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Eugène, dérouté d'abord, entrevit alors la vérité.

Publié le 29/10/2013

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Eugène, dérouté d'abord, entrevit alors la vérité. Et d'une voix charmante : - Allons, tu es un homme habile... Tu viens me demander pour témoin, n'est-ce pas ? Compte sur moi... S'il le faut, je mènerai à ta noce tout le côté droit du Corps législatif ; ça te poserait joliment... Puis, comme il avait ouvert la porte, d'un ton plus bas : - Dis ?... Je ne veux pas trop me compromettre en ce moment, nous avons une loi fort dure à faire voter... La grossesse, au moins, n'est pas trop avancée ? Saccard lui jeta un regard si aigu, qu'Eugène se dit en refermant la porte : « Voilà une plaisanterie qui me coûterait cher, si je n'étais pas un Rougon. « Le mariage eut lieu dans l'église Saint-Louis-en-l'Île. Saccard et Renée ne se virent que la veille de ce grand jour. La scène se passa le soir, à la tombée de la nuit, dans une salle basse de l'hôtel Béraud. Ils s'examinèrent curieusement. Renée, depuis qu'on négociait son mariage, avait retrouvé son allure d'écervelée, sa tête folle. C'était une grande fille, d'une beauté exquise et turbulente, qui avait poussé librement dans ses caprices de pensionnaire. Elle trouva Saccard petit, laid, mais d'une laideur tourmentée et intelligente qui ne lui déplut pas ; il fut, d'ailleurs, parfait de ton et de manières. Lui, fit une légère grimace en l'apercevant ; elle lui sembla sans doute trop grande, plus grande que lui. Ils échangèrent quelques paroles sans embarras. Si le père s'était trouvé là, il aurait pu croire, en effet, qu'ils se connaissaient depuis longtemps, qu'ils avaient derrière eux quelque faute commune. La tante Élisabeth, présente à l'entrevue, rougissait pour eux. Le lendemain du mariage, dont la présence d'Eugène Rougon, mis en vue par un récent discours, fit un événement dans l'île Saint-Louis, les deux nouveaux époux furent enfin admis en présence de M. Béraud du Châtel. Renée pleura en retrouvant son père vieilli, plus grave et plus morne. Saccard, que rien jusque-là n'avait décontenancé, fut glacé par la froideur et le demi-jour de l'appartement, par la sévérité triste de ce grand vieillard, dont l'oeil perçant lui sembla fouiller sa conscience jusqu'au fond. L'ancien magistrat baisa lentement sa fille sur le front, comme pour lui dire qu'il lui pardonnait, et se tournant vers son gendre : - Monsieur, lui dit-il simplement, nous avons beaucoup souffert. Je compte que vous nous ferez oublier vos torts. Il lui tendit la main. Mais Saccard resta frissonnant. Il pensait que si M. Béraud du Châtel n'avait pas plié sous la douleur tragique de la honte de Renée, il aurait d'un regard, d'un effort, mis à néant les manoeuvres de Mme Sidonie. Celle-ci, après avoir rapproché son frère de la tante Élisabeth, s'était prudemment effacée. Elle n'était pas même venue au mariage. Il se montra très rond avec le vieillard, ayant lu dans son regard une surprise à voir le séducteur de sa fille petit, laid, âgé de quarante ans. Les nouveaux mariés furent obligés de passer les premières nuits à l'hôtel Béraud. On avait, depuis deux mois, éloigné Christine, pour que cette enfant de quatorze ans ne soupçonnât rien du drame qui se passait dans cette maison calme et douce comme un cloître. Lorsqu'elle revint, elle resta tout interdite devant le mari de sa soeur, qu'elle trouva, elle aussi, vieux et laid. Renée seule ne paraissait pas trop s'apercevoir de l'âge ni de la figure chafouine de son mari. Elle le traitait sans mépris comme sans tendresse, avec une tranquillité absolue, où perçait seulement parfois une pointe d'ironique dédain. Saccard se carrait, se mettait chez lui, et réellement, par sa verve, par sa rondeur, il gagnait peu à peu l'amitié de tout le monde. Quand ils partirent, pour aller occuper un superbe appartement, dans une maison neuve de la rue de Rivoli, le regard de M. Béraud du Châtel n'avait déjà plus d'étonnement, et la petite Christine jouait avec son beau-frère comme avec un camarade. Renée était alors enceinte de quatre mois ; son mari allait l'envoyer à la campagne, comptant mentir ensuite sur l'âge de l'enfant, lorsque, selon les prévisions de Mme Sidonie, elle fit une fausse