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26 La tempête devint vite plus lourde, avec de longues respirations qui faisaient frémir la colline et la forêt tout entière.

Publié le 15/12/2013

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26 La tempête devint vite plus lourde, avec de longues respirations qui faisaient frémir la colline et la forêt tout entière. Dès le petit matin, ayant rechargé le feu, Cyrille s'était remis à clouer les cartons contre les murs. Comme il en avait beaucoup plus qu'il ne lui en fallait, il put appliquer double épaisseur à l'ouest, au nord et sur une partie de la face exposée à l'est. -- J'irai en chercher d'autres, dit-il, dès que la tempête sera terminée. On doublera partout. Élodie, que la petite Clémence essayait d'aider, s'efforçait d'installer son ménage. Les deux garçons, confinés dans cet espace trop étroit, ne cessaient de se chamailler. La mère leur ordonnait mollement de rester tranquilles. Cyrille poussait d'épouvantables coups de gueule qui imposaient le calme durant trois ou quatre minutes. La chaleur était étouffante. Les vitres embuées ruisselaient mais rien ne permettait une aération rationnelle. Dès que Cyrille ouvrait la porte, des tourbillons de flocons entraient qui trempaient le plancher inégal, la table et les lits enfin installés. Les garçons se mettaient alors à danser, la bouche et les mains ouvertes, essayant d'attraper la neige. -- Dès que ça s'arrête de tomber, hurlait Cyrille, je les fous dehors. M'en vas les mettre à tirer du branchage. Certain que ça leur calmera les nerfs ! De sa voix douce, toujours unie, Élodie continuait de dire : -- Voyons, mes chéris, faites attention, vous risquez de casser quelque chose. Le petit Jules, qui avait déjà le visage anguleux de son père et ses gestes saccadés, menait le bal. Il obligeait son aîné à se mettre à quatre pattes, lui sautait sur le dos et cognait en criant de toutes ses forces : -- Hue ! Hue donc ! -- On tape pas sur les chevaux, lançait le père. Tu verras, on en aura bientôt un. Je t'apprendrai à le mener sans jamais cogner. C'était une alternance de coups de colère, de rires, de crises de larmes. S'empoignant parfois aux cheveux, les deux monstres roulaient sur le plancher rugueux fait de troncs refendus, heurtaient les caisses et les pieds de table. Trois fois ils renversèrent des boîtes de clous. Cyrille tempêtait. Élodie se lamentait et la petite Clémence s'appliquait à ramasser les clous qu'elle remettait dans les boîtes en les classant par taille. En raison de la buée et de la neige collée aux vitres, la lampe dut rester allumée toute la journée. Cyrille avait fabriqué une espèce de suspension en fil de fer qui avait beaucoup fait rire Élodie. Parfois, la désignant du regard, elle murmurait : -- Seigneur ! Sommes-nous pauvres ! Cyrille poursuivait sa besogne en jurant chaque fois qu'il se tapait sur les doigts : -- Bon Dieu, on n'y voit rien, là-dedans ! Élodie le plaignait. À un certain moment, elle dit : -- Mieux vaut qu'on n'ait pas trop de lumière, ça n'est pas très beau. Elle montrait les cartons cloués dans tous les sens, avec leurs inscriptions : nouilles, riz, fruits secs, marmelade, thé, avec des réclames aussi, où l'on voyait une vache les pattes en l'air ou des gens buvant la tête en bas. Comme Cyrille semblait hésiter entre le rire et la colère, Élodie ajouta : -- Au printemps, je donnerai une grande réception. J'inviterai toutes les amies de ma mère. Pas une n'a une pareille décoration. Elles sont capables d'en lancer la mode. -- Un jour, tu pourras les inviter, tes pimbêches. Elles en baveront devant nos terres ! La lueur de la lampe, le rougeoiement du foyer et la clarté blafarde de la fenêtre se combattaient, se mêlaient parfois en un jeu auquel la bouilloire ajoutait des nuées grises. Les garçons continuaient à se chamailler et leur soeur avait bien du mal à les éloigner du fourneau. -- Ça devient infernal ! hurlait Cyrille en brandissant son marteau comme pour les assommer. Le soir du troisième jour approchait. Soudain, la lueur qui filtrait