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Eugenie Grandet Eugenie apporta le verre.

Publié le 12/04/2014

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Eugenie Grandet Eugenie apporta le verre. Grandet tira de son gousset un couteau de corne a grosse lame, coupa une tartine, prit un peu de beurre, l'etendit soigneusement et se mit a manger debout. En ce moment, Charles sucrait son cafe. Le pere Grandet apercut les morceaux de sucre, examina sa femme qui palit, et fit trois pas; il se pencha vers l'oreille de la pauvre vieille, et lui dit: --Ou donc avez-vous pris tout ce sucre? --Nanon est allee en chercher chez Fessard, il n'y en avait pas. Il est impossible de se figurer l'interet profond que cette scene muette offrait a ces trois femmes: Nanon avait quitte sa cuisine et regardait dans la salle pour voir comment les choses s'y passeraient. Charles ayant goute son cafe, le trouva trop amer et chercha le sucre que Grandet avait deja serre. --Que voulez-vous, mon neveu? lui dit le bonhomme. --Le sucre. --Mettez du lait, repondit le maitre de la maison, votre cafe s'adoucira. Eugenie reprit la soucoupe au sucre que Grandet avait deja serree, et la mit sur la table en contemplant son pere d'un air calme. Certes, la Parisienne qui, pour faciliter la fuite de son amant, soutient de ses faibles bras une echelle de soie, ne montre pas plus de courage que n'en deployait Eugenie en remettant le sucre sur la table. L'amant recompensera sa Parisienne qui lui fera voir orgueilleusement un beau bras meurtri dont chaque veine fletrie sera baignee de larmes, de baisers, et guerie par le plaisir, tandis que Charles ne devait jamais etre dans le secret des profondes agitations qui brisaient le coeur de sa cousine, alors foudroyee par le regard du vieux tonnelier. --Tu ne manges pas, ma femme? La pauvre ilote s'avanca, coupa piteusement un morceau de pain, et prit une poire. Eugenie offrit audacieusement a son pere du raisin, en lui disant: --Goute donc a ma conserve, papa! Mon cousin, vous en mangerez, n'est-ce pas? Je suis allee chercher ces jolies grappes-la pour vous. --Oh! si on ne les arrete, elles mettront Saumur au pillage pour vous, mon neveu. Quand vous aurez fini, nous irons ensemble dans le jardin, j'ai a vous dire des choses qui ne sont pas sucrees. Eugenie et sa mere lancerent un regard sur Charles a l'expression duquel le jeune homme ne put se tromper. --Qu'est-ce que ces mots signifient, mon oncle? Depuis la mort de ma pauvre mere ... (a ces deux mots, sa voix mollit) il n'y a pas de malheur possible pour moi ... --Mon neveu, qui peut connaitre les afflictions par lesquelles Dieu veut nous eprouver? lui dit sa tante. --Ta! ta! ta! ta! dit Grandet, voila les betises qui commencent. Je vois avec peine, mon neveu, vos jolies mains blanches. Il lui montra les especes d'epaules de mouton que la nature lui avait mises au bout des bras. Voila des mains faites pour ramasser des ecus! Vous avez ete eleve a mettre vos pieds dans la peau avec laquelle se fabriquent les portefeuilles ou nous serrons les billets de banque. Mauvais! mauvais! --Que voulez-vous dire, mon oncle, je veux etre pendu si je comprends un seul mot. Eugenie Grandet 39 Eugenie Grandet --Venez, dit Grandet. L'avare fit claquer la lame de son couteau, but le reste de son vin blanc et ouvrit la porte. --Mon cousin, ayez du courage! L'accent de la jeune fille avait glace Charles, qui suivit son terrible parent en proie a de mortelles inquietudes. Eugenie, sa mere et Nanon vinrent dans la cuisine, excitees par une invincible curiosite a epier les deux acteurs de la scene qui allait se passer dans le petit jardin humide ou l'oncle marcha d'abord silencieusement avec le neveu. Grandet n'etait pas embarrasse pour apprendre a Charles la mort de son pere, mais il eprouvait une sorte de compassion en le sachant sans un sou, et il cherchait des formules pour adoucir l'expression de cette cruelle verite. Vous avez perdu votre pere! ce n'etait rien a dire. Les peres meurent avant les enfants. Mais: Vous etes sans aucune espece de fortune! tous les malheurs de la terre etaient reunis dans ces paroles. Et le bonhomme de faire, pour la troisieme fois, le tour de l'allee du milieu dont le sable craquait sous les pieds. Dans les grandes circonstances de la vie, notre ame s'attache fortement aux lieux ou les plaisirs et les chagrins fondent sur nous. Aussi Charles examinait-il avec une attention particuliere les buis de ce petit jardin, les feuilles pales qui tombaient, les degradations des murs, les bizarreries des arbres fruitiers, details pittoresques qui devaient rester graves dans son souvenir, eternellement meles a cette heure supreme, par une mnemotechnie particuliere aux passions. --Il fait bien chaud, bien beau, dit Grandet en aspirant une forte partie d'air. --Oui, mon oncle, mais pourquoi ... --Eh! bien, mon garcon, reprit l'oncle, j'ai de mauvaises nouvelles a t'apprendre. Ton pere est bien mal ... --Pourquoi suis-je ici? dit Charles. Nanon! cria-t-il, des chevaux de poste. Je trouverai bien une voiture dans le pays, ajouta-t-il en se tournant vers son oncle qui demeurait immobile. --Les chevaux et la voiture sont inutiles, repondit Grandet. Charles resta muet, palit et les yeux devinrent fixes. --Oui, mon pauvre garcon, tu devines. Il est mort. Mais ce n'est rien. Il y a quelque chose de plus grave. Il s'est brule la cervelle ... --Mon pere?... --Oui. Mais ce n'est rien. Les journaux glosent de cela comme s'ils en avaient le droit. Tiens, lis. Grandet, qui avait emprunte le journal de Cruchot, mit le fatal article sous les yeux de Charles. En ce moment le pauvre jeune homme, encore enfant, encore dans l'age ou les sentiments se produisent avec naivete, fondit en larmes. --Allons, bien, se dit Grandet. Ses yeux m'effrayaient ... Il pleure, le voila sauve. Ce n'est encore rien, mon pauvre neveu, reprit Grandet a haute voix sans savoir si Charles l'ecoutait, ce n'est rien, tu te consoleras; mais ... --Jamais! jamais! mon pere! mon pere! --Il t'a ruine, tu es sans argent. --Qu'est-ce que cela me fait! Ou est mon pere, mon pere? Eugenie Grandet 40