couche. Elle s'était tellement serrée pour dissimuler sa grossesse, qui, d'ailleurs, disparaissait sous l'ampleur de ses jupes, qu'elle fut obligée de garder le lit pendant quelques semaines. Il fut ravi de l'aventure ; la fortune lui était enfin fidèle : il avait fait un marché d'or, une dot superbe, une femme belle à le faire décorer en six mois, et pas la moindre charge. On lui avait acheté deux cent mille francs son nom pour un foetus que la mère ne voulut pas même voir. Dès lors, il songea avec amour aux terrains de Charonne. Mais, pour le moment, il accordait tous ses soins à une spéculation qui devait être la base de sa fortune. NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com Malgré la grande situation de la famille de sa femme, il ne donna pas immédiatement sa démission d'agent voyer. Il parla de travaux à finir, d'occupations à chercher. En réalité, il voulait rester jusqu'à la fin sur le champ de bataille où il jouait son premier coup de cartes. Il était chez lui, il pouvait tricher plus à son aise. Le plan de fortune de l'agent voyer était simple et pratique. Maintenant qu'il avait en main plus d'argent qu'il n'en avait jamais rêvé pour commencer ses opérations, il comptait appliquer ses desseins en grand. Il connaissait son Paris sur le bout du doigt ; il savait que la pluie d'or qui en battait les murs tomberait plus dru chaque jour. Les gens habiles n'avaient qu'à ouvrir les poches. Lui s'était mis parmi les habiles, en lisant l'avenir dans les bureaux de l'Hôtel de Ville. Ses fonctions lui avaient appris ce qu'on peut voler dans l'achat et la vente des immeubles et des terrains. Il était au courant de toutes les escroqueries classiques : il savait comment on revend pour un million ce qui a coûté cinq cent mille francs ; comment on paie le droit de crocheter les caisses de l'État, qui sourit et ferme les yeux ; comment, en faisant passer un boulevard sur le ventre d'un vieux quartier, on jongle, aux applaudissements de toutes les dupes, avec les maisons à six étages. Et ce qui, à cette heure encore trouble, lorsque le chancre de la spéculation n'en était qu'à la période d'incubation, faisait de lui un terrible joueur, c'était qu'il en devinait plus long que ses chefs eux-mêmes sur l'avenir de moellons et de plâtre qui était réservé à Paris. Il avait tant fureté, réuni tant d'indices, qu'il aurait pu prophétiser le spectacle qu'offriraient les nouveaux quartiers en 1870. Dans les rues, parfois, il regardait certaines maisons d'un air singulier, comme des connaissances dont le sort, connu de lui seul, le touchait profondément. Deux mois avant la mort d'Angèle, il l'avait menée, un dimanche, aux buttes Montmartre. La pauvre femme adorait manger au restaurant ; elle était heureuse, lorsque, après une longue promenade, il l'attablait dans quelque cabaret de la banlieue. Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s'ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l'immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. Au dessert, il fit apporter une bouteille de bourgogne. Il souriait à l'espace, il était d'une galanterie inusitée. Et ses regards, amoureusement, redescendaient toujours sur cette mer vivante et pullulante, d'où sortait la voix profonde des foules. On était à l'automne ; la ville, sous le grand ciel pâle, s'alanguissait, d'un gris doux et tendre, piqué çà et là de verdures sombres, qui ressemblaient à de larges feuilles de nénuphars nageant sur un lac ; le soleil se couchait dans un nuage rouge, et, tandis que les fonds s'emplissaient d'une brume légère, une poussière d'or, une rosée d'or tombait sur la rive droite de la ville, du côté de la Madeleine et des Tuileries. C'était comme le coin enchanté d'une cité des Mille et une Nuits, aux arbres d'émeraude, aux toits de saphir, aux girouettes de rubis. Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d'or dans un creuset.   - Oh ! vois, dit Saccard, avec un rire d'enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris ! Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n'être pas faciles à ramasser. Mais son mari s'était levé, et s'accoudant sur la rampe de la fenêtre : - C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah ! cette fois, tout va brûler ! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic de quelque chimiste. Sa voix devenait grave et émue. La comparaison qu'il avait trouvée parut le frapper beaucoup. Il avait bu du bourgogne, il s'oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle qui s'était également accoudée à son côté : NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com - Oui, oui, j'ai bien dit, plus d'un quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! vois donc comme il est immense et comme il s'endort doucement ! C'est bête, ces grandes villes ! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou quatre ans à vivre. Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds, et lui montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres. - On a déjà commencé, continua-t-il. Mais ce n'est qu'une misère. Regarde là-bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre... Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts. - Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l'on perce ? demanda sa femme. - Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeux d'enfants que cela ! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis, de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au coeur des vieux quartiers. La nuit venait. Sa main sèche et nerveuse coupait toujours dans le vide. Angèle avait un léger frisson, devant ce couteau vivant, ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l'amas sans bornes des toits sombres. Depuis un instant, les brumes de l'horizon roulaient doucement des hauteurs, et elle s'imaginait entendre, sous les ténèbres qui s'amassaient dans les creux, de lointains craquements, comme si la main de son mari eût réellement fait les entailles dont il parlait, crevant Paris d'un bout à l'autre, brisant les poutres, écrasant les moellons, laissant derrière elle de longues et affreuses blessures de murs croulants. La petitesse de cette main, s'acharnant sur une proie géante, finissait par inquiéter ; et, tandis qu'elle déchirait sans effort les entrailles de l'énorme ville, on eût dit qu'elle prenait un étrange reflet d'acier, dans le crépuscule bleuâtre. - Il y aura un troisième réseau, continua Saccard, au bout d'un silence, comme se parlant à lui-même ; celui-là est trop lointain, je le vois moins. Je n'ai trouvé que peu d'indices... Mais ce sera la folie pure, le galop infernal des millions, Paris soûlé et assommé ! Il se tut de nouveau, les yeux fixés ardemment sur la ville, où les ombres roulaient de plus en plus épaisses. Il devait interroger cet avenir trop éloigné qui lui échappait. Puis, la nuit se fit, la ville devint confuse, on l'entendit respirer largement, comme une mer dont on ne voit plus que la crête pâle des vagues. Çà et là, quelques murs blanchissaient encore ; et, une à une, les flammes jaunes des becs de gaz piquèrent les ténèbres, pareilles à des étoiles s'allumant dans le noir d'un ciel d'orage. Angèle secoua son malaise et reprit la plaisanterie que son mari avait faite au dessert. - Ah ! bien, dit-elle avec un sourire, il en est tombé de ces pièces de vingt francs ! Voilà les Parisiens qui les comptent. Regarde donc les belles piles qu'on aligne à nos pieds ! Elle montrait les rues qui descendent en face des buttes Montmartre, et dont les becs de gaz semblaient empiler sur deux rangs leurs taches d'or. - Et là-bas, s'écria-t-elle, en désignant du doigt un fourmillement d'astres, c'est sûrement la Caisse générale. Ce mot fit rire Saccard. Ils restèrent encore quelques instants à la fenêtre, ravis de ce ruissellement de « pièces de vingt francs «, qui finit par embraser Paris entier. L'agent voyer, en descendant de Montmartre, se repentit sans doute d'avoir tant causé. Il accusa le bourgogne et pria sa femme de ne pas répéter les « bêtises « qu'il avait dites ; il voulait, disait-il, être un homme sérieux. Saccard, depuis longtemps, avait étudié ces trois réseaux de rues et de boulevards, dont il s'était oublié à exposer assez exactement le plan devant Angèle. Quand cette dernière mourut, il ne fut pas fâché qu'elle emportât dans la terre ses bavardages des buttes Montmartre. Là était sa fortune, dans ces fameuses entailles que sa main avait faites au coeur de Paris, et il entendait ne partager son idée avec personne, sachant qu'au jour du butin il y aurait bien assez de corbeaux planant