par les vitres se métamorphosa. Elle poussa une lame plus nette. À travers les murs et la toiture, quelque chose d'indéfinissable était perceptible. L'annonce d'un enveloppement de soie. Enfilant ses bottes et sa grosse veste, Cyrille sortit. La neige ne tombait plus et le monde était rouge. Le sang du ciel ruisselait sur les arbres courbés, écrasés par la neige. Des branches commençaient à se secouer, laissant tomber des brassées de poussière très fine. La colline plus ronde s'était endormie, pareille à un gros animal pelotonné sous une couette rose duveteuse. Dès qu'il eut dépassé la place qu'il avait déblayée à plusieurs reprises dans la journée pour rentrer des bûches, Cyrille enfonça jusqu'à mi-jambes. Il dut renoncer et rentrer lacer ses raquettes. S'étant éloigné d'une centaine de pas, il se retourna. La neige s'était amoncelée contre le pignon nord de la maison et formait une butte qui montait presque jusqu'au toit. Au sud, une longue congère filait en décroissant, décrivant une courbe jusqu'au ruisseau. Avec son oeil d'or, cet énorme mufle, son corps gris et cette longue queue, la maison avait l'air d'un étrange poisson posé au pied de la colline. S'en retournant, Cyrille cria : -- Habillez-vous ! Venez voir ! Venez voir ! Comme ils ne disposaient que d'une seule paire de raquettes, il dut faire monter sa femme et les petits sur la traîne. Ce fut une expédition de plaisir, avec des cris, des rires, des chutes dans la neige où le traîneau versa trois ou quatre fois. Élodie riait autant que les enfants. Bien que le vent se fût calmé, le froid était vif, mais la joie réchauffait. -- C'est beau, dit Élodie, mais nous voilà bien prisonniers, avec tout ça. C'était plus propre, en tout cas, que les rues pentues de Montréal où les chevaux glissaient. C'était autre chose que la gadoue noirâtre et gelée où les pieds se tordaient. Plusieurs fois, Cyrille s'était blessé en tombant, un sac de charbon sur le dos. La grise aussi avait fait des chutes, se couronnant les genoux. Une fois, avec son crampon à glace, elle s'était si profondément ouvert l'intérieur d'un canon qu'on s'était demandé s'il ne faudrait pas l'abattre. À présent, tout cela était loin de cette petite maison qui avait l'air d'un gros jouet oublié devant une colline de coton que le soir colorait de mauve. Seule la fumée sortant de la cheminée rappelait que la maison était bien faite pour abriter des vies. Cyrille alla pelleter devant la porte et nettoyer un peu le tas de bois. Les enfants jouaient à l'aider, se poussant dans la neige où ils roulaient avec des cris stridents. Ils s'arrêtèrent lorsqu'un train s'annonça de loin par de longs sifflements. Il devait pousser un chasse-neige et peiner beaucoup. La locomotive haletait. Le convoi roulait très lentement. Cyrille fit rentrer les enfants, puis charria une pile de bois qui se mit à transpirer derrière le poêle brûlant. Il en profita pour sortir les cendres et vider le seau dont ils s'étaient servis pour leurs besoins durant la tempête. Il rentra également des pleines gamelles de neige et de glace. Comme il descendait la lampe et l'éteignait pour emplir le réservoir de pétrole, Élodie qui l'éclairait avec une bougie soupira : -- C'est vrai que nous sommes très pauvres. Mais les pauvres des villes sont plus pauvres que nous... Ils ont la honte, en plus. Ayant revissé le bec et longuement mouché la mèche, il remit le verre en place et tourna lentement la molette pour régler la flamme. Son visage était tendu par ce travail. Élodie l'observait. Lorsqu'il eut replacé la lampe dans son armature de fil de fer et rangé le bidon, elle vint se coller à lui. D'une voix à peine perceptible, elle demanda : -- Est-ce que tu crois vraiment que nous saurons semer ? Et récolter ? Et engranger ? Il la serra fort et souffla : -- On saura. Je te jure qu'on saura. On est sur une fameuse terre. La meilleure de toutes. -- Tu en es sûr ? -- Faivre me l'a dit. -- Si elle n'était pas bonne, ce serait pas la peine d'être si loin. -- C'est vrai qu'on est loin, mais au moins, on est bougrement tranquilles.

