons à priori passables, ces phénomènes, si fâcheux qu'ils fussent ne suffiraient pas à renverser le dit principe, mais pourraient aisément, de quelque manière inconnue, se concilier avec lui. Mais néanmoins affirmons que, comme cette bonté n'est pas préalablement établie, mais doit être inférée d'après les phénomènes il ne peut y avoir aucun motif en faveur d'une telle inférence, quand il y a tant de maux dans l'univers, et qu'il eût été si aisé d'y remédier, pour autant que l'entendement humain peut être admis à juger en un tel sujet. Je suis assez sceptique pour convenir que les mauvaises apparences, nonobstant tous mes raisonnements, peuvent être compatibles avec des attributs tels que vous les supposez : mais assurément elles ne sauraient jamais prouver ces attributs. Une telle conclusion ne saurait résulter du scepticisme : il faut qu'elle provienne des phénomènes, et de notre confiance dans les raisonnements que nous en déduisons.    Voyez, autour de vous, cet univers. Quelle immense profusion d'êtres animés et organisés, sentants et agissants ! Vous admirez cette variété et cette fécondité prodigieuses. Mais examinez d'un peu plus près ces existences vivantes, les seules qu'il vaille la peine de considérer. Combien elles sont hostiles et destructrices les unes pour les autres ! Combien insuffisantes, toutes tant qu'elles sont, pour leur propre bonheur ! Combien méprisables ou odieuses au spectateur ! Le tout n'éveille pas d'autre idée que celle d'une nature aveugle, imprégnée par un grand principe vivifiant, et laissant tomber de son giron, sans discernement ni soin maternel, ses enfants estropiés et avortés !    Ici le système manichéen s'offre comme une hypothèse propre à résoudre la difficulté ; et sans doute, à certains égards, il est très spécieux, et présente plus de probabilité que l'hypothèse ordinaire, en ce qu'il donne une explication plausible de l'étrange mélange de bien et de mal qui paraît dans la vie. Mais si nous considérons d'autre part l'uniformité et l'accord parfaits des parties de l'univers, nous n'y découvrirons aucune marque du combat d'un être malveillant contre un être bienveillant. Il y a sans doute une opposition de peines et de plaisirs dans les affections des créatures sentantes ; mais toutes les opérations de la nature ne s'accomplissent-elles pas par une opposition de principes, celles du chaud et du froid, de l'humidité et du sec, du léger et du lourd ? La vraie conclusion c'est que la source originelle de toutes choses est entièrement indifférente à tous ces principes, et ne préfère pas plus le bien au mal que la chaleur au froid, la sécheresse à l'humidité, ou le léger au lourd.    Il y a quatre hypothèses possibles touchant les premières causes de l'univers : qu'elles sont douées d'une parfaite bonté, qu'elles possèdent une parfaite malice, qu'elles sont opposées et possèdent à la fois de la bonté et de la malice, qu'elles ne possèdent ni bonté ni malice. Des phénomènes mélangés ne sauraient jamais prouver les deux premiers principes, qui sont exempts de mélange. L'uniformité et la fermeté des lois générales semblent s'opposer au troisième. Le quatrième semble donc de beaucoup le plus probable.   

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