au-dessus de la ville éventrée. Son premier plan était d'acquérir à bon compte quelque immeuble, qu'il saurait à l'avance condamné à une expropriation prochaine, et de réaliser un gros bénéfice, en obtenant une forte indemnité. Il se serait peut-être décidé à tenter l'aventure sans un sou, à acheter l'immeuble à crédit pour ne toucher ensuite qu'une différence, comme à la Bourse, lorsqu'il se remaria, moyennant cette prime de deux cent mille francs qui fixa et agrandit son plan. Maintenant, ses calculs étaient faits : il achetait à sa femme, sous le nom d'un intermédiaire, sans paraître aucunement, la maison de la rue de la Pépinière, et triplait sa mise de fonds, grâce à sa science acquise dans les couloirs de l'Hôtel de Ville, et à ses bons rapports avec certains personnages influents. S'il avait tressailli, lorsque la tante Élisabeth lui avait indiqué l'endroit où se trouvait la maison, c'est qu'elle était située au beau milieu du tracé d'une voie dont on ne causait encore que dans le cabinet du préfet de la Seine. Cette voie, le boulevard Malesherbes l'emportait tout entière. C'était un ancien projet de Napoléon Ier qu'on songeait à mettre à exécution, « pour donner, disaient les gens graves, un débouché normal à des quartiers perdus derrière un dédale de rues étroites, sur les escarpements des coteaux qui limitaient Paris «. Cette phrase officielle n'avouait naturellement pas l'intérêt que l'empire avait à la danse des écus, à ces déblais et à ces remblais formidables qui tenaient les ouvriers en haleine. Saccard s'était permis, un jour, de consulter, chez le préfet, ce fameux plan de Paris sur lequel « une main auguste « avait tracé à l'encre rouge les principales voies du deuxième réseau. Ces sanglants traits de plume entaillaient Paris plus profondément encore que la main de l'agent voyer. Le boulevard Malesherbes, qui abattait des hôtels superbes, dans les rues d'Anjou et de la Ville-l'Évêque, et qui nécessitait des travaux de terrassement considérables, devait être troué un des premiers. Quand Saccard alla visiter l'immeuble de la rue de la Pépinière, il songea à cette soirée d'automne, à ce dîner qu'il avait fait avec Angèle sur les buttes Montmartre, et pendant lequel il était tombé, au soleil couchant, une pluie si drue de louis d'or sur le quartier de la Madeleine. Il sourit ; il pensa que le nuage radieux avait crevé chez lui, dans sa cour, et qu'il allait ramasser les pièces de vingt francs. NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com Tandis que Renée, installée luxueusement dans l'appartement de la rue de Rivoli, au milieu de ce Paris nouveau dont elle allait être une des reines, méditait ses futures toilettes et s'essayait à sa vie de grande mondaine, son mari soignait dévotement sa première grande affaire. Il lui achetait d'abord la maison de la rue de la Pépinière, grâce à l'intermédiaire d'un certain Larsonneau, qu'il avait rencontré furetant comme lui dans les bureaux de l'Hôtel de Ville, mais qui avait eu la bêtise de se laisser surprendre, un jour qu'il visitait les tiroirs du préfet. Larsonneau s'était établi agent d'affaires, au fond d'une cour noire et humide du bas de la rue Saint-Jacques. Son orgueil, ses convoitises y souffraient cruellement. Il se trouvait au même point que Saccard avant son mariage ; il avait, disait-il, inventé, lui aussi, « une machine à pièces de cent sous « ; seulement les premières avances lui manquaient pour tirer parti de son invention. Il s'entendit à demi-mot avec son ancien collègue, et il travailla si bien, qu'il eut la maison pour cent cinquante mille francs. Renée, au bout de quelques mois, avait déjà de gros besoins d'argent. Le mari n'intervint que pour autoriser sa femme à vendre. Quand le marché fut conclu, elle le pria de placer en son nom cent mille francs qu'elle lui remit en toute confiance, pour le toucher sans doute et lui faire fermer les yeux sur les cinquante mille francs qu'elle gardait en poche. Il sourit d'un air fin ; il entrait dans ses calculs qu'elle jetât l'argent par les fenêtres ; ces cinquante mille francs, qui allaient disparaître en dentelles et en bijoux, devaient lui rapporter, à lui, le cent pour cent. Il poussa l'honnêteté, tant il était satisfait de sa première affaire, jusqu'à placer réellement les cent