« —Venez, dit Grandet.

L'avare fit claquer la lame de son couteau, but le reste de son vin blanc et ouvrit la porte. —Mon cousin, ayez du courage! L'accent de la jeune fille avait glace Charles, qui suivit son terrible parent en proie a de mortelles inquietudes. Eugenie, sa mere et Nanon vinrent dans la cuisine, excitees par une invincible curiosite a epier les deux acteurs de la scene qui allait se passer dans le petit jardin humide ou l'oncle marcha d'abord silencieusement avec le neveu.

Grandet n'etait pas embarrasse pour apprendre a Charles la mort de son pere, mais il eprouvait une sorte de compassion en le sachant sans un sou, et il cherchait des formules pour adoucir l'expression de cette cruelle verite.

Vous avez perdu votre pere! ce n'etait rien a dire.

Les peres meurent avant les enfants. Mais: Vous etes sans aucune espece de fortune! tous les malheurs de la terre etaient reunis dans ces paroles.

Et le bonhomme de faire, pour la troisieme fois, le tour de l'allee du milieu dont le sable craquait sous les pieds. Dans les grandes circonstances de la vie, notre ame s'attache fortement aux lieux ou les plaisirs et les chagrins fondent sur nous.

Aussi Charles examinait-il avec une attention particuliere les buis de ce petit jardin, les feuilles pales qui tombaient, les degradations des murs, les bizarreries des arbres fruitiers, details pittoresques qui devaient rester graves dans son souvenir, eternellement meles a cette heure supreme, par une mnemotechnie particuliere aux passions. —Il fait bien chaud, bien beau, dit Grandet en aspirant une forte partie d'air. —Oui, mon oncle, mais pourquoi ... —Eh! bien, mon garcon, reprit l'oncle, j'ai de mauvaises nouvelles a t'apprendre.

Ton pere est bien mal ... —Pourquoi suis-je ici? dit Charles.

Nanon! cria-t-il, des chevaux de poste.

Je trouverai bien une voiture dans le pays, ajouta-t-il en se tournant vers son oncle qui demeurait immobile. —Les chevaux et la voiture sont inutiles, repondit Grandet.

Charles resta muet, palit et les yeux devinrent fixes. —Oui, mon pauvre garcon, tu devines.

Il est mort.

Mais ce n'est rien.

Il y a quelque chose de plus grave.

Il s'est brule la cervelle ... —Mon pere?... —Oui.

Mais ce n'est rien.

Les journaux glosent de cela comme s'ils en avaient le droit.

Tiens, lis. Grandet, qui avait emprunte le journal de Cruchot, mit le fatal article sous les yeux de Charles.

En ce moment le pauvre jeune homme, encore enfant, encore dans l'age ou les sentiments se produisent avec naivete, fondit en larmes. —Allons, bien, se dit Grandet.

Ses yeux m'effrayaient ...

Il pleure, le voila sauve.

Ce n'est encore rien, mon pauvre neveu, reprit Grandet a haute voix sans savoir si Charles l'ecoutait, ce n'est rien, tu te consoleras; mais ... —Jamais! jamais! mon pere! mon pere! —Il t'a ruine, tu es sans argent. —Qu'est-ce que cela me fait! Ou est mon pere, mon pere? Eugenie Grandet Eugenie Grandet 40. »

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