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Alexis de Tocquéville, Mémoire sur le paupérisme

Publié le 23/04/2011

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« L'homme naît avec des besoins, et il se fait des besoins. Il tient les premiers de sa constitution physique, les seconds de l'usage et de l'éducation. A l'origine des sociétés les hommes n'avaient guère que des besoins naturels« ne cherchant qu'à vivre ; mais, à mesure que les jouissances de la vie sont devenues plus étendues, ils ont contracté l'habitude de se livrer à quelques-unes d'entre elles, et celles-là ont fini par leur devenir presque aussi nécessaires que la vie elle-même. Je citerai l'usage du tabac, parce que le tabac est un objet de luxe qui a pénétré jusque dans les déserts et qui a créé parmi les sauvages une jouissance factice« qu'il faut à tout prix se procurer. Le tabac est presque aussi indispensable aux Indiens que la nourriture ; ils sont aussi tentés de recourir à la charité de leurs semblables quand ils sont privés de l'un, que quand l'autre leur manque. Ils ont donc une cause de mendicité inconnue à leurs pères. Ce que j'ai dit pour le tabac s'applique à une multitude d'objets dont on ne saurait se passer dans la vie civilisée. Plus une société est riche, industrieuse, prospère, plus les jouissances du plus grand nombre deviennent variées et permanentes, plus elles s'assimilent par l'usage et l'exemple à de véritables besoins. L'homme civilisé est donc infiniment plus exposé aux vicissitudes de la destinée que l'homme sauvage, Ce qui n'arrive au second que de loin en loin et dans quelques circonstances, peut arriver sans cesse et dans des circonstances très ordinaires au premier. Avec le cercle de ses jouissances, il a agrandi le cercle de ses besoins et il offre une plus large place aux coups de la fortune. De là vient que le pauvre d'Angleterre paraît presque riche au pauvre de France ; celui-ci à l'indigent espagnol. Ce qui manque à l'Anglais n'a jamais été en la possession du Français. Et il en est ainsi à mesure qu'on descend l'échelle sociale. Chez les peuples très civilisés, le manque d'une multitude de choses cause la misère ; dans l'état sauvage, la pauvreté ne consiste qu'à ne pas trouver de quoi manger.    « Les progrès de la civilisation n'exposent pas seulement les hommes à beaucoup de misères nouvelles ; ils portent encore la société à soulager des misères auxquelles, dans un état à demi policé, on ne songerait pas. Dans un pays où la majorité est mal vêtue, mal logée, mal nourrie, qui pense à donner au pauvre un vêtement propre, une nourriture saine, une commode demeure? Chez les Anglais, où le plus grand nombre, possesseur de tous ces biens, regarde comme un affreux malheur de ne pas en jouir, la société croit devoir venir au secours de ceux qui en sont privés, et guérit les maux qu'elle n'apercevrait même pas ailleurs.    « En Angleterre, la moyenne des jouissances que doit espérer un homme dans la vie est placée plus haut que dans un autre pays du monde. Ceci facilite singulièrement l'extension du paupérisme (1) dans ce royaume.    « Si toutes ces réflexions sont justes, on concevra sans peine que plus les nations sont riches, plus le nombre de ceux qui ont recours à la charité publique doit se multiplier, puisque deux causes très puissantes tendent à ce résultat : chez ces nations, la classe la plus naturellement exposée aux besoins augmente sans cesse, et d'un autre côté, les besoins s'augmentent et se diversifient eux-mêmes à l'infini ; l'occasion de se trouver exposé à quelques-uns devient plus fréquente chaque jour.    « Ne nous livrons donc point à de dangereuses illusions, fixons sur l'avenir des sociétés modernes un regard calme et tranquille. Ne nous laissons pas enivrer par le spectacle de sa grandeur ; ne nous décourageons pas à la vue de ses misères. A mesuré que le mouvement actuel de la civilisation se continuera, on verra croître les jouissances du plus grand nombre ; la société deviendra plus perfectionnée, plus savante ; l'existence sera plus aisée, plus douce, plus ornée, plus longue ; mais en même temps, sachons le prévoir, le nombre de ceux qui auront besoin de recourir à l'appui de leurs semblables pour recueillir une faible part de tous ces biens, le nombre de ceux-là s'accroîtra sans cesse. On pourra ralentir ce double mouvement; les circonstances particulières dans lesquelles les différents peuples sont placés précipiteront ou suspendront son cours ; mais il n'est donné à personne de l'arrêter. «    Alexis de Tocquéville, Mémoire sur le paupérisme (1835).    « Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées telles qu'elles sont présentées^ soit une analyse qui regroupe les idées essentielles.    Vous dégagerez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.   

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