« joueur, c’étaitqu’ilendevinait pluslong queseschefs eux-mêmes surl’avenir demoellons etde plâtre quiétait réservé à Paris.

Ilavait tantfureté, réunitantd’indices, qu’ilaurait puprophétiser lespectacle qu’offriraient lesnouveaux quartiersen 1870.

Danslesrues, parfois, ilregardait certaines maisonsd’unairsingulier, commedesconnaissances dontlesort, connu de lui seul, letouchait profondément. Deux moisavant lamort d’Angèle, ill’avait menée, undimanche, auxbuttes Montmartre.

Lapauvre femme adorait manger au restaurant ; elleétait heureuse, lorsque,aprèsunelongue promenade, ill’attablait dansquelque cabaretdelabanlieue. Ce jour-là, ilsdînèrent ausommet desbuttes, dansunrestaurant dontlesfenêtres s’ouvraient surParis, surcetocéan de maisons auxtoits bleuâtres, pareilsàdes flots pressés emplissant l’immensehorizon.Leurtable étaitplacée devant unedes fenêtres.

Cespectacle destoits deParis égaya Saccard.

Audessert, ilfit apporter unebouteille debourgogne.

Ilsouriait à l’espace, ilétait d’une galanterie inusitée.Etses regards, amoureusement, redescendaienttoujourssurcette mervivante et pullulante, d’oùsortait lavoix profonde desfoules.

Onétait àl’automne ; laville, souslegrand cielpâle, s’alanguissait, d’un gris doux ettendre, piquéçàetlàde verdures sombres, quiressemblaient àde larges feuilles denénuphars nageantsurun lac ; lesoleil secouchait dansunnuage rouge, et,tandis quelesfonds s’emplissaient d’unebrume légère, unepoussière d’or, une rosée d’ortombait surlarive droite delaville, ducôté delaMadeleine etdes Tuileries.

C’étaitcomme lecoin enchanté d’une citédes Mille etune Nuits, aux arbres d’émeraude, auxtoits desaphir, auxgirouettes derubis.

Ilvint unmoment où le rayon quiglissait entredeuxnuages futsiresplendissant, quelesmaisons semblèrent flamberetse fondre comme un lingot d’ordans uncreuset.   – Oh ! vois,ditSaccard, avecunrire d’enfant, ilpleut despièces devingt francs dansParis ! Angèle semit àrire àson tour, enaccusant cespièces-là den’être pasfaciles àramasser.

