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Frédéric Gaussen, Le monde dimanche

Publié le 26/04/2011

Extrait du document

Raconter sa vie est une satisfaction qu'on se refuse difficilement. C'est la preuve qu'on a bien existé et qu'un interlocuteur est là, prêt à s'intéresser à vous. Les grands hommes — et aussi les moins grands — ont toujours brûlé de s'adresser au reste des mortels en écrivant leurs mémoires. Les autres, les gens ordinaires, se satisfaisaient du public plus restreint de la veillée familiale ou du comptoir de bistrot.    Mais, maintenant, cette relativité des destins individuels n'est plus de mise. L'idée s'est imposée que toutes les vies se valent et sont bonnes à raconter. L'histoire d'un paysan ou d'une cuisinière est aussi riche de sens et d'humanité que celles d'un chef d'État ou d'un prix Nobel. Les grands moyens d'information sollicitent les citoyens de base. L'homme de la rue est devenu un témoin capital et la ménagère une héroïne de la radio.    Les médias ne sont pas les seuls à vouloir démocratiser ainsi les personnages de leur répertoire. Les sciences humaines suivent le même chemin. Historiens, sociologues, ethnologues, linguistes, vont interroger les paysans et les ouvriers, les femmes du peuple, les artisans. Des chercheurs viennent recueillir méticuleusement les débris de ces existences de quatre sous, qui se sont écoulées dans la peine et l'obscurité et sur lesquelles auparavant personne ne levait les yeux. D'où vient donc ce goût subit pour les « récits de vie «, pour ces histoires anonymes, pieusement sauvées de l'oubli et reconstituées avec soin? [...]    L'idée de faire parler les personnes âgées est apparue naturellement lorsqu'on s'est aperçu qu'avec l'accélération de l'histoire des pans entiers de notre passé sombreraient dans l'oubli, lorsque ces derniers témoins auraient disparu. Les paysans de Corrèze, les mineurs de Lorraine, les artisans de Paris, étaient un peu comme les Indiens d'Amazonie : des espèces en voie d'extinction. Recueillir les souvenirs de cette génération charnière entre le modernisme et la tradition devenait urgent. Leurs propos seraient pour l'avenir des documents inestimables. Ils constitueraient les archives sonores d'une époque définitivement révolue.    [...] Ces récits de vie permettaient de mesurer l'impact des événements et des mutations sur les individus, de donner de la chair aux descriptions des grands bouleversements politico-économiques. Ils montraient que l'histoire n'est pas une machinerie abstraite, un mouvement grandiose et anonyme conduisant l'humanité vers un destin collectif, mais une somme d'expériences individuelles, un jeu compliqué fait de souffrances et de passions, de volontés contradictoires, dans lequel chacun, à sa place, tient un rôle, si modeste soit-il.    Ce mouvement correspondait aussi à un accent nouveau mis sur l'histoire sociale, sur le rôle historique de couches de la population considérées jusqu'à présent comme des exécutants passifs. Donner la parole aux pauvres, aux humiliés, aux sans-voix, c'était les faire entrer dans l'histoire, leur rendre leur dignité d'acteurs à part entière de l'épopée collective. Le recours au récit de vie a une valeur militante. C'est un acte politique. C'est manifester qu'il y a plusieurs histoires, que les grands de ce monde, les nantis, ne sont pas les seuls propriétaires du passé. C'est rendre au peuple ce qui lui faisait le plus cruellement défaut : la parole.    Frédéric Gaussen, Le monde dimanche, 14 février 1982.    Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées telles qu'elles sont présentées, soit une analyse qui regroupe les idées essentielles.    Vous dégagerez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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