Devoir de Philosophie

Frédéric Gaussen, Le Monde

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

La télévision, pour trouver grâce aux yeux des maîtres d'école, doit se vouloir éducative et culturelle. Mais, là une ambiguïté demeure. (...) Si, en effet, elle possède un atout indiscutable — son ouverture sur le monde, son aptitude à rendre compte sur-le-champ de réalités lointaines — elle souffre d'un grave handicap : son caractère dispersé et superficiel. Par son éclectisme (1), sa façon sans gêne de déverser des informations en vrac sur le spectateur, elle contredit le principe même de tout apprentissage intellectuel qui repose sur la progression ordonnée. Son désordre, son côté coq-à-l'âne, sont incompatibles avec l'idée de programme, qui est à la base de l'exercice scolaire. La télévision oblige à une perpétuelle acrobatie intellectuelle, pour s'adapter à ce pot-pourri de signaux et d'informations qu'il faut sans cesse classer, relativiser, replacer dans leur contexte pour les rendre intelligibles. Intégrer la télévision à l'enseignement demanderait en effet une révolution pédagogique. Cela supposerait que celui-ci se fasse à partir des expériences concrètes de l'élève et non en fonction d'une démarche théorique fixée d'après des objectifs prédéfinis. Les instituteurs sont disposés à l'utiliser comme un complément à leur enseignement, comme un moyen d'illustration ou de développement. Mais ils demeurent mal à l'aise devant la spécificité même de cet outil culturel. Pour eux, la télévision permet de diffuser des œuvres culturelles (films, pièces de théâtre) ou des documents utilisables par la classe. Elle n'est pas un moyen d'expression original. Si les relations entre l'école et la télévision ont perdu leur caractère conflictuel, c'est parce que la première est parvenue à faire entrer la seconde dans son magasin d'accessoires pédagogiques. En la digérant, elle l'a désamorcée. Mais la méfiance demeure. Il s'agit bien entendu de « démystifier «, de domestiquer un instrument dangereux, susceptible d'endoctriner ou de pervertir, incapable en tout cas de former les esprits parce que trop empreint de confusion et de démagogie. Un courant existe toutefois parmi les pédagogues pour dépasser cette conception un peu étroite. Des expériences ont été faites dans plusieurs classes, à l'initiative du ministère des affaires culturelles, autour d'un projet intitulé « jeune téléspectateur actif «. Leur objectif est de faire discuter les élèves sur leur expérience de téléspectateurs et de les amener à analyser ce qui fait la spécificité de la communication audiovisuelle. Les entretiens réalisés avec des élèves de neuf à dix-huit ans ont permis en particulier de mettre en lumière ce que représente réellement la télévision pour les enfants : pour les plus jeunes, c'est un jeu et un sujet de conversation (le plaisir de mimer et de se raconter les histoires vues à l'écran est l'un de ses charmes principaux), un compagnon contre l'ennui et la solitude, un guide incomparable pour aller à la découverte du monde. Lorsque les enfants grandissent, les liens avec la télévision se distendent. Adolescents, ils préféreront la sortie et le cinéma à un objet qui symbolise trop la sujétion familiale. Ils seront plus sensibles aussi aux aspects négatifs de la télé : menaces sur les relations personnelles, possibilité d'endoctrinement, accaparement des émissions par une élite parisienne n'expriment pas les besoins de la population, indifférence pour les problèmes réels des jeunes. Cette attitude de plus en plus réservée rejoint celle des jeunes instituteurs, beaucoup plus hostiles que leurs aînés à la télévision et plus prompts à penser qu'elle représente une menace pour la culture. Ce divorce entre l'attitude des jeunes gens et celle des plus de vingt-cinq ans pose une question intéressante pour l'avenir : faut-il y voir un dédain passager des jeunes à l'égard d'un moyen d'information symbolisant la société uniformisée, centrée sur la consommation familiale et la culture de masse? Ce comportement est-il destiné à s'estomper, à mesure que les jeunes s'intègrent dans la société? Est-il au contraire l'annonce d'un changement profond d'attitude ? Pour les jeunes générations nées avec la télé, celle-ci n'a plus le pouvoir de fascination qu'elle a eu pour les plus anciens. Un effet de saturation est sensible. En même temps, la critique des programmes, l'inquiétude de voir la télé dévorer les relations sociales et la vie personnelle, deviennent plus vives. La soumission au petit écran est peut-être appelée à devenir moins forte. L'effort entrepris par le ministère de la culture pour rendre le « jeune téléspectateur « actif, accompagné d'une nécessaire formation des maîtres au langage de l'audiovisuel, pourrait aider les jeunes à mieux comprendre ce qu'est la télévision et à s'affranchir de la fascination où elle plonge trop souvent les esprits non avertis ou simplement pour ce qu'elle est : un instrument incomparable à produire des images, des réflexions et des sensations ; l'outil qui est en train de forger une conscience universelle. Mais aussi un insupportable tyran familial, rêvant de régenter nos veilles et nos nuits. De transformer nos maisons en palais de la Belle au bois dormant, où chacun, immobile, contemplerait sur son écran le spectacle de la conversation, de l'amour, de la colère, de la méditation... Où le film de la vie aurait définitivement remplacé la vie. Frédéric Gaussen, Le Monde, 24 janvier 1982. Selon votre préférence, vous résumerez ce texte en respectant son mouvement ou vous l'analyserez en distinguant les thèmes qu'il comporte et, en montrant le lien qui existe entre eux de façon à mettre en évidence leur importance relative sans vous astreindre nécessairement à suivre le fil du développement. Vous inscrirez très nettement en tête de cette première partie de votre devoir le mot résumé ou analyse. Dans la seconde partie intitulée discussion vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier et dont vous préciserez les données. Vous discuterez ensuite le problème choisi et, vous exposerez, en les justifiant vos propres vues sur la question.  

(1) Eclectisme : méthode philosophique qui consiste à emprunter aux divers systèmes les thèmes les meilleurs.

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