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Insistons encore sur la méthode : il s'agit de s'obstiner.

Publié le 04/11/2013

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Insistons encore sur la méthode : il s'agit de s'obstiner. A un certain point de son chemin, l'homme bsurde est sollicité. L'histoire ne manque ni de religions, ni de prophètes, même sans dieux. On lui emande de sauter. Tout ce qu'il peut répondre, c'est qu'il ne comprend pas bien, que cela n'est pas évident. Il ne veut faire justement que ce qu'il comprend bien. On lui assure que c'est péché d'orgueil, mais il n'entend pas la notion de péché ; que peut-être l'enfer est au bout, mais il n'a pas assez 'imagination pour se représenter cet étrange avenir ; qu'il perd la vie immortelle, mais cela lui paraît utile. On voudrait lui faire reconnaître sa culpabilité. Lui se sent innocent. À vrai dire, il ne sent que cela, on innocence irréparable. C'est elle qui lui permet tout. Ainsi ce qu'il exige de lui-même, c'est de vivre seulement avec ce qu'il sait, de s'arranger de ce qui est et ne rien faire intervenir qui ne soit certain. On ui répond que rien ne l'est. Mais ceci du moins est une certitude. C'est avec elle qu'il a affaire : il veut savoir s'il est possible de vivre sans appel. * Je puis aborder maintenant la notion de suicide. On a senti déjà quelle solution il est possible de lui donner. A ce point, le problème est inversé. Il s'agissait précédemment de savoir si la vie devait avoir un sens pour être vécue. Il apparaît ici au contraire qu'elle sera d'autant mieux vécue qu'elle n'aura pas de sens. Vivre une expérience, un destin, c'est l'accepter pleinement. Or on ne vivra pas ce destin, le sachant absurde, si on ne fait pas tout pour maintenir devant soi cet absurde mis à jour par la conscience. Nier l'un des termes de l'opposition dont il vit, c'est lui échapper. Abolir la révolte consciente, c'est éluder le problème. Le thème de la révolution permanente se transporte ainsi dans l'expérience individuelle. Vivre, c'est faire vivre l'absurde, Le faire vivre, c'est avant tout le regarder. Au contraire d'Eurydice, l'absurde ne meurt que lorsqu'on s'en détourne. L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle est exigence d'une impossible transparence. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. De même que le danger fournit à l'homme l'irremplaçable occasion de la saisir, de même la révolte métaphysique étend la conscience tout le long de l'expérience. Elle est cette présence constante de l'homme à lui-même. Elle 'est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l'accompagner. C'est ici qu'on voit à quel point l'expérience absurde s'éloigne du suicide. On peut croire que le suicide suit la révolte. Mais à tort. Car il ne figure pas son aboutissement logique. Il est exactement son contraire, par le consentement qu'il suppose. Le suicide, comme le saut, est l'acceptation à sa limite. Tout est consommé, l'homme rentre dans son histoire essentielle. Son avenir, son seul et terrible avenir, il le discerne et s'y précipite. A sa manière, le suicide résout l'absurde. Il l'entraîne dans la même mort. Mais je sais que pour se maintenir, l'absurde ne peut se résoudre. Il échappe au suicide, dans la mesure où il est en même temps conscience et refus de la mort. Il est, à l'extrême pointe de la dernière pensée du ondamné à mort, ce cordon de soulier qu'en dépit de tout il aperçoit à quelques mètres, au bord même de a chute vertigineuse. Le contraire du suicidé, précisément, c'est le condamné à mort. Cette révolte donne son prix à la vie. Etendue sur toute la longueur d'une existence, elle lui restitue sa randeur. Pour un homme sans oeillères, il n'est pas de plus beau spectacle que celui de l'intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse. Le spectacle de l'orgueil humain est inégalable. Toutes les dépréciations n'y feront rien. Cette discipline que l'esprit se dicte à lui-même, cette volonté forgée de outes pièces, ce face à face, ont quelque chose de puissant et de singulier. Appauvrir cette réalité dont 'inhumanité fait la grandeur de l'homme, c'est du même coup l'appauvrir lui-même. Je comprends alors ourquoi les doctrines qui m'expliquent tout m'affaiblissent en même temps. Elles me déchargent du poids e ma propre vie et il faut bien pourtant que je le porte seul. À ce tournant, je ne puis concevoir qu'une étaphysique sceptique aille s'allier à une morale du renoncement. Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu'il y a d'irréductible et e passionné dans un coeur humain les anime au contraire de sa vie. Il s'agit de mourir irréconcilié et non as de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. L'homme absurde ne peut que tout épuiser, et s'épuiser. L'absurde est sa tension la plus extrême, celle qu'il maintient constamment d'un effort olitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi. Ceci est une première conséquence. * Si je me maintiens dans cette position concertée qui consiste à tirer toutes les conséquences (et rien qu'elles) qu'une notion découverte entraîne, je me trouve en face d'un second paradoxe. Pour rester fidèle à cette méthode, je n'ai rien à faire avec le problème de la liberté métaphysique. Savoir si l'homme st libre ne m'intéresse pas. Je ne puis éprouver que ma propre liberté. Sur elle, je ne puis avoir de otions générales, mais quelques aperçus clairs. Le problème de « la liberté en soi « n'a pas de sens. Car il st lié d'une tout autre façon à celui de Dieu. Savoir si l'homme est libre commande qu'on sache s'il peut voir un maître. L'absurdité particulière à ce problème vient de ce que la notion même qui rend possible le roblème de la liberté lui retire en même temps tout son sens. Car devant Dieu, il y a moins un problème e la liberté qu'un problème du mal. On connaît l'alternative : ou nous ne sommes pas libres et Dieu toutuissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables mais Dieu n'est pas tout-puissant. outes les subtilités d'écoles n'ont rien ajouté ni soustrait au tranchant de ce paradoxe. C'est pourquoi je ne puis pas me perdre dans l'exaltation ou la simple définition d'une notion qui 'échappe et perd son sens à partir du moment où elle déborde le cadre de mon expérience individuelle. e ne puis comprendre ce que peut être une liberté qui me serait donnée par un être supérieur. J'ai perdu e sens de la hiérarchie. Je ne puis avoir de la liberté que la conception du prisonnier ou de l'individu oderne au sein de l'État. La seule que je connaisse, c'est la liberté d'esprit et d'action. Or si l'absurde nnihile toutes mes chances de liberté éternelle, il me rend et exalte au contraire ma liberté d'action. ette privation d'espoir et d'avenir signifie un accroissement dans la disponibilité de l'homme. Avant de rencontrer l'absurde, l'homme quotidien vit avec des buts, un souci d'avenir ou de ustification (à l'égard de qui ou de quoi, ce n'est pas la question). Il évalue ses chances, il compte sur le lus tard, sur sa retraite ou le travail de ses fils. Il croit encore que quelque chose dans sa vie peut se iriger. Au vrai, il agit comme s'il était libre, même si tous les faits se chargent de contredire cette iberté. Après l'absurde, tout se trouve ébranlé. Cette idée que « je suis «, ma façon d'agir comme si tout un sens (même si, à l'occasion, je disais que rien n'en a) tout cela se trouve démenti d'une façon ertigineuse par l'absurdité d'une mort possible. Penser au lendemain, se fixer un but, avoir des références, tout cela suppose la croyance à la liberté, même si l'on s'assure parfois de ne pas la essentir. Mais à ce moment, cette liberté supérieure, cette liberté d'être qui seule peut fonder une vérité, je sais bien alors qu'elle n'est pas. La mort est là comme seule réalité. Après elle, les jeux sont faits. Je suis non plus libre de me perpétuer mais esclave, et surtout esclave sans espoir de révolution éternelle, sans recours au mépris. Et qui sans révolution et sans mépris peut demeurer esclave ? Quelle liberté peut exister au sens plein, sans assurance d'éternité ? Mais en même temps, l'homme absurde comprend que jusqu'ici, il était lié à ce postulat de liberté sur l'illusion de quoi il vivait. Dans un certain sens, cela l'entravait. Dans la mesure où il imaginait un but à sa vie, il se conformait aux exigences d'un but à atteindre et devenait esclave de sa liberté. Ainsi, je ne saurais plus agir autrement que comme le père de famille (ou l'ingénieur ou le conducteur de peuples, ou le surnuméraire aux P.T.T.) que je me prépare à être. Je crois que je puis choisir d'être cela plutôt qu'autre chose. Je le crois inconsciemment, il est vrai. Mais je soutiens en même temps mon postulat des croyances de ceux qui m'entourent, des préjugés de mon milieu humain (les autres sont si sûrs d'être libres et cette bonne humeur est si contagieuse !). Si loin qu'on puisse se tenir de tout préjugé, moral ou social, on les subit en partie et même, pour les meilleurs d'entre eux (il y a de bons et de mauvais préjugés), on leur conforme sa vie. Ainsi l'homme absurde comprend qu'il n'était réellement pas libre. Pour parler clair, dans la mesure où j'espère, où je m'inquiète d'une vérité qui me soit propre, d'une façon d'être ou de créer, dans la mesure enfin où j'ordonne ma vie et où je prouve par là que j'admets qu'elle ait un sens, je me crée des barrières entre quoi je resserre ma vie. Je fais comme tant de fonctionnaires de l'esprit et du

