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Eugenie Grandet --Je ne le savais point.

Publié le 12/04/2014

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Eugenie Grandet --Je ne le savais point. --Bien. La voiture est solide? --Ca, notre maitre? ha! ben, ca porterait trois mille. Qu'est-ce que ca pese donc vos mechants barils? --Tiens, dit Nanon, je le savons bien! Y a ben pres de dix-huit cents. --Veux-tu te taire, Nanon! Tu diras a ma femme que je suis alle a la campagne. Je serai revenu pour diner. Va bon train, Cornoiller, faut etre a Angers avant neuf heures. La voiture partit. Nanon verrouilla la grande porte, lacha le chien, se coucha l'epaule meurtrie, et personne dans le quartier ne soupconna ni le depart de Grandet ni l'objet de son voyage. La discretion du bonhomme etait complete. Personne ne voyait jamais un sou dans cette maison pleine d'or. Apres avoir appris dans la matinee par les causeries du port que l'or avait double de prix par suite de nombreux armements entrepris a Nantes, et que des speculateurs etaient arrives a Angers pour en acheter, le vieux vigneron par un simple emprunt de chevaux fait a ses fermiers, se mit en mesure d'aller y vendre le sien et d'en rapporter en valeurs du receveur-general sur le tresor la somme necessaire a l'achat de ses rentes apres l'avoir grossie de l'agio. --Mon pere s'en va, dit Eugenie qui du haut de l'escalier avait tout entendu. Le silence etait retabli dans la maison, et le lointain roulement de la voiture, qui cessa par degres, ne retentissait deja plus dans Saumur endormi. En ce moment, Eugenie entendit en son coeur, avant de l'ecouter par l'oreille, une plainte qui perca les cloisons, et qui venait de la chambre de son cousin. Une bande lumineuse, fine autant que le tranchant d'un sabre, passait par la fente de la porte et coupait horizontalement les balustres du vieil escalier. --Il souffre, dit-elle en grimpant deux marches. Un second gemissement la fit arriver sur le palier de la chambre. La porte etait entr'ouverte, elle la poussa. Charles dormait la tete penchee en dehors du vieux fauteuil, sa main avait laisse tomber la plume et touchait presque a terre. La respiration saccadee que necessitait la posture du jeune homme effraya soudain Eugenie, qui entra promptement. --Il doit etre bien fatigue, se dit-elle en regardant une dizaine de lettres cachetees, elle en lut les adresses: A messieurs Farry, Breilman et Cie, carrossiers. --A monsieur Buisson, tailleur, etc. --Il a sans doute arrange toutes ses affaires pour pouvoir bientot quitter la France, pensa-t-elle. Ses yeux tomberent sur deux lettres ouvertes. Ces mots qui en commencaient une: "Ma chere Annette ..."lui causerent un eblouissement. Son coeur palpita, ses pieds se clouerent sur le carreau. Sa chere Annette, il aime, il est aime! Plus d'espoir! Que lui dit-il? Ces idees lui traverserent la tete et le coeur. Elle lisait ces mots partout, meme sur les carreaux, en traits de flammes. --Deja renoncer a lui! Non, je ne lirai pas cette lettre. Je dois m'en aller. Si je la lisais, cependant? Elle regarda Charles, lui prit doucement la tete, la posa sur le dos du fauteuil, et il se laissa faire comme un enfant qui, meme en dormant, connait encore sa mere et recoit, sans s'eveiller, ses soins et ses baisers. Comme une mere, Eugenie releva la main pendante, et, comme une mere, elle baisa doucement les cheveux. Chere Annette! Un demon lui criait ces deux mots aux oreilles. --Je sais que je fais peut-etre mal, mais je lirai la lettre, dit-elle. Eugenie detourna la tete, car sa noble probite gronda. Pour la premiere fois de sa vie, le bien et le mal etaient en presence dans son coeur. Jusque-la elle n'avait eu a rougir d'aucune action. La passion, la curiosite l'emporterent. A chaque phrase, son coeur se gonfla davantage, et l'ardeur piquante qui anima sa vie pendant cette lecture lui rendit encore plus friands les Eugenie Grandet 59 Eugenie Grandet plaisirs du premier amour. "Ma chere Annette, rien ne devait nous separer, si ce n'est le malheur qui m'accable et qu'aucune prudence humaine n'aurait su prevoir. Mon pere s'est tue, sa