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Abelard, Tome I y a plus d'une espèce, au-dessous de chaque espèce, plusieurs individus.

Publié le 11/04/2014

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Abelard, Tome I y a plus d'une espèce, au-dessous de chaque espèce, plusieurs individus. Puisqu'à chaque degré une forme distinctive est venue constituer une essence, les essences, hiérarchiquement subordonnées, sont distinctes, différentes les unes des autres. Ce sont des êtres essentiellement et numériquement différents. Ainsi il y a des corps, et ce n'est pas là un genre; il y a des genres (-animal, etc.), ce ne sont pas des espèces; il y a des espèces (homme, etc.), ce ne sont pas des individus. Que leur manque-t-il à chacun, corps, animal, homme, pour l'existence, pour être chacun à leur degré une essence déterminée? n'ont-ils pas la matière et la forme, la matière donnée par le degré supérieur, la forme dans l'attribut générateur qui les constitue? Et comme originairement la substance a été le point de départ, et qu'elle n'a disparu à aucun des degrés, jusques et y compris celui de l'individu, ils ont tous et chacun la réalité entière, la condition de l'être, l'être premier, une existence substantielle et déterminée. La conséquence apparente de tout cela, c'est que les degrés métaphysiques sont des degrés ontologiques, et que notamment les genres et les espèces sont des réalités. Cette conséquence semble inévitable, et cependant qu'on y réfléchisse. D'abord que devient le principe d'Aristote qu'aucun universel n'est substance[422]? Les genres et les espèces sont des universaux, et voilà qu'on leur décerne l'existence substantielle! Il ne s'agit plus cette fois d'un universel à part et suprême comme l'est la substance; il s'agit de toutes les sortes d'universels. A-t-on quelque artifice pour concilier le principe d'Aristote avec l'autre principe qui veut que l'existence soit partout où il y a matière et forme? [Note 422: [Grec: Ouden ton katholon uparchonton ousia esti.] ( Met., VII, XIII. T. II et p. 9 dans la trad.)] Puis, y a-t-on bien pensé? qu'est-ce, par exemple, qu'un genre ayant une existence réelle et distincte comme genre, qu'un animal qui n'est aucune espèce, ni homme, ni quadrupède, ni oiseau? Qu'est-ce qu'une espèce existant substantiellement, avant qu'il y ait des individus? Qu'est-ce que l'homme qui n'est encore ni Socrate, ni Platon, ni aucun autre, et qui existe cependant substantiellement comme eux? La raison n'admet point cela; le sens commun se révolte. Si les genres et les espèces ou, pour mieux dire, les universaux existent autant que les individus, il faut que ce ne soit pas comme les individus; il faut que ce soit d'un mode d'existence particulier que nous n'avons encore ni défini, ni deviné; mais alors quel mode d'existence? La solution de la question n'est pas à notre charge. A l'exprimer seulement, on en aperçoit dans le système admis toute la difficulté, et l'on voit en même temps que cette difficulté et peut-être la question même proviennent des prémisses posées dans les généralités de la dialectique, et résultent des notions ou des locutions qu'elle adopte pour déterminer les conditions absolues de l'être et la classification méthodique de ses degrés de transformation. C'est ici qu'il y a vraiment un départ à faire entre la science des choses et celle des mots. Voilà dans sa première généralité la question qui a valu à l'esprit humain des siècles d'efforts et d'angoisses. La question en elle-même était soluble. Mais comment n'aurait-elle pas été obscure et douteuse, du moment qu'elle était posée dans la langue de la dialectique, et compliquée tout à la fois par les principes et les expressions qui devaient dans l'esprit du temps servir à la résoudre? En effet, Aristote a établi plusieurs principes, sinon contradictoires, au moins difficilement conciliables. C'est assurément un principe fondamental chez lui qu'il n'y a de réel que la substance déterminée; que toute la réalité est dans le particulier, l'individuel; que c'est là la substance première. Et cependant il admet l'être dans les attributs; il distribue l'être aux catégories qui sont les attributs les plus généraux; il assigne à la forme qui est sans matière et qui n'est qu'une puissance à la fois déterminante et générale, la vertu de produire l'être réel en s'appliquant à la matière elle-même indéterminée et universelle; enfin il dit que les genres sont des notions ou des attributs essentiels, et classant les genres ainsi que les espèces parmi les substances, il ajoute que les espèces sont plus substances que les genres, quoiqu'il ait donné pour une des propriétés fondamentales de la substance celle de n'être susceptible ni de plus ni de moins[423]. CHAPITRE II. DE LA SCOLASTIQUE AU XIIe SIÈCLE ET DE LA QUESTION DES UNIVERSAUX. 