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instant aux soldats et tombe, arrêté par un coup de crosse.

Publié le 04/11/2013

Extrait du document

instant aux soldats et tombe, arrêté par un coup de crosse. Il avait vu le revolver de Garine dans sa gaine, sur la haise, et se jetait dessus. Il se relève. -- En voilà assez, dit Garine en français. Et, en cantonais : « Emmenez-le. » Les soldats l'emmènent. Silence. -- Garine, par qui doit-il être jugé ? --... Quand j'ai vu qu'il était là, j'ai failli me lever et lui dire : Alors, quoi ? comme à un gosse qui a fait des lagues. C'est pour cela que j'ai haussé les épaules et qu'il a cru que je l'insultais... Encore un... Bêtise ! Puis, comme s'il entendait soudain la question que je lui ai posée, il ajoute d'un ton plus rapide : « Il n'est pas encore jugé. » Le lendemain. Garine est en train de donner à un fabricant de montres des photos de Tcheng-Daï et de Sun-Yat-Sen ornées 'inscriptions antianglaises -- modèles de boîtiers. Un planton apporte un pli cacheté. -- Qui a apporté ça ? -- Permanence des gens de mer, Commissaire. -- Le porteur est là ? -- Oui, Commissaire. -- Fais-le entrer. Allez ! Tout de suite ! Entre un coolie, rattachant à son bras le brassard du Syndicat des gens de Mer. -- C'est toi qui as apporté ça ? -- Oui, Commissaire. -- Où sont les corps ? -- À la permanence, Commissaire. Garine m'a passé le pli décacheté ; les corps de Klein et de trois Chinois assassinés ont été retrouvés dans une maison de prostitution, le long du fleuve. Les otages... -- Où sont les objets ? -- Je ne sais pas, Commissaire. -- Enfin, quoi, on a vidé leurs poches ? -- Non, Commissaire. Garine, aussitôt, se lève, prend son casque et me fait signe de le suivre. Le coolie monte à côté du chauffeur, et ous partons. Dans l'auto : -- Dis donc, Garine ? Il vivait ici avec une blanche, Klein, n'est-ce pas ? -- Et après ! Les corps ne sont pas à la Permanence, mais dans la salle des réunions. Un Chinois veille à la porte, assis par erre ; près de lui est un gros chien qui veut entrer ; chaque fois que le chien approche, le Chinois allonge une jambe t lui envoie un coup de pied. Le chien saute et s'écarte, sans crier ; puis il se rapproche. Le Chinois nous regarde enir. Lorsque nous arrivons devant lui, il appuie la tête contre le mur, ferme à demi les yeux et pousse la porte de a main, sans se lever. Le chien, à quelque distance, tourne autour de lui. Nous entrons. Atelier désert, au sol de terre battue, avec des amas de poussière dans les coins. Bien que tamisée ar des vitres bleues du toit, la lumière est éclatante et, dès que je lève les yeux je vois les quatre corps, debout. Je es cherchais à terre. Ils sont déjà raides, et on les a posés contre le mur, comme des pieux. J'ai d'abord été saisi et resque étourdi : ces corps droits ont quelque chose, non de fantastique, mais de surréel, dans cette lumière et ce ilence. Je retrouve maintenant ma respiration et, avec l'air que j'aspire, une odeur m'envahit qui ne ressemble à ucune autre, animale, forte et fade à la fois : l'odeur des cadavres. Garine appelle le gardien qui se lève, lentement, omme à regret, et s'approche. « -- Apporte des toiles. » Appuyé à la porte, l'homme le regarde d'un air ahuri et semble ne pas comprendre. « Apporte des toiles ! » Il ne bouge pas davantage. Garine, les poings fermés, avance, puis s'arrête. « Dix taëls si tu apportes les toiles avant une demi-heure. Tu m'entends ? » Le Chinois s'incline et part. Les paroles ont fait pénétrer dans la salle quelque chose d'humain. Mais, me retournant, je vois le corps de Klein -- je le reconnais aussitôt, à cause de sa taille -- une large tache au milieu du visage : la bouche agrandie au rasoir. t aussitôt mes muscles, de nouveau, se contractent, à tel point cette fois que je serre mes bras contre mon corps t que je suis obligé de m'appuyer -- moi aussi -- contre le mur. Je détourne les yeux : blessures ouvertes, grandes aches noires de sang caillé, yeux révulsés, tous les corps sont semblables. Ils ont été torturés... Une des mouches ui volent ici vient de se poser sur mon front, et je ne peux pas, je ne peux pas lever mon bras. Il faudrait pourtant lui fermer les yeux, dit Garine, presque à voix basse, en s'approchant du corps de Klein. Sa oix me réveille, et je chasse la mouche avec un réflexe rapide, violent, maladroit. Garine approche deux doigts écartés