« s'épuiser. L'absurde estsatension laplus extrême, cellequ'ilmaintient constamment d'uneffort solitaire, carilsait quedans cette conscience etdans cette révolte aujour lejour, iltémoigne desaseule vérité quiest ledéfi.

Ceciestune première conséquence. * Si jeme maintiens danscette position concertée quiconsiste àtirer toutes lesconséquences (etrien qu'elles) qu'unenotiondécouverte entraîne,jeme trouve enface d'unsecond paradoxe.

Pourrester fidèle àcette méthode, jen'ai rien àfaire avecleproblème delaliberté métaphysique.

Savoirsil'homme est libre nem'intéresse pas.Jenepuis éprouver quemapropre liberté.

Surelle, jene puis avoir de notions générales, maisquelques aperçusclairs.Leproblème de« la liberté ensoi » n'apas desens.

Caril est liéd'une toutautre façon àcelui deDieu.

Savoir sil'homme estlibre commande qu'onsache s'ilpeut avoir unmaître.

L'absurdité particulière àce problème vientdeceque lanotion mêmequirend possible le problème delaliberté luiretire enmême temps toutsonsens.

Cardevant Dieu,ilyamoins unproblème de laliberté qu'unproblème dumal.

Onconnaît l'alternative : ounous nesommes paslibres etDieu tout- puissant estresponsable dumal.

Ounous sommes libresetresponsables maisDieu n'est pastout-puissant. Toutes lessubtilités d'écolesn'ontrienajouté nisoustrait autranchant deceparadoxe. C'est pourquoi jene puis pasmeperdre dansl'exaltation oulasimple définition d'unenotion qui m'échappe etperd sonsens àpartir dumoment oùelle déborde lecadre demon expérience individuelle. Je nepuis comprendre ceque peut êtreuneliberté quime serait donnée parunêtre supérieur.

J'aiperdu le sens delahiérarchie.

Jenepuis avoir delaliberté quelaconception duprisonnier oude l'individu moderne ausein del'État.

Laseule quejeconnaisse, c'estlaliberté d'esprit etd'action.

Orsil'absurde annihile toutesmeschances deliberté éternelle, ilme rend etexalte aucontraire maliberté d'action. Cette privation d'espoiretd'avenir signifieunaccroissement dansladisponibilité del'homme. Avant derencontrer l'absurde,l'hommequotidien vitavec desbuts, unsouci d'avenir oude justification (àl'égard dequi oude quoi, cen'est paslaquestion).

Ilévalue seschances, ilcompte surle plus tard, sursaretraite ouletravail deses fils.

Ilcroit encore quequelque chosedanssavie peut se diriger.

Auvrai, ilagit comme s'ilétait libre, même sitous lesfaits sechargent decontredire cette liberté.

Aprèsl'absurde, toutsetrouve ébranlé.

Cetteidéeque« je suis », mafaçon d'agir comme sitout a un sens (même si,àl'occasion, jedisais querien n'en a)tout celasetrouve démenti d'unefaçon vertigineuse parl'absurdité d'unemortpossible.

Penseraulendemain, sefixer unbut, avoir des préférences, toutcelasuppose lacroyance àla liberté, mêmesil'on s'assure parfoisdenepas la ressentir.

Maisàce moment, cetteliberté supérieure, cetteliberté d' être qui seule peutfonder une vérité, jesais bien alors qu'elle n'estpas.Lamort estlàcomme seuleréalité.

Aprèselle,lesjeux sont faits.

Jesuis nonplus libre deme perpétuer maisesclave, etsurtout esclavesansespoir derévolution éternelle, sansrecours aumépris.

Etqui sans révolution etsans mépris peutdemeurer esclave ?Quelle liberté peutexister ausens plein, sansassurance d'éternité ? Mais enmême temps, l'homme absurdecomprend quejusqu'ici, ilétait liéàce postulat deliberté sur l'illusion dequoi ilvivait.

Dansuncertain sens,celal'entravait.

Danslamesure oùilimaginait unbut àsa vie, ilse conformait auxexigences d'unbutàatteindre etdevenait esclavedesaliberté.

Ainsi,jene saurais plusagirautrement quecomme lepère defamille (oul'ingénieur ouleconducteur depeuples, oule surnuméraire auxP.T.T.) quejeme prépare àêtre.

Jecrois quejepuis choisir d'êtrecelaplutôt qu'autre chose.

Jelecrois inconsciemment, ilest vrai.

Mais jesoutiens enmême temps monpostulat descroyances de ceux quim'entourent, despréjugés demon milieu humain (lesautres sontsisûrs d'être libresetcette bonne humeur estsicontagieuse !).

Siloin qu'on puisse setenir detout préjugé, moralousocial, onles subit enpartie etmême, pourlesmeilleurs d'entreeux(ilyade bons etde mauvais préjugés), onleur conforme savie.

Ainsi l'homme absurdecomprend qu'iln'était réellement paslibre.

Pourparler clair,dans la mesure oùj'espère, oùjem'inquiète d'unevérité quime soit propre, d'unefaçon d'être oude créer, dans lamesure enfinoùj'ordonne mavie etoù jeprouve parlàque j'admets qu'elleaitunsens, jeme crée desbarrières entrequoijeresserre mavie.

Jefais comme tantdefonctionnaires del'esprit etdu. »

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