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(Jean Giono s'adresse aux étudiants qui viennent le voir.)

Publié le 23/04/2011

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giono

« Ils ont des diplômes. Us se plaignent de n'avoir pas les places auxquelles ces diplômes donnent droit. La vie devant eux est toute noire et quand je leur parle de joie je m'aperçois que ces lèvres épaissies de jeunesse connaissent déjà le sourire du vieillard. Je les regarde, je les trouve juste de la beauté qu'il faut. C'est, de toute évidence, le meilleur de la génération. Ils ont des nez solides, un peu élargis par le bas avec de bonnes ouvertures pour respirer et goûter l'air, des mentons de maçons, des yeux exactement allumés. Ils seraient l'orgueil des champs. Ils se , désespèrent de ne pouvoir être professeurs, contrôleurs des finances, astronomes. « Si d'autres sont dans ces places, ne t'en inquiètes pas, laisse-les. On a dû te dire qu'il fallait réussir dans la vie ; moi je te dis qu'il faut vivre : c'est la plus grande réussite du monde. On t'a dit : « Avec ce que tu sais, tu gagneras de l'argent. « Moi je te dis : avec ce que tu sais tu gagneras des joies. C'est beaucoup mieux. Tout le monde se rue sur l'argent. Il n'y a plus de place au tas des batailleurs. De temps en temps un d'eux sort de la mêlée, blême, titubant, sentant déjà le cadavre, le regard pareil à la froide clarté de la lune, les mains pleines d'or mais n'ayant plus force et qualité pour vivre ; et la vie le rejette. Du côté des joies, nul ne se presse ; elles sont libres dans le inonde, seules à mener leurs jeux féeriques sur l'asphodèle et le serpolet des clairières solitaires. Ne crois pas que l'habitant des hautes terres y soit insensible. Il les connaît, les saisit parfois, danse avec elles. Mais la vérité est que certaines de ces joies plus tendres que les brumes du matin te sont réservées à toi, en plus des autres. Elles veulent un esprit plus averti, des grâces de pensées qui te sont coutumieres. Tu es là à te désespérer quand tu es le mieux armé de tous, quand tu as non seulement la science mais encore la jeunesse qui la corrige.

« Rien n'est plus agréable aux dieux que l'adolescent qui sort des grandes écoles, la tête couverte de lauriers, mais qui se dirige vers la forge de son père, l'atelier de l'artisan ou les champs dans lesquels la charrue est restée en de vieilles mains. Au lieu de s'asseoir à la chaire, fi forge tout le Jour des fers pour les chevaux ; il construit des tables, des armoires, des crédences et des grands pétrins avec des bois dont l'odeur seule donne au cœur la quadruple force des chars de course ; il taille et assemble le cuir pour les bottes du flotteur de radeaux et le soulier ferré du roulier. (L'homme est assis à côté de lui, le regarde faire, lui parle, le respecte dans son travail.) Il laboure et sème, et fauche, et foule. Déjà il est sensible à son libre travail, à la matière qu'il façonne, à l'utilité humaine qu'il a. Sa richesse ne dépend pas de son salaire, mais de ses joies ; il en trouve dans le fer, dans le bois, dans le cuir, dans le blé. Il en trouve dans la possession de lui-même, dans l'obéissance à sa nature d'homme. Sa science le rend clair et frémissant ; il la sent qui chaque jour s'affine et se complète dans l'exercice de ce travail manuel où toutes les lois de l'univers se mêlent sous ses mains. C'est alors, assis près de l'âtre, que tu ne pourras plus lui contester la compréhension des rythmes, quand il tressera peu à peu la jarre avec des tourillons de sagne (1). Il est beau de savoir que le forgeron est un agrégé des lettres ; il a un magnifique poème dans son atelier. Il est beau de savoir que le laboureur a des grades très élevés en mathématiques, la loi des nombres est dans les montagnes, dans les forêts, le ciel de jour et le ciel de nuit. Direz-vous qu'il a réussi celui qui, s'étant gardé libre, amoureux de son travail, entouré d'armes et d'ailes magiques, aura fait en pleine santé des enfants solides avec une femme robuste et passé sa vie dans la paix des champs ? Ne faites pas métier de la science : elle est seulement une noblesse intérieure. « Jean Giono, les Vraies Richesses (1937). • Après avoir dégagé, au moyen d'un résumé ou d'une analyse, le problème que pose ce texte, vous choisirez, développerez et discuterez personnellement l'une des idées essentielles de Giono.   

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