fortune et la mienne sont entierement perdues. Je suis orphelin a un age ou, par la nature de mon education, je puis passer pour un enfant; et je dois neanmoins me relever homme de l'abime ou je suis tombe. Je viens d'employer une partie de cette nuit a faire mes calculs. Si je veux quitter la France en honnete homme, et ce n'est pas un doute, je n'ai pas cent francs a moi pour aller tenter le sort aux Indes ou en Amerique. Oui, ma pauvre Anna, j'irai chercher la fortune sous les climats les plus meurtriers. Sous de tels cieux, elle est sure et prompte, m'a-t-on dit. Quant a rester a Paris, je ne saurais. Ni mon ame ni mon visage ne sont faits a supporter les affronts, la froideur, le dedain qui attendent l'homme ruine, le fils du failli! Bon Dieu! devoir deux millions?... J'y serais tue en duel dans la premiere semaine. Aussi n'y retournerai-je point. Ton amour, le plus tendre et le plus devoue qui jamais ait ennobli le coeur d'un homme, ne saurait m'y attirer. Helas! ma bien-aimee, je n'ai point assez d'argent pour aller la ou tu es, donner, recevoir un dernier baiser, un baiser ou je puiserais la force necessaire a mon entreprise. " --Pauvre Charles, j'ai bien fait de lire! J'ai de l'or, je le lui donnerai, dit Eugenie. Elle reprit sa lecture apres avoir essuye ses pleurs. "Je n'avais point encore songe aux malheurs de la misere. Si j'ai les cent louis indispensables au passage, je n'aurai pas un sou pour me faire une pacotille. Mais non, je n'aurai ni cent louis ni un louis, je ne connaitrai ce qui me restera d'argent qu'apres le reglement de mes dettes a Paris. Si je n'ai rien, j'irai tranquillement a Nantes, je m'y embarquerai simple matelot, et je commencerai la-bas comme ont commence les hommes d'energie qui, jeunes, n'avaient pas un sou, et sont revenus, riches, des Indes. Depuis ce matin, j'ai froidement envisage mon avenir. Il est plus horrible pour moi que pour tout autre, moi choye par une mere qui m'adorait, cheri par le meilleur des peres, et qui, a mon debut dans le monde, ai rencontre l'amour d'une Anna! Je n'ai connu que les fleurs de la vie: ce bonheur ne pouvait pas durer. J'ai neanmoins, ma chere Annette, plus de courage qu'il n'etait permis a un insouciant jeune homme d'en avoir, surtout a un jeune homme habitue aux cajoleries de la plus delicieuse femme de Paris, berce dans les joies de la famille, a qui tout souriait au logis, et dont les desirs etaient des lois pour un pere ... Oh! mon pere, Annette, il est mort ... Eh! bien, j'ai reflechi a ma position, j'ai reflechi a la tienne aussi. J'ai bien vieilli en vingt-quatre heures. Chere Anna, si, pour me garder pres de toi, dans Paris, tu sacrifiais toutes les jouissances de ton luxe, ta toilette, ta loge a l'Opera, nous n'arriverions pas encore au chiffre des depenses necessaires a ma vie dissipee; puis je ne saurais accepter tant de sacrifices. Nous nous quittons donc aujourd'hui pour toujours. " --Il la quitte, Sainte Vierge! Oh! bonheur! Eugenie sauta de joie. Charles fit un mouvement, elle en eut froid de terreur; mais, heureusement pour elle, il ne s'eveilla pas. Elle reprit: "Quand reviendrai-je? je ne sais. Le climat des Indes vieillit promptement un Europeen, et surtout un Europeen qui travaille. Mettons-nous a dix ans d'ici. Dans dix ans, ta fille aura dix-huit ans, elle sera ta compagne, ton espion. Pour toi, le monde sera bien cruel, ta fille le sera peut-etre davantage. Nous avons vu des exemples de ces jugements mondains et de ces ingratitudes de jeunes filles; sachons en profiter. Garde au fond de ton ame comme je le garderai moi-meme le souvenir de ces quatre annees de bonheur, et sois fidele, si tu peux, a ton pauvre ami. Je ne saurais toutefois l'exiger, parce que, vois-tu, ma chere Annette, je dois me conformer a ma position, voir bourgeoisement la vie, et la chiffrer au plus vrai. Donc je dois penser au mariage, qui devient une des necessites de ma nouvelle existence; et je t'avouerai que j'ai trouve ici, a Saumur, chez mon oncle, une cousine dont les manieres, la figure, l'esprit et le coeur te plairaient, et qui, en outre, me parait avoir ... " Eugenie Grandet 60

