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Jules (1830-1870) et Edmond (1822-1896) DE GONCOURT « Le roman s’est imposé les études et les devoirs de la science (...) »

Publié le 14/01/2018

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Jules (1830-1870) et Edmond (1822-1896) DE GONCOURT

« Le roman s’est imposé les études et les devoirs de la science (...) »

 

« On peut joliment disputer sur le but de l'Art à propos de votre livre », écrivait Flaubert aux Goncourt, en janvier I865, à propos de Germinie Lacerteux. La préface des Goncourt affirmait la mission bienfaisante d'un roman réaliste se faisant instrument de vérité dans la peinture des vices et dans l'exploration des « basses classes ».

 

Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre, et l'avertir de ce qu'il y trouvera.

 

Le public aime les romans faux : ce roman est un roman vrai.

 

Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde : ce livre vient de la rue.

 

Il aime les petites œuvres polissonnes, les mémoires de filles, les confessions d'alcôves, les saletés érotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des libraires : ce qu'il va lire est sévère et pur. Qu'il ne s'attende point à la photographie décolletée du Plaisir : l'étude qui suit est la clinique de l'Amour.

 

Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui finissent bien, les imaginations qui ne dérangent ni sa digestion ni sa

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« sérén ité : ce livre, avec sa triste et violente distraction, est fait pour con trarier ses habitudes et nuire à son hygiène.

Pou rquoi donc l'avons-nous écrit? Est-ce simplement pour choquer le public et scanda liser ses goûts ? Non.

Vivant au xrx e sièc le, dans un temps de suff rage universel, de démocratie , de libéralis me, nous nous sommes demandé si ce qu'on app elle n' avaient pas droit au Roman ; si ce monde sous un monde, le peu ple, deva it rester sous le coup de l'interd it littéraire et des déda ins