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Survivance et postérité de l'Oedipe-Roi de Sophocle

Publié le 12/03/2011

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   I    Confinés de bonne heure par l'usage dans le cycle des légendes héroïques, les poètes tragiques furent amenés à reprendre souvent les mêmes sujets. Ils ne le pouvaient cependant qu'à la condition d'en modifier chaque fois la composition et d'y introduire de nouveaux incidents. Les malheurs d'Oedipe furent au cinquième siècle et au quatrième un de ces sujets préférés. Des témoignages recueillis chez divers écrivains mentionnent un Œdipe d'Euripide, sur lequel nous allons revenir ; un autre d'Achaeos d'Erétrie, poète de quelque renom, contemporain de Sophocle ; un autre encore de Xénoclès, joué en 415, qui valut le premier rang à son auteur d'ailleurs inconnu, dans un concours où Euripide fut classé le second ; une Œdipodie de Mélétos, l'accusateur de Socrate. Puis, au quatrième siècle, des pièces sur le même thème sont attribuées à Carkinos et à Théodecte, le plus renommé des auteurs dramatiques de ce temps1. Mais ce ne sont plus là pour nous que de simples titres, qui ne nous apprennent rien sur les rapports de ces tragédies avec l'Œdipe-Roi de Sophocle. Seul, l'Œdipe d'Euripide se prête à des conjectures assez vraisemblables pour qu'il y ait lieu de s'y arrêter.

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« Nous trouvons encore un souvenir de l'Œdipe-Roi dans les Phéniciennes du même Euripide, jouées vers 410.

Mais, àvrai dire, ce souvenir se réduit à peu de chose.

Œdipe y reparaît, tel à peu près qu'au dénouement de la grandetragédie de Sophocle, aveugle volontaire, accablé par le destin.

Seulement, retiré désormais au fond de son palais, iln'est plus que le triste spectateur d'événements auxquels il ne prend aucune part.

Il assiste de loin à la mort de sesdeux fils, et il semble qu'il n'ait survécu à ses malheurs que pour entendre de la bouche de Créon la sentence qui lecondamne à traîner ses derniers jours dans l'exil avec sa fille Antigone.

Il a auprès de lui Jocaste, qui est donccensée avoir survécu à la révélation de l'inceste.

En cela, Euripide s'est mis en contradiction formelle avec l'Œdipe-Roi, par une invention difficile à justifier, car, vraiment, on se représente mal la situation de cette mère auprès dece fils, qui a été son époux.

Sans doute, le grand poète a tiré de sa présence des effets pathétiques, lorsqu'il l'areprésentée cherchant vainement à réconcilier ses deux fils et mourant sur leurs corps à l'issue du duel fratricide.Mais ces effets ne sont-ils pas achetés au prix d'une trop forte invraisemblance morale, qui est en même temps unefaute de goût ? Bien qu'il y ait d'admirables scènes dans les Phéniciennes, la pièce démontre qu'il n'était pas possiblede modifier, sans de graves inconvénients, le dénouement de l'Œdipe-Roi.

La seule suite que comportait cettetragédie était celle que Sophocle lui-même lui a donnée dans son Œdipe à Colone. II On sait quelle influence les grandes œuvres du théâtre grec ont exercée à Rome, au temps de la République, Lalégende d'Œdipe fut-elle alors adaptée à la scène latine ? En l'état de nos connaissances, nous ne voyons quel'Antigone et les Phéniciennes d'Accius, qui puissent y être rapportées.

De ces deux pièces, il ne subsiste rien quipermette la moindre conjecture sérieuse sur la façon dont le poète latin avait imité ou modifié ses modèles grecs.

Letitre de la seconde indique d'ailleurs qu'elle était empruntée à Euripide. Il faut arriver jusqu'à Sénèque pour rencontrer une imitation qui se prête à une étude comparative.

Parmi les piècesqui lui sont attribuées, il y a en effet un Œdipe, qui procède directement de l'Œdipe-Roi de Sophocle.

C'est d'ailleursun exemple insigne de ce que peut faire le mauvais goût pour défigurer un chef-d'œuvre.

A voir quelles inventionsridicules ou absurdes l'abus d'une rhétorique dégénérée a substituées à la peinture naturelle et vraie des sentimentset des passions, on se demande si une pareille production mérite d'être prise au sérieux.

Contentons-nous d'enrappeler les principaux traits. Il faut subir au début un monologue de près de cent vers, dans lequel Œdipe, s'étonnant d'être épargné par la pestequi dévaste Thèbes, se demande si les dieux ne le réservent pas pour le sort affreux que lui ont annoncé lesoracles.

Fastidieux exposé, développé dans un style emphatique, à grand renfort d'antithèses, voilà ce que le poètelatin a imaginé de substituer à la magnifique scène initiale de la tragédie grecque.

Suit un chant du chœur, centvers encore, pour décrire l'épidémie dont Œdipe a déjà parlé, morceau dont la monotonie est mal rachetée par unchoix de détails répugnants.

Le second acte s'ouvre par l'arrivée de Créon, apportant de Delphes la réponse qu'il aété chargé de demander au dieu.

Belle occasion de nous représenter les transports de la Pythie, sa fureur, l'effroiproduit par les paroles obscures et menaçantes qu'elle a préférées.

Ainsi instruit, Œdipe, comme chez Sophocle,maudit le meurtrier, non sans l'accabler d'antithèses ; puis il questionne Créon sur les circonstances du meurtre.C'est l'inviter à une nouvelle description.

Du meurtre, Créon ne sait rien, mais, faute de mieux, il dépeint le lieu oùLaïos trouva la mort, et c'est une peinture où le poète déploie généreusement toute sa grandiloquence.

D'ailleurs,c'est à Tirésias qu'il est réservé, comme dans Œdipe-Roi, de faire connaître le meurtrier.

Seulement, la chose ne sefait pas simplement.

Le devin est censé consulter les dieux sur la scène.

On assiste en imagination à une suite deprodiges sinistres, que Manto, la fille de l'aveugle Tirésias, décrit avec force détails à faire frémir : les chairs desvictimes s'agitent, se raniment même ; un taureau, qu'on vient d'immoler, ressuscite et menace de ses cornes lesacrificateur.

La conclusion du devin est qu'il faut évoquer l'ombre de Laïos.

Si cette évocation n'est pas empruntéeà un modèle grec inconnu, elle est ce qu'il y a de propre à Sénèque dans ce drame.

Elle est effroyable.

Il est vraiqu'elle est censée se passer hors de la scène.

Mais Créon, qui l'a vue, en fait un récit détaillé.

Cent vingt-huit versne sont pas de trop pour dépeindre l'horreur du lieu où elle s'est accomplie et du spectacle dont il a été le témoin.N'a-t-il pas vu la terre se fendre, le monde infernal apparaître soudain à ses yeux épouvantés, et Laïos sortir toutsanglant de cet abîme ? Ce spectre, il l'a entendu dénoncer, dans un langage de forcené, le fils parricide dont il aété victime ainsi que l'inceste qui souille le palais.

Il a, de plus, reçu de lui l'ordre qu'il a été chargé de rapporter ;Laïos a prescrit de chasser au loin le maudit.

Mais Œdipe, bien que profondément troublé, refuse de croire à cerécit.

Comme dans Sophocle, il accuse Créon et s'emporte contre lui.

A partir, de là, du reste, plus d'inventionoriginale.

Sénèque suit de près, dans les derniers actes, le poète grec, auquel il prête seulement son style ampoulé.Nous voyons paraître le message de Corinthe annonçant la mort de Polybe ; il fait aussi savoir à Œdipe que celui-cin'était pas son père.

Nous assistons à la confrontation du Corinthien avec Phorbas, en qui nous reconnaissons leserviteur de Laïos, le pâtre qui, autrefois, avait exposé l'enfant sur le Cithéron.

Ce sont les scènes de Sophocle,privées de leur charme de naturel et de simplicité, et comme desséchées.

Tout se découvre en quelques instants.Œdipe supplie la terre de s'ouvrir pour l'engloutir mais la terre ne s'ouvrant pas, il se précipite dans son palais.

Unmessager vient, peu après, apprendre au public comment Œdipe s'est crevé les yeux, et il le fait avec uneconscience qui n'épargne à ses auditeurs rien de ce qu'une imagination éprise de détails horribles peut inventer deplus effroyable.

Dernière scène : Œdipe reparaît avec Jocaste, qu'on n'attendait plus guère ; et ils parlent encorelonguement, l'un pour démontrer qu'il a bien fait de se crever les yeux, l'autre pour examiner quel genre de mort elledoit choisir.

Finalement, elle se donne un coup d'épée, tandis qu'Œdipe sort, non sans inviter la maladie, la misère, lapeste et la rage à l'accompagner dans son exil. Le seul intérêt qu'il y ait à rapprocher cette longue déclamation d'école de l'Œdipe-Roi de Sophocle, c'est de faire. »

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