instant aux soldats et tombe, arrêté par un coup de crosse.
Publié le 04/11/2013
Extrait du document
«
—
jelereconnais aussitôt,àcause desataille —une large tache aumilieu duvisage : labouche agrandie aurasoir.
Et aussitôt mesmuscles, denouveau, secontractent, àtel point cettefoisque jeserre mesbras contre moncorps
et que jesuis obligé dem’appuyer —moi aussi —contre lemur.
Jedétourne lesyeux : blessures ouvertes, grandes
taches noiresdesang caillé, yeuxrévulsés, touslescorps sontsemblables.
Ilsont ététorturés… Unedesmouches
qui volent icivient deseposer surmon front, etjene peux pas,jene peux paslever monbras.
Il faudrait pourtant luifermer lesyeux, ditGarine, presque àvoix basse, ens’approchant ducorps deKlein.
Sa
voix meréveille, etjechasse lamouche avecunréflexe rapide, violent, maladroit.
Garineapproche deuxdoigts
écartés enciseaux desyeux —des yeux blancs.
Samain retombe.
Je crois qu’ils ontcoupé lespaupières…
Il ouvre maladroitement latunique deKlein, entire unportefeuille dontilexamine lecontenu.
Ilmet àpart une
feuille pliéeetrelève latête : leChinois revient, tenantentresesdoigts lesbâches dépliées, quibouillonnent et
traînent.
Iln’a trouvé rienautre.
Ilcommence àcoucher lescorps côteàcôte.
Maisnous entendons despas, etune
femme entre,lescoudes collésaucorps, votée.
Garinesaisitmonbrasbrutalement etrecule.
— Elle aussi !dit-iltrèsbas.
Quel crétin abien puluidire qu’il estici ?
Elle nenous apas regardés.
Ellevadroit àKlein, heurte enpassant undes corps couchés, titube…Elleestenface
de lui, etleregarde.
Ellenebouge pas,nepleure pas.Lesmouches autourdesatête.
L’odeur.
Dansmonoreille, la
respiration chaude,haletante, deGarine.
D’un seulcoup, elletombe surlesgenoux.
Elleneprie pas.
Elleestaccrochée aucorps parsesmains auxdoigts
écartés, encastrés danslesflancs.
Ondirait qu’elle s’estagenouillée devantlestortures quereprésentent toutesces
plaies etcette bouche qu’elleregarde, ouvertejusqu’au mentonparunsabre ouunrasoir… Jesuis certain qu’elle
ne prie pas.
Tout soncorps tremble… Et,d’un coup, comme elleesttombée àgenoux toutàl’heure, ellesaisit à
pleins braslecorps ; l’étreinte estconvulsive ; elleremue latête avec unmouvement incroyablement douloureux
de tout lebuste… Avecuneterrible tendresse ellefrotte sonvisage, sauvagement, sansunsanglot, contrelatoile
sanglante, contrelesplaies…
Garine, quitient toujours monbras, m’entraîne.
Àla porte, leChinois s’estassis denouveau ; ilne regarde
même pas.Mais ila tiré lepan delatunique deGarine.
Celui-ci sortdesapoche unbillet, etlelui donne :
« Quand ellesera partie, tules recouvriras tous. »
Dans l’auto, ilne dit pas unmot.
Ils’est d’abord affaissé, lescoudes surlesgenoux.
Lamaladie l’affaiblit chaque
jour.
Lespremiers chocsl’ontfaitsauter, etils’est allongé, latête presque surlacapote, lesjambes raides.
Quittant l’autodevant samaison, nousmontons danslapetite piècedupremier étage.Lesstores sontbaissés ; il
semble plusmalade etplus fatigué quejamais.
Soussesyeux, deuxrides profondes, parallèlesàcelles quivont du
nez aux extrémités delabouche, limitentdelarges taches violettes ; etces quatre rides,tirant soussestraits
comme lamort, semblent déjàdécomposer sonvisage.
(« S’ilresteencore quinzejours,disaitMyroff, ilrestera plus
longtemps qu’ilnelesouhaite… » Ilya plus dequinze jours…) Ildemeure quelquetempssilencieux, puisdit,àmi-
voix, comme s’ils’interrogeait :
« Pauvre type…Ildisait souvent : lavie n’est pascequ’on croit…
« La vien’est jamais cequ’on croit ! jamais ! »
Il s’assied surlelit de camp, ledos courbé ; sesdoigts, poséssurses genoux, tremblent commeceuxd’un
alcoolique.
« J’ai eupour luiune amitié d’homme… Découvrirl’absencedepaupières, etpenser quel’onallait toucher des
yeux… » Samain droite, involontairement s’estcrispée.
Laissant allertoutsoncorps enarrière, ils’appuie aumur, les
yeux fermés.
Labouche etles narines sontdeplus enplus tendues, etune tache bleue s’étend dessourcils àla
moitié desjoues.
« Je parviens souventàoublier… Souvent… Pastoujours.
Demoins enmoins… Qu’ai-je faitdema vie, moi ?
Mais, bonDieu, quepeut-on enfaire, àla fin !… Nejamais rienvoir !… Tousceshommes quejedirige, dontl’ai
contribué àcréer l’âme, ensomme ! jene sais pasmême cequ’ils feront demain… Àcertains moments, j’aurais
voulu tailler toutçacomme dubois, penser : voiciceque j’aifait.
Édifier, avoirletemps poursoi…Comme onchoisit
ses désirs, hein ? »
La fièvre monte.
Dèsqu’il s’est animé, ila sorti desapoche samain droite etilaccompagne sesphrases dugeste
de l’avant-bras quiluiest habituel.
Maislepoing restefermé.
« Ce quej’aifait, ceque j’aifait ! Ah,làlà ! jepense àl’empereur quifaisait crever lesyeux deses prisonniers, tu
sais, etqui lesrenvoyait dansleurpays, engrappes, conduitspardes borgnes : lesconducteurs borgnes,euxaussi,
de fatigue, devenaient aveuglespeuàpeu.
Belle image d’Épinal pourexprimer ceque nous foutons ici,plus belle.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Chateaubriand a rencontré deux fois Bonaparte : en 1802, après la publication du Génie du Christianisme qui servit les desseins politiques du Premier Consul; le 18 mars 1804y trois jours avant l'exécution du duc d'Enghien, arrêté le 15, qui devait faire de Chateaubriand un adversaire déterminé de Napoléon. Voici, tirés des Mémoires d'Outre-Tombe, les passages qui évoquent ces deux rencontres.
- coup de prague
- TOMBEAU POUR 500 000 SOLDATS de Pierre Guyotat : Fiche de lecture
- Mémoires d'outre-tombe, de chateaubriand
- COUP DE ROULIS. (résumé & analyse)