147 Abelard, Tome I [Note 423: Met: * V, VII, VIII et XXVIII; VII, IV, V et VI. Categ., V. Topic., I, V.] Ces divers principes, dont nous croyons avoir fait comprendre la génération, et qui, bien qu'assez difficiles à raccorder dans Aristote, s'expliquent par l'inévitable diversité des points de vue que traverse nécessairement toute haute métaphysique, parvenaient aux penseurs de nos premiers siècles, non pas tout à fait conçus dans leur rédaction primitive à la fois précise et large, ni rapportés les uns aux autres, comme dans le maître, par l'unité d'un esprit puissant et systématique, mais épars, morcelés, décousus, et hormis peut-être dans une seule version littérale des deux premiers livres de la Logique, cités, rappelés, appliqués incidemment et quelquefois au hasard, suivant les besoins de leur thèse, par les interprétateurs du péripatétisme. Sur la foi de ces autorités secondaires, ces principes, acceptés par de fervents adeptes, presque sans choix, avec une confiance, une déférence égale, portaient nécessairement de l'embarras et de la confusion dans les esprits et dans la science; et l'effort comme le désespoir de la scolastique fut constamment d'éclaircir, de coordonner, de concilier tous ces principes, et d'amener la dialectique à l'état de concordance méthodique et démonstrative, qu'il semblait qu'elle ne pouvait manquer d'avoir, soit dans la nature des choses, soit dans l'esprit infaillible de son créateur. Avant la découverte de l'idéologie, le langage était toujours ontologique, même lorsqu'il s'appliquait à la seule logique. De là une ambiguïté continuelle qui permet de se servir des mêmes mots à ceux qui parlent des choses, et à ceux qui ne traitent que des idées, à ceux qui décrivent les conditions de l'être, et à ceux qui n'exposent que les lois de l'esprit. La question de la réalité des universaux, ou du moins une question analogue, celle de la réalité des objets de nos idées, aurait donc pu s'élever en quelque sorte sur tous les points que traitait la philosophie du moyen âge. La question a principalement porté sur les genres et les espèces; mais elle aurait pu s'appliquer à tout le reste, et ainsi devenir facilement la controverse générale, soit entre la doctrine du subjectif et celle de l'objectif, soit entre l'empirisme et l'idéalisme, soit entre le scepticisme et le dogmatisme. Elle n'a jamais atteint alors ce degré d'étendue et de profondeur, ne l'oublions point, sous peine de la dénaturer, et d'attribuer aux temps passés ce qui appartient à l'esprit moderne, la clairvoyance et la hardiesse dans les conséquences; mais comme ces grandes questions étaient là, toujours voisines de celle des universaux qui les côtoyait pour ainsi dire, on s'est plus tard laissé quelquefois aller en exposant celle-ci, à la confondre avec celles-là; et l'on a métamorphosé les dialecticiens du moyen âge en contemporains de Hume, de Kant, ou d'Hegel. S'ils y ont gagné en étendue d'intelligence, ils y ont perdu en originalité. Nous nous attacherons scrupuleusement à conserver à ces esprits singuliers leurs vrais caractères, comme aux questions qui les ont occupés leurs véritables limites. Nous avons essayé de montrer comment l'aristotélisme devait naturellement donner naissance, par la confusion apparente des principes ontologiques et des principes logiques, à la question des universaux. En fait, il est bon de rappeler de quelle manière elle s'est élevée; de le rappeler seulement, car cette histoire a déjà été supérieurement écrite, et ici nous ne pourrions que répéter M. Cousin. Nous croyons avec lui que cette question, les scolastiques auraient bien pu ne pas l'apercevoir, si Porphyre, au début de son Introduction aux catégories, ne les eût avertis qu'elle existait. On ne peut, en effet, trop le redire: Aristote a conquis le monde savant par ses lieutenants, plus encore que par lui-même. Ses catégories étaient le préliminaire de la science. Saint Augustin, ou plutôt l'auteur d'un livre qui porte son nom, a expliqué les catégories à l'école des Gaules. L'Isagogue de Porphyre était le préliminaire des catégories; Boèce a fait connaître Aristote et Porphyre, et commenté l'Isagogue, les Catégories, la Logique. Les esprits, touchés surtout de ce qui les initiait à la science, se sont arrêtés longtemps, sont incessamment revenus au point de départ. Par moment, l'introduction de Porphyre a semblé le livre unique. «Il est bon de commencer par là,» dit un spirituel contemporain d'Abélard, «mais à condition de n'y point consumer son âge, et que le livre ne soit pas l'entrée des ténèbres. Cinq mots à apprendre ne valent pas qu'on y use toute une vie, et il faut qu'une introduction conduise à quelque chose[424].» CHAPITRE II. DE LA SCOLASTIQUE AU XIIe SIÈCLE ET DE LA QUESTION DES UNIVERSAUX. 148
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« [Note 423: Met: * V, VII, VIII et XXVIII; VII, IV, V et VI.

Categ., V.

Topic., I, V.] Ces divers principes, dont nous croyons avoir fait comprendre la génération, et qui, bien qu'assez difficiles à raccorder dans Aristote, s'expliquent par l'inévitable diversité des points de vue que traverse nécessairement toute haute métaphysique, parvenaient aux penseurs de nos premiers siècles, non pas tout à fait conçus dans leur rédaction primitive à la fois précise et large, ni rapportés les uns aux autres, comme dans le maître, par l'unité d'un esprit puissant et systématique, mais épars, morcelés, décousus, et hormis peut-être dans une seule version littérale des deux premiers livres de la Logique, cités, rappelés, appliqués incidemment et quelquefois au hasard, suivant les besoins de leur thèse, par les interprétateurs du péripatétisme.

Sur la foi de ces autorités secondaires, ces principes, acceptés par de fervents adeptes, presque sans choix, avec une confiance, une déférence égale, portaient nécessairement de l'embarras et de la confusion dans les esprits et dans la science; et l'effort comme le désespoir de la scolastique fut constamment d'éclaircir, de coordonner, de concilier tous ces principes, et d'amener la dialectique à l'état de concordance méthodique et démonstrative, qu'il semblait qu'elle ne pouvait manquer d'avoir, soit dans la nature des choses, soit dans l'esprit infaillible de son créateur. Avant la découverte de l'idéologie, le langage était toujours ontologique, même lorsqu'il s'appliquait à la seule logique.

De là une ambiguïté continuelle qui permet de se servir des mêmes mots à ceux qui parlent des choses, et à ceux qui ne traitent que des idées, à ceux qui décrivent les conditions de l'être, et à ceux qui n'exposent que les lois de l'esprit.

La question de la réalité des universaux, ou du moins une question analogue, celle de la réalité des objets de nos idées, aurait donc pu s'élever en quelque sorte sur tous les points que traitait la philosophie du moyen âge.

La question a principalement porté sur les genres et les espèces; mais elle aurait pu s'appliquer à tout le reste, et ainsi devenir facilement la controverse générale, soit entre la doctrine du subjectif et celle de l'objectif, soit entre l'empirisme et l'idéalisme, soit entre le scepticisme et le dogmatisme.

Elle n'a jamais atteint alors ce degré d'étendue et de profondeur, ne l'oublions point, sous peine de la dénaturer, et d'attribuer aux temps passés ce qui appartient à l'esprit moderne, la clairvoyance et la hardiesse dans les conséquences; mais comme ces grandes questions étaient là, toujours voisines de celle des universaux qui les côtoyait pour ainsi dire, on s'est plus tard laissé quelquefois aller en exposant celle-ci, à la confondre avec celles-là; et l'on a métamorphosé les dialecticiens du moyen âge en contemporains de Hume, de Kant, ou d'Hegel.

S'ils y ont gagné en étendue d'intelligence, ils y ont perdu en originalité. Nous nous attacherons scrupuleusement à conserver à ces esprits singuliers leurs vrais caractères, comme aux questions qui les ont occupés leurs véritables limites. Nous avons essayé de montrer comment l'aristotélisme devait naturellement donner naissance, par la confusion apparente des principes ontologiques et des principes logiques, à la question des universaux.

En fait, il est bon de rappeler de quelle manière elle s'est élevée; de le rappeler seulement, car cette histoire a déjà été supérieurement écrite, et ici nous ne pourrions que répéter M.

Cousin. Nous croyons avec lui que cette question, les scolastiques auraient bien pu ne pas l'apercevoir, si Porphyre, au début de son Introduction aux catégories, ne les eût avertis qu'elle existait. On ne peut, en effet, trop le redire: Aristote a conquis le monde savant par ses lieutenants, plus encore que par lui-même.

Ses catégories étaient le préliminaire de la science.

Saint Augustin, ou plutôt l'auteur d'un livre qui porte son nom, a expliqué les catégories à l'école des Gaules.

L'Isagogue de Porphyre était le préliminaire des catégories; Boèce a fait connaître Aristote et Porphyre, et commenté l'Isagogue, les Catégories, la Logique. Les esprits, touchés surtout de ce qui les initiait à la science, se sont arrêtés longtemps, sont incessamment revenus au point de départ.

Par moment, l'introduction de Porphyre a semblé le livre unique.

«Il est bon de commencer par là,» dit un spirituel contemporain d'Abélard, «mais à condition de n'y point consumer son âge, et que le livre ne soit pas l'entrée des ténèbres.

Cinq mots à apprendre ne valent pas qu'on y use toute une vie, et il faut qu'une introduction conduise à quelque chose[424].» Abelard, Tome I CHAPITRE II.

DE LA SCOLASTIQUE AU XIIe SIÈCLE ET DE LA QUESTION DES UNIVERSAUX.

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