en ciseaux des yeux -- des yeux blancs. Sa main retombe. Je crois qu'ils ont coupé les paupières... Il ouvre maladroitement la tunique de Klein, en tire un portefeuille dont il examine le contenu. Il met à part une feuille pliée et relève la tête : le Chinois revient, tenant entre ses doigts les bâches dépliées, qui bouillonnent et traînent. Il n'a trouvé rien autre. Il commence à coucher les corps côte à côte. Mais nous entendons des pas, et une femme entre, les coudes collés au corps, voûtée. Garine saisit mon bras brutalement et recule. -- Elle aussi ! dit-il très bas. Quel crétin a bien pu lui dire qu'il est ici ? Elle ne nous a pas regardés. Elle va droit à Klein, heurte en passant un des corps couchés, titube... Elle est en face de lui, et le regarde. Elle ne bouge pas, ne pleure pas. Les mouches autour de sa tête. L'odeur. Dans mon oreille, la respiration chaude, haletante, de Garine. D'un seul coup, elle tombe sur les genoux. Elle ne prie pas. Elle est accrochée au corps par ses mains aux doigts écartés, encastrés dans les flancs. On dirait qu'elle s'est agenouillée devant les tortures que représentent toutes ces plaies et cette bouche qu'elle regarde, ouverte jusqu'au menton par un sabre ou un rasoir... Je suis certain qu'elle ne prie pas. Tout son corps tremble... Et, d'un coup, comme elle est tombée à genoux tout à l'heure, elle saisit à pleins bras le corps ; l'étreinte est convulsive ; elle remue la tête avec un mouvement incroyablement douloureux de tout le buste... Avec une terrible tendresse elle frotte son visage, sauvagement, sans un sanglot, contre la toile sanglante, contre les plaies... Garine, qui tient toujours mon bras, m'entraîne. À la porte, le Chinois s'est assis de nouveau ; il ne regarde même pas. Mais il a tiré le pan de la tunique de Garine. Celui-ci sort de sa poche un billet, et le lui donne : « Quand elle sera partie, tu les recouvriras tous. » Dans l'auto, il ne dit pas un mot. Il s'est d'abord affaissé, les coudes sur les genoux. La maladie l'affaiblit chaque jour. Les premiers chocs l'ont fait sauter, et il s'est allongé, la tête presque sur la capote, les jambes raides. Quittant l'auto devant sa maison, nous montons dans la petite pièce du premier étage. Les stores sont baissés ; il semble plus malade et plus fatigué que jamais. Sous ses yeux, deux rides profondes, parallèles à celles qui vont du nez aux extrémités de la bouche, limitent de larges taches violettes ; et ces quatre rides, tirant sous ses traits comme la mort, semblent déjà décomposer son visage. (« S'il reste encore quinze jours, disait Myroff, il restera plus longtemps qu'il ne le souhaite... » Il y a plus de quinze jours...) Il demeure quelque temps silencieux, puis dit, à mivoix, comme s'il s'interrogeait : « Pauvre type... Il disait souvent : la vie n'est pas ce qu'on croit... « La vie n'est jamais ce qu'on croit ! jamais ! » Il s'assied sur le lit de camp, le dos courbé ; ses doigts, posés sur ses genoux, tremblent comme ceux d'un alcoolique. « J'ai eu pour lui une amitié d'homme... Découvrir l'absence de paupières, et penser que l'on allait toucher des yeux... » Sa main droite, involontairement s'est crispée. Laissant aller tout son corps en arrière, il s'appuie au mur, les yeux fermés. La bouche et les narines sont de plus en plus tendues, et une tache bleue s'étend des sourcils à la moitié des joues. « Je parviens souvent à oublier... Souvent... Pas toujours. De moins en moins... Qu'ai-je fait de ma vie, moi ? Mais, bon Dieu, que peut-on en faire, à la fin !... Ne jamais rien voir !... Tous ces hommes que je dirige, dont l'ai contribué à créer l'âme, en somme ! je ne sais pas même ce qu'ils feront demain... À certains moments, j'aurais voulu tailler tout ça comme du bois, penser : voici ce que j'ai fait. Édifier, avoir le temps pour soi... Comme on choisit ses désirs, hein ? » La fièvre monte. Dès qu'il s'est animé, il a sorti de sa poche sa main droite et il accompagne ses phrases du geste de l'avant-bras qui lui est habituel. Mais le poing reste fermé. « Ce que j'ai fait, ce que j'ai fait ! Ah, là là ! je pense à l'empereur qui faisait crever les yeux de ses prisonniers, tu sais, et qui les renvoyait dans leur pays, en grappes, conduits par des borgnes : les conducteurs borgnes, eux aussi, de fatigue, devenaient aveugles peu à peu. Belle image d'Épinal pour exprimer ce que nous foutons ici, plus belle