« plaisirs du premier amour. “Ma chere Annette, rien ne devait nous separer, si ce n'est le malheur qui m'accable et qu'aucune prudence humaine n'aurait su prevoir.

Mon pere s'est tue, sa fortune et la mienne sont entierement perdues.

Je suis orphelin a un age ou, par la nature de mon education, je puis passer pour un enfant; et je dois neanmoins me relever homme de l'abime ou je suis tombe.

Je viens d'employer une partie de cette nuit a faire mes calculs.

Si je veux quitter la France en honnete homme, et ce n'est pas un doute, je n'ai pas cent francs a moi pour aller tenter le sort aux Indes ou en Amerique.

Oui, ma pauvre Anna, j'irai chercher la fortune sous les climats les plus meurtriers.

Sous de tels cieux, elle est sure et prompte, m'a-t-on dit.

Quant a rester a Paris, je ne saurais. Ni mon ame ni mon visage ne sont faits a supporter les affronts, la froideur, le dedain qui attendent l'homme ruine, le fils du failli! Bon Dieu! devoir deux millions?...

J'y serais tue en duel dans la premiere semaine. Aussi n'y retournerai-je point.

Ton amour, le plus tendre et le plus devoue qui jamais ait ennobli le coeur d'un homme, ne saurait m'y attirer.

Helas! ma bien-aimee, je n'ai point assez d'argent pour aller la ou tu es, donner, recevoir un dernier baiser, un baiser ou je puiserais la force necessaire a mon entreprise.

“ —Pauvre Charles, j'ai bien fait de lire! J'ai de l'or, je le lui donnerai, dit Eugenie. Elle reprit sa lecture apres avoir essuye ses pleurs. “Je n'avais point encore songe aux malheurs de la misere.

Si j'ai les cent louis indispensables au passage, je n'aurai pas un sou pour me faire une pacotille.

Mais non, je n'aurai ni cent louis ni un louis, je ne connaitrai ce qui me restera d'argent qu'apres le reglement de mes dettes a Paris.

Si je n'ai rien, j'irai tranquillement a Nantes, je m'y embarquerai simple matelot, et je commencerai la-bas comme ont commence les hommes d'energie qui, jeunes, n'avaient pas un sou, et sont revenus, riches, des Indes.

Depuis ce matin, j'ai froidement envisage mon avenir.

Il est plus horrible pour moi que pour tout autre, moi choye par une mere qui m'adorait, cheri par le meilleur des peres, et qui, a mon debut dans le monde, ai rencontre l'amour d'une Anna! Je n'ai connu que les fleurs de la vie: ce bonheur ne pouvait pas durer.

J'ai neanmoins, ma chere Annette, plus de courage qu'il n'etait permis a un insouciant jeune homme d'en avoir, surtout a un jeune homme habitue aux cajoleries de la plus delicieuse femme de Paris, berce dans les joies de la famille, a qui tout souriait au logis, et dont les desirs etaient des lois pour un pere ...

Oh! mon pere, Annette, il est mort ...

Eh! bien, j'ai reflechi a ma position, j'ai reflechi a la tienne aussi.

J'ai bien vieilli en vingt-quatre heures.

Chere Anna, si, pour me garder pres de toi, dans Paris, tu sacrifiais toutes les jouissances de ton luxe, ta toilette, ta loge a l'Opera, nous n'arriverions pas encore au chiffre des depenses necessaires a ma vie dissipee; puis je ne saurais accepter tant de sacrifices.

Nous nous quittons donc aujourd'hui pour toujours.

“ —Il la quitte, Sainte Vierge! Oh! bonheur! Eugenie sauta de joie.

Charles fit un mouvement, elle en eut froid de terreur; mais, heureusement pour elle, il ne s'eveilla pas.

Elle reprit: “Quand reviendrai-je? je ne sais.

Le climat des Indes vieillit promptement un Europeen, et surtout un Europeen qui travaille.

Mettons-nous a dix ans d'ici.

Dans dix ans, ta fille aura dix-huit ans, elle sera ta compagne, ton espion.

Pour toi, le monde sera bien cruel, ta fille le sera peut-etre davantage.

Nous avons vu des exemples de ces jugements mondains et de ces ingratitudes de jeunes filles; sachons en profiter.

Garde au fond de ton ame comme je le garderai moi-meme le souvenir de ces quatre annees de bonheur, et sois fidele, si tu peux, a ton pauvre ami.

Je ne saurais toutefois l'exiger, parce que, vois-tu, ma chere Annette, je dois me conformer a ma position, voir bourgeoisement la vie, et la chiffrer au plus vrai.

Donc je dois penser au mariage, qui devient une des necessites de ma nouvelle existence; et je t'avouerai que j'ai trouve ici, a Saumur, chez mon oncle, une cousine dont les manieres, la figure, l'esprit et le coeur te plairaient, et qui, en outre, me parait avoir ...

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