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Débat à la Chambre sur l'abolition de la peine de mort (1908) (anthologie de textes juridiques).

Publié le 20/05/2013

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Débat à la Chambre sur l'abolition de la peine de mort (1908) (anthologie de textes juridiques). Depuis la Révolution française, le débat sur la peine de mort rebondit régulièrement. En 1908, il est de nouveau d'actualité, opposant une opinion publique majoritairement favorable à la punition capitale et un président de la République, Armand Fallière, abolitionniste. Entre juillet et novembre 1908, les députés discutent le projet d'abolition présenté par le garde des Sceaux, Aristide Briand. Maurice Barrès et Jean Jaurès, notamment, défendent longuement leurs points de vue antagonistes, avant que le vote du 3 décembre ne sanctionne la défaite des abolitionnistes. L'abolition de la peine de mort : Maurice Barrès contre, Jean Jaurès pour... 3 juillet 1908 M. MAURICE BARRÈS. Je suis partisan du maintien de la peine de mort, du maintien et de l'application. Je n'apporterai pas à la tribune la masse des arguments que soulève cette grande question ; M. Failliot en a déjà fait valoir quelques-uns ; je voudrais me tenir sur un point particulier, bien déterminé et contredire, réfuter, si je puis, l'opinion de ceux qui croient que la suppression de la peine de mort serait un progrès moral pour la société française. C'est ce sentiment qu'il y avait tout au long du discours de M. Joseph Reinach, et c'est une tradition très puissante dans la vie politique et dans la littérature politique de ce pays. Des esprits très nombreux et fort généreux, certes, croient que l'abolition de la peine de mort c'est un pas en avant dans la voie du progrès. La suppression de la peine de mort sera-t-elle du moins un ennoblissement de notre civilisation ? Si quelques-uns sont disposés à le croire, c'est qu'ils désirent mettre, de plus en plus, notre société d'accord avec les données que nous fournit la science. Nous écoutons les médecins qui nous disent en regardant les assassins : « Ils sont nécessités. Celui-ci tient son crime de son atavisme ; cet autre le tient du milieu dans lequel il a été plongé «. Assurément il y a quelque chose à retenir de ces dépositions des médecins ; ce qu'il faut en retenir, me semble-t-il, c'est que notre devoir est de combattre les conditions qui ont préparé cet atavisme, d'assainir le milieu dans lequel tel ou tel homme s'est perverti. (Très bien ! très bien !) La science nous apporte une indication dont nous tous, législateurs, nous savons bien que nous avons à tirer parti ; combattons les causes de dégénérescence. Mais quand nous sommes en présence du membre déjà pourri, quand nous sommes en présence de ce malheureux -- malheureux, si nous considérons les conditions soc...

« innocentes il y avait des germes empoisonnés, résidus de la grande faute originelle, et qui pouvaient toujours infecter de leur venin les âmes les plus orgueilleuses etles plus assurées d’elles-mêmes.

Et en même temps il a dit qu’il n’y avait pas un seul individu humain, tant qu’il gardait un souffle, si déchu soit-il, si flétri soit-il, quin’eût été virtuellement compris dans l’œuvre du rachat divin et qui ne fût susceptible de réparation et de relèvement.

Et lorsque je constate cette doctrine duchristianisme, lorsque j’essaie d’en résumer ainsi l’essence et la substance, j’ai le droit de me demander comment des chrétiens, comment des hommes de cettehumanité misérable et divine… (Vifs applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs de gauche.) […] Je comprends que M.

Barrès, qui ne s’intéresse surtout au catholicisme que comme à un élément de la tradition nationale, ait pu se contenter de cette réponse : maisje ne crois pas que ceux des chrétiens qui entrent vraiment dans l’esprit du christianisme acceptent cette distinction et cette opposition : la force du christianisme, sagrandeur tragique, c’est de tout revendiquer, le monde d’ici et le monde de là-haut, et de vouloir mettre partout son empreinte.

Eh bien ! cette ambition universelle,elle a comme contrepartie une universelle responsabilité ; et c’est dans l’ordre naturel d’aujourd’hui, dans l’ordre social d’aujourd’hui que vous devez affirmer, quevous devez réaliser cette universelle possibilité de relèvement, que vous n’avez pas le droit d’ajourner à un autre monde.

(Applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.) S’il en était autrement, messieurs, si l’Église n’admettait pas, si elle ne proclamait pas pour les pires criminels, pour les individus que vous prétendez ne considérerque comme des déchets sociaux qu’il faut rapidement balayer, si l’Église n’admettait pas pour eux jusqu’au pied de l’échafaud la vocation au relèvement, lapossibilité du relèvement, quelle comédie lugubre joue donc l’aumônier des dernières prières ? (Vifs applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.) Par quelle dérision sinistre donne-t-il à baiser au condamné l’image du supplicié rédempteur ? (Nouveaux applaudissements.) Ah ! ne dites pas que c’est précisément la peur et la terreur de la guillotine qui préparent les conversions, car l’Église n’a jamais accepté de confondre cette terreuranimale de la vie qui va finir avec l’esprit de relèvement et de repentir, elle déclare que ce n’est pas la crainte servile, que c’est la crainte filiale qui, seule, prépare lerelèvement de l’homme : elle déclare que le criminel, pour être racheté, sauvé, doit non pas subir, mais accepter son expiation comme une satisfaction suprêmedonnée par lui au principe supérieur de l’ordre.

Et je vous demande si une conscience humaine que vous déclarez capable, naturellement ou surnaturellement, d’entrerdans ces vues, à la minute même où l’horreur de la mort va la saisir, je vous demande si une société chrétienne a le devoir de la frapper comme étantirrémédiablement gâté, irrémédiablement tarée.

Non, non, là comme en bien d’autres questions, à l’esprit chrétien les chrétiens substituent une tactique conservatricequi n’a plus du christianisme que le nom.

(Applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs de gauche.) […] Il y a des individus maudits, socialement maudits, qui sont à jamais incapables de se relever ; il y a des races socialement, historiquement maudites… […] Il y a sans doute aussi des classes socialement maudites (Vifs applaudissements à l’extrême gauche) qui ne seront jamais appelées à une libre coopération.

Fatalité de la guerre et de la haine, fatalité des races, fatalité des servitudes économiques, fatalité du crime et des répressions sauvages, voilà quel est, selon nos contradicteurs lefondement durable ou plutôt le fondement éternel de l’échafaud ! C’est sur ce bloc de fatalités qu’ils dressent la guillotine.

Elle a pour mission de signifier aux hommes que jamais le progrès social, jamais le progrès de l’éducation etde la justice ne dispensera les sociétés humaines de tuer et de répondre à la violence individuelle par le meurtre social.

C’est le signal du désespoir volontaire,systématique et éternel : c’est le disque rouge projetant ses lueurs sanglantes sur les rails et signifiant que la voie est barrée, que l’espérance humaine ne passera pas !(Vifs applaudissements à l’extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.) Et pourquoi, messieurs, dans quel intérêt, pour quel dessein pratique, par quelle nécessité de sécurité immédiate, demande-t-on aux républicains d’abandonner leurstraditions ? On nous dit : « La peine de mort ! elle est nécessaire, elle est exemplaire ; si on la supprime, les crimes vont se multiplier.

» Messieurs, j’ai d’abord le droit de dire à la commission que c’est à elle de faire la preuve.

Vous reconnaissez, vous-mêmes, que la peine de mort est atroce, qu’elle estune forme de barbarie, que vous voudriez la rejeter, que vous demanderiez au pays de la rejeter, si elle n’était pas strictement indispensable à la sécurité des hommes. C’est à vous, messieurs, de faire la preuve, par des faits décisifs, qu’elle est, en effet, indispensable.

Or, qu’est-ce que je remarque ? Ah ! si vous la maintenez, sivous la développez, il y aura demain une certitude, la certitude que des têtes humaines tomberont ; mais il y aura cette certitude aussi que, parmi ces têtes quitomberont, il y aura des têtes d’innocents.

(Applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche — Applaudissements à l’extrême gauche.) Source : Journal officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, débat entre Maurice Barrès et Jean Jaurès, 3 juillet et 18 novembre 1908, cité par Mopin (Michel) les Grands Débats parlementaires de 1875 à nos jours, sous la direction de Philippe Ardant, Paris, la Documentation française, 1988. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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