« — jelereconnais aussitôt,àcause desataille —une large tache aumilieu duvisage : labouche agrandie aurasoir. Et aussitôt mesmuscles, denouveau, secontractent, àtel point cettefoisque jeserre mesbras contre moncorps et que jesuis obligé dem’appuyer —moi aussi —contre lemur.

Jedétourne lesyeux : blessures ouvertes, grandes taches noiresdesang caillé, yeuxrévulsés, touslescorps sontsemblables.

Ilsont ététorturés… Unedesmouches qui volent icivient deseposer surmon front, etjene peux pas,jene peux paslever monbras. Il faudrait pourtant luifermer lesyeux, ditGarine, presque àvoix basse, ens’approchant ducorps deKlein.

Sa voix meréveille, etjechasse lamouche avecunréflexe rapide, violent, maladroit.

Garineapproche deuxdoigts écartés enciseaux desyeux —des yeux blancs.

Samain retombe. Je crois qu’ils ontcoupé lespaupières… Il ouvre maladroitement latunique deKlein, entire unportefeuille dontilexamine lecontenu.

Ilmet àpart une feuille pliéeetrelève latête : leChinois revient, tenantentresesdoigts lesbâches dépliées, quibouillonnent et traînent.

Iln’a trouvé rienautre.

Ilcommence àcoucher lescorps côteàcôte.

Maisnous entendons despas, etune femme entre,lescoudes collésaucorps, votée.

Garinesaisitmonbrasbrutalement etrecule. — Elle aussi !dit-iltrèsbas.

Quel crétin abien puluidire qu’il estici ? Elle nenous apas regardés.

Ellevadroit àKlein, heurte enpassant undes corps couchés, titube…Elleestenface de lui, etleregarde.

Ellenebouge pas,nepleure pas.Lesmouches autourdesatête.

L’odeur.

Dansmonoreille, la respiration chaude,haletante, deGarine. D’un seulcoup, elletombe surlesgenoux.

Elleneprie pas.