Maissonmari s’était levé,et s’accoudant surlarampe delafenêtre : – C’est lacolonne Vendôme, n’est-cepas,quibrille là-bas ?… Ici,plus àdroite, voilàlaMadeleine… Unbeau quartier, oùilya beaucoup àfaire… Ah !cette fois,tout vabrûler ! Vois-tu ?… Ondirait quelequartier boutdans l’alambic dequelque chimiste. Sa voix devenait graveetémue.

Lacomparaison qu’ilavait trouvée parutlefrapper beaucoup.

Ilavait budubourgogne, il s’oublia, ilcontinua, étendantlebras pour montrer ParisàAngèle quis’était également accoudéeàson côté : – Oui, oui,j’aibien dit,plus d’un quartier vafondre, etilrestera del’or aux doigts desgens quichaufferont etremueront la cuve.

Cegrand innocent deParis ! voisdonc comme ilest immense etcomme ils’endort doucement ! C’estbête, cesgrandes villes ! Ilne sedoute guèredel’armée depioches quil’attaquera undeces beaux matins, etcertains hôtelsdelarue d’Anjou ne reluiraient passifort sous lesoleil couchant, s’ilssavaient qu’ilsn’ont plusquetrois ouquatre ansàvivre. Angèle croyaitquesonmari plaisantait.

Ilavait parfois legoût delaplaisanterie colossaleetinquiétante.

Elleriait, mais avec un vague effroi, devoir cepetit homme sedresser au-dessus dugéant couché àses pieds, etlui montrer lepoing, enpinçant ironiquement leslèvres. – On adéjà commencé, continua-t-il.

Maiscen’est qu’une misère.

Regarde là-bas,ducôté desHalles, onacoupé Parisen quatre… Et de samain étendue, ouverteettranchante commeuncoutelas, ilfit signe deséparer laville enquatre parts. – Tu veux parler delarue deRivoli etdu nouveau boulevard quel’onperce ? demanda safemme. – Oui, lagrande croisée deParis, comme ilsdisent.

Ilsdégagent leLouvre etl’Hôtel deVille.

Jeuxd’enfants quecela ! C’est bon pour mettre lepublic enappétit… Quandlepremier réseauserafini,alors commencera lagrande danse.Lesecond réseau trouera laville detoutes parts,pourrattacher lesfaubourgs aupremier réseau.Lestronçons agoniseront dansle plâtre… Tiens,suisunpeu mamain.

Duboulevard duTemple àla barrière duTrône, uneentaille ; puis,dececôté, uneautre entaille, delaMadeleine àla plaine Monceau ; etune troisième entailledanscesens, uneautre danscelui-ci, uneentaille là, une entaille plusloin, desentailles partout.Parishaché àcoups desabre, lesveines ouvertes, nourrissant centmille terrassiers etmaçons, traversépard’admirables voiesstratégiques quimettront lesforts aucœur desvieux quartiers. La nuit venait.

Samain sèche etnerveuse coupaittoujours danslevide.

Angèle avaitunléger frisson, devantcecouteau vivant, cesdoigts defer qui hachaient sanspitié l’amas sansbornes destoits sombres.

Depuisuninstant, lesbrumes de l’horizon roulaient doucement deshauteurs, etelle s’imaginait entendre,souslesténèbres quis’amassaient danslescreux, de lointains craquements, commesila main deson mari eûtréellement faitlesentailles dontilparlait, crevant Parisd’un bout àl’autre, brisantlespoutres, écrasant lesmoellons, laissantderrière elledelongues etaffreuses blessures demurs croulants.

Lapetitesse decette main, s’acharnant surune proie géante, finissait parinquiéter ; et,tandis qu’elle déchirait sans effort lesentrailles del’énorme ville,oneût ditqu’elle prenait unétrange refletd’acier, danslecrépuscule bleuâtre. – Il yaura untroisième réseau,continua Saccard,aubout d’unsilence, comme separlant àlui-même ; celui-làesttrop NON-ACTIVATED VERSION www.avs4you.com. »

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