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J. Gracq, En lisant, en écrivant.

Publié le 27/04/2011

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Les plaisirs dont on est redevable à l'art, c'est, pour les neuf dixièmes, au cours d'une vie, non le contact direct avec l'œuvre qui en est le véhicule, mais son seul souvenir. Comme on s'est peu préoccupé pourtant de la nature différente, de la fidélité différente, de l'intensité différente des formes que revêt ce souvenir, selon qu'il s'agit d'un tableau, d'une musique, ou d'un poème ! Pour ce dernier seul, le souvenir est présence absolue, résurrection intrégale, et peut-être même — c'est assez singulier — davantage encore : seul contact véritablement authentique, puisque l'aptitude à la mémorisation entre comme constituant essentiel dans le poème, par l'entremise du mètre et de la rime, lesquels font que, même entendu pour la première fois, réglé qu'il est sur un rythme et des retours de sonorité de nature mnémotechnique, il revêt déjà la tonalité propre au ressouvenir : c'est en quoi toute poésie, seule parmi les productions des muses, peut être dite fille de mémoire. Le souvenir d'un tableau est le souvenir d'une émotion, d'une surprise, ou d'un plaisir sensuel, rapporté mécaniquement, mais non lié affectivement, à la persistance dans la mémoire d'une vague répartition des masses et des couleurs à l'intérieur d'un cadre. En somme, aussi privé de vie, ou peu s'en faut, que le souvenir qu'on garde de l'ameublement d'une pièce. Le souvenir musical a presque la précision du souvenir d'un poème, mais ne conserve ni le volume et l'intensité sonore, ni la vigueur des timbres instrumentaux ou vocaux inséparables de la seule exécution.    Il est singulier qu'un art existe, la poésie, dont la substance est soluble tout entière dans la mémoire, et ne réside véritablement qu'en elle, auquel aucune réalisation, aucune exécution, aucune matérialisation ne peut ajouter quoi que ce soit. Car le poème, dont la lecture par un acteur sur une scène de théâtre a quelque chose, nécessairement, de grossier, et même de caricatural, parce que de superflu [...] le poème qui déjà s'épure et gagne en puissance de suggestion s'il sort de la bouche d'ombre anonyme de la radio, n'atteint à toute sa plénitude expressive que lorsqu'il remonte à la conscience porté par la voix — même pas murmurante, même pas silencieusement mimée par la gorge, mais abstraite et comme dépouillée de toute sujétion charnelle — du seul souvenir.    Il y a des conséquences à cette inégalité des différents arts devant la mémorisation. Elle retire toute consistance réelle à une culture qui prendrait pour base les seules œuvres plastiques. Une culture purement musicale, au contraire, apparaît possible, sans grandes fenêtres sur l'extérieur, étroitement bornée et liée à une imagination de l'oreille très rarement dispensée — de là la clôture presque complète à l'égard du profane des véritables cercles de musiciens. La dominante « littéraire «, fondamentale dans toutes les cultures modernes de type occidental, tient sans doute certes ài ce que la langue s'est constituée le véhicule privilégié de la pensée, mais presque autant peut-être au caractère éminemment intériorisé et entièrement portatif de sa production de base, qui a été d'abord la poésie lyrique, épique, ou gnomique, apprise par cœur.        Vous ferez d'abord de ce texte, selon votre préférence, un résumé (en suivant le mouvement du développement), ou une analyse (en mettant en relief la structure logique de la pensée).    Vous choisirez ensuite dans le texte un thème qui offre une réelle consistance et auquel vous attachez un intérêt particulier. Vous en préciserez soigneusement les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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