Elleestaccrochée aucorps parsesmains auxdoigts écartés, encastrés danslesflancs.

Ondirait qu’elle s’estagenouillée devantlestortures quereprésentent toutesces plaies etcette bouche qu’elleregarde, ouvertejusqu’au mentonparunsabre ouunrasoir… Jesuis certain qu’elle ne prie pas.

Tout soncorps tremble… Et,d’un coup, comme elleesttombée àgenoux toutàl’heure, ellesaisit à pleins braslecorps ; l’étreinte estconvulsive ; elleremue latête avec unmouvement incroyablement douloureux de tout lebuste… Avecuneterrible tendresse ellefrotte sonvisage, sauvagement, sansunsanglot, contrelatoile sanglante, contrelesplaies… Garine, quitient toujours monbras, m’entraîne.

Àla porte, leChinois s’estassis denouveau ; ilne regarde même pas.Mais ila tiré lepan delatunique deGarine.

Celui-ci sortdesapoche unbillet, etlelui donne : « Quand ellesera partie, tules recouvriras tous. » Dans l’auto, ilne dit pas unmot.

Ils’est d’abord affaissé, lescoudes surlesgenoux.

Lamaladie l’affaiblit chaque jour.

Lespremiers chocsl’ontfaitsauter, etils’est allongé, latête presque surlacapote, lesjambes raides. Quittant l’autodevant samaison, nousmontons danslapetite piècedupremier étage.Lesstores sontbaissés ; il semble plusmalade etplus fatigué quejamais.

Soussesyeux, deuxrides profondes, parallèlesàcelles quivont du nez aux extrémités delabouche, limitentdelarges taches violettes ; etces quatre rides,tirant soussestraits comme lamort, semblent déjàdécomposer sonvisage.

(« S’ilresteencore quinzejours,disaitMyroff, ilrestera plus longtemps qu’ilnelesouhaite… » Ilya plus dequinze jours…) Ildemeure quelquetempssilencieux, puisdit,àmi- voix, comme s’ils’interrogeait : « Pauvre type…Ildisait souvent : lavie n’est pascequ’on croit… « La vien’est jamais cequ’on croit ! jamais ! » Il s’assied surlelit de camp, ledos courbé ; sesdoigts, poséssurses genoux, tremblent commeceuxd’un alcoolique.

« J’ai eupour luiune amitié d’homme… Découvrirl’absencedepaupières, etpenser quel’onallait toucher des yeux… » Samain droite, involontairement s’estcrispée.

Laissant allertoutsoncorps enarrière, ils’appuie aumur, les yeux fermés.

Labouche etles narines sontdeplus enplus tendues, etune tache bleue s’étend dessourcils àla moitié desjoues. « Je parviens souventàoublier… Souvent… Pastoujours.

Demoins enmoins… Qu’ai-je faitdema vie, moi ? Mais, bonDieu, quepeut-on enfaire, àla fin !… Nejamais rienvoir !… Tousceshommes quejedirige, dontl’ai contribué àcréer l’âme, ensomme ! jene sais pasmême cequ’ils feront demain… Àcertains moments, j’aurais voulu tailler toutçacomme dubois, penser : voiciceque j’aifait.

Édifier, avoirletemps poursoi…Comme onchoisit ses désirs, hein ? » La fièvre monte.

Dèsqu’il s’est animé, ila sorti desapoche samain droite etilaccompagne sesphrases dugeste de l’avant-bras quiluiest habituel.

Maislepoing restefermé. « Ce quej’aifait, ceque j’aifait ! Ah,làlà ! jepense àl’empereur quifaisait crever lesyeux deses prisonniers, tu sais, etqui lesrenvoyait dansleurpays, engrappes, conduitspardes borgnes : lesconducteurs borgnes,euxaussi, de fatigue, devenaient aveuglespeuàpeu.

Belle image d’Épinal pourexprimer ceque nous foutons ici,plus belle. »

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