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A. ANGELLIER (1848-1911). L'habitude

Publié le 01/05/2011

Extrait du document

Angellier, qui eut une brillante carrière universitaire, a publié, entre 1896 et 1906, plusieurs recueils de vers, dont la profondeur et la délicatesse sont de jour en jour mieux senties. Cette poésie, à la fois mélancolique et résignée, s'apparente à celle de Vigny et de Sully-Prudhomme. Mais la forme n'en est pas toujours strictement soumise à la versification traditionnelle. On constatera que si les alexandrins d'Angellier comptent bien douze syllabes, on y rencontre des hiatus, et surtout que certaines pièces sont écrites entièrement en rimes féminines ; il en résulte un singulier effet de douceur et de charme. Angellier professa, à Paris et à l'Université de Lille, la littérature anglaise. Il a été influencé par les Lakistes, par Tennyson, Swinburne, etc.... L'habitude. A comparer avec une pièce célèbre de Sully-Prudhomme qui porte le même titre. Le poète des Vaines Tendresses analyse surtout les effets de l'habitude sur la vie pratique de l'homme, à qui elle fait perdre peu à peu le sens de la volonté et de la liberté. Angellier étudie au contraire les effets de l'habitude sur nos sentiments, nos deuils, nos souvenirs....  

La tranquille Habitude aux mains silencieuses Panse, de jour en jour, nos plus grandes blessures; Elle met sur nos cœurs ses bandelettes sûres Et leur verse sans fin ses huiles oublieuses ; Les plus nobles chagrins, qui voudraient se défendre, 5 Désireux de durer pour l'amour qu'ils contiennent, Sentent le besoin cher et dont ils s'entretiennent Devenir, malgré eux, moins farouche et plus tendre ; Et, chaque jour, les mains endormeuses et douces, Les insensibles mains de la lente Habitude, 10 Resserrent un peu plus l'étrange quiétude Où le mal assoupi se soumet et s'émousse ; Et du même toucher dont elle endort la peine, Du même frôlement délicat qui repasse Toujours, elle délustre, elle éteint, elle efface, 15 Comme un reflet, dans un miroir, sous une haleine, Les gestes, le sourire et le visage même Dont la présence était divine et meurtrière ; Ils pâlissent couverts d'une fine poussière ; La source des regrets devient voilée et blême. 20 A chaque heure apaisant la souffrance amollie, Otant de leur éclat aux voluptés perdues, Elle rapproche ainsi de ses mains assidues, Le passé du présent, et les réconcilie ; La douleur s'amoindrit pour de moindres délices ; 25 La blessure adoucie et calme se referme ; Et les hauts désespoirs, qui se voulaient sans terme, Se sentent lentement changés en cicatrices; Et celui qui chérit sa sombre inquiétude. Qui verserait des pleurs sur sa douleur dissoute, 30 Plus que tous les tourments et les cris vous redoute, Silencieuses mains de la lente Habitude.

(Le Chemin des Saisons, 1903, Hachette, édit.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Le poète étudie ici l'effet de l'habitude sur nos chagrins, nos deuils, nos blessures morales : 1° Comparer ce morceau avec la pièce de Sully Prudhomme intitulée également L'habitude (Sully Prudhomme envisage l'effet de l'habitude sur notre vie active, plutôt que sur notre vie affective ; — l'un et l'autre poètes insistent sur l'action lente, un peu sournoise, de l'habitude, et sur ses effets, souvent peu désirables, dont nous ne pouvons nous défendre) ; 2° Comment est personnifiée ici l'habitude? (elle nous est présentée ici, en quelque sorte, sous la figure d'une infirmière qui nous soigne malgré nous, et dont les mains pansent nos blessures)', 3° Insistez sur la fréquence de l'emploi du mot mains dans ce morceau. Quelles sont les épithètes appliquées à ces mains (aux mains silencieuses...; les mains endormeuses et douces..., les insensibles mains..., etc.); 4° Le ton du morceau, le mouvement des phrases n'ont-ils pas eux-mêmes la douceur assourdie, la lenteur endormeuse de l'habitude? (à préciser par des exemples.)

II. — Analyse de la poésie. — Nous suivons pas à pas l'action lente, continue, insidieuse de l'habitude : 1° Montrez comment, dans la ire strophe, se poursuit la comparaison de l'habitude à une infirmière; 2° La douleur veut-elle toujours être consolée? Quels sont, dans tout le morceau, les vers où s'exprime le désir que nous avons parfois de conserver notre peine? Quelle volupté peut nous offrir la douleur? 3° Montrez la douceur, la lenteur insensible, la constance de l'action de l'habitude; 4° Comment l'habitude peut-elle « rapprocher le passé du présent et les réconcilier « (6e strophe)?

III. — Le style; — les expressions. — 1° Le style de ce morceau est merveilleusement adapté au sujet (douceur, calme, mots aux sonorités voilées, lenteur de la phrase); 2° Expliquez : ses huiles oublieuses, l'étrange quiétude, ses mains assidues; 3° Citez deux vers renfermant un effet de contraste (dont la présence était divine et meurtrière; Et celui qui chérit sa sombre inquiétude).

IV. — Grammaire. — 1° Quelles sont les propositions contenues dans la 2e strophe? Nature et, s'il y a lieu, fonction de chacune d'elles; 2° Relevez trois pronoms relatifs dans ce morceau; fonction de chacun d'eux; 3° Citez dans cette poésie deux infinitifs employés substantivement (du même toucher..., le sourire).

Rédaction. — Bienfaits et méfaits de l'habitude.

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