« — Au printemps, jedonnerai unegrande réception.

J’inviteraitouteslesamies dema mère.

Pasune n’aune pareille décoration.

Ellessontcapables d’enlancer lamode. — Un jour,tupourras lesinviter, tespimbêches.

Ellesenbaveront devantnosterres ! La lueur delalampe, lerougeoiement dufoyer etlaclarté blafarde delafenêtre se combattaient, semêlaient parfoisenun jeu auquel labouilloire ajoutaitdesnuées grises.

Lesgarçons continuaient àse chamailler etleur sœur avaitbiendumal àles éloigner dufourneau. — Ça devient infernal ! hurlaitCyrilleenbrandissant sonmarteau commepourles assommer.

Le soir dutroisième jourapprochait.

Soudain,lalueur quifiltrait parlesvitres se métamorphosa.

Ellepoussa unelame plusnette.

Àtravers lesmurs etlatoiture, quelque chosed’indéfinissable étaitperceptible.

L’annonced’unenveloppement de soie.

Enfilant sesbottes etsa grosse veste,Cyrille sortit.Laneige netombait plusetlemonde était rouge.

Lesang duciel ruisselait surlesarbres courbés, écrasésparlaneige.

Des branches commençaient àse secouer, laissanttomberdesbrassées depoussière très fine.

Lacolline plusronde s’était endormie, pareilleàun gros animal pelotonné sousune couette roseduveteuse. Dès qu’il eutdépassé laplace qu’ilavait déblayée àplusieurs reprisesdanslajournée pour rentrer desbûches, Cyrilleenfonça jusqu’àmi-jambes.

Ildut renoncer etrentrer lacer sesraquettes.

S’étantéloigné d’unecentaine depas, ilse retourna.

Laneige s’était amoncelée contrelepignon norddelamaison etformait unebutte quimontait presque jusqu’au toit.Ausud, unelongue congère filaitendécroissant, décrivantunecourbe jusqu’au ruisseau.

Avecsonœild’or, ceténorme mufle,soncorps grisetcette longue queue, lamaison avaitl’aird’un étrange poissonposéaupied delacolline.

S’en retournant, Cyrillecria : — Habillez-vous ! Venezvoir !Venez voir ! Comme ilsne disposaient qued’une seulepairederaquettes, ildut faire monter sa femme etles petits surlatraîne.

Cefut une expédition deplaisir, avecdescris, desrires, des chutes danslaneige oùletraîneau versatroisouquatre fois.Élodie riaitautant que les enfants.

Bienquelevent sefût calmé, lefroid étaitvif,mais lajoie réchauffait. — C’est beau,ditÉlodie, maisnous voilàbienprisonniers, avectoutça. C’était pluspropre, entout cas,que lesrues pentues deMontréal oùles chevaux glissaient.

C’étaitautrechose quelagadoue noirâtre etgelée oùles pieds setordaient. Plusieurs fois,Cyrille s’étaitblessé entombant, unsac decharbon surledos.

Lagrise aussi avaitfaitdes chutes, secouronnant lesgenoux.

Unefois, avec soncrampon à glace, elles’était siprofondément ouvertl’intérieur d’uncanon qu’ons’était demandé s’il nefaudrait pasl’abattre. À présent, toutcelaétait loindecette petite maison quiavait l’aird’un grosjouet oublié devant unecolline decoton quelesoir colorait demauve.

Seulelafumée sortant dela cheminée rappelaitquelamaison étaitbienfaite pour abriter desvies. Cyrille allapelleter devantlaporte etnettoyer unpeu letas debois.

Lesenfants jouaient àl’aider, sepoussant danslaneige oùilsroulaient avecdescrisstridents.

Ils s’arrêtèrent lorsqu’untrains’annonça deloin pardelongs sifflements.

Ildevait pousser un chasse-neige etpeiner beaucoup.

Lalocomotive haletait.Leconvoi roulaittrès. »

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