Caractère de Montesquieu.
Publié le 04/05/2011
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Parmi les remarques, et réflexions que Montesquieu nous a laissées sur lui-même, nous en choisissons un certain nombre qui doivent être étudiées : i° à titre de commentaire de sa biographie et de ses ouvrages; — 2° en elles-mêmes, comme des maximes relatives à la société dans laquelle il vit, et souvent d'une portée plus générale.
"L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé. Je suis presque aussi content avec des sots qu'avec des gens d'esprit : car il y a peu d'hommes si ennuyeux qui ne m'aient amusé ; très souvent il n'y a rien de si amusant qu'un homme ridicule. J'ai eu naturellement de l'amour pour le bien et l'honneur de ma patrie, et peu pour ce qu'on appelle la gloire; j'ai toujours senti une joie secrète lorsqu'on a fait quelque règlement qui allait au bien commun. Je n'ai pas été fâché de passer pour distrait ; cela m'a fait hasarder bien des négligences qui m'auraient embarrassé. J'aime les maisons où je puis me tirer d'affaire avec mon esprit de tous les jours. Dans les conversations et à table; j'ai toujours été ravi de trouver un homme qui voulût prendre la peine de briller : un homme de cette espèce présente toujours le flanc, et tous les autres sont sous le bouclier. Ce qui m'a toujours donné une assez mauvaise opinion de moi, c'est qu'il y a fort peu d'états dans la république auxquels j'eusse été véritablement propre. Quant à mon métier de président, j'ai le coeur très droit : je comprenais assez les questions en elles-mêmes ; mais quant à la procédure, je n'y entendais rien. Je m'y suis pourtant appliqué ; mais ce qui m'en dégoûtait le plus, c'est que je voyais a des bêtes le même talent qui me fuyait, pour ainsi dire. Je n'ai jamais vu couler de larmes sans en être attendri. Je suis amoureux de l'amitié. Je suis, je crois, le seul homme qui ait mis des livres au jour sans être touché de la réputation de bel esprit. Ceux qui m'ont connu savent que, d'ans mes conversations, je ne cherchais pas trop à le paraître, et que j'avais assez le talent de prendre la langue de ceux avec lesquels je vivais. Quand on s'est attendu que je brillerais dans une conversation, je ne l'ai jamais fait : j'aimais mieux avoir un homme (d'esprit pour m'appuyer, que des sots pour m'approuver. En entrant dans le monde, on m'annonça comme un homme d'esprit, et je reçus un accueil assez favorable des gens en place : mais lorsque, par le succès des Lettres persanes, j'eus peut-être prouvé que j'en avais, et que j'eus obtenu quelque estime de la part du public, celle des gens en place se refroidit ; j'essuyai mille dégoûts. Comptez qu'intérieurement blessés de la réputation d'un homme célèbre, c'est pour s'en venger qu'ils l'humilient, et qu'il faut soi-même mériter beaucoup d'éloges pour supporter patiemment l'éloge d'autrui. J'ai la maladie de faire des livres, et d'en être honteux quand je les ai faits. Je n'ai pas aimé à faire ma fortune par le moyen de la cour ; j'ai songé à la faire en faisant valoir mes terres, et à tenir toute ma fortune immédiatement de la main des dieux. Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fût utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe et au genre humain, je le regarderais comme un crime. J'aime mieux être tourmenté par mon coeur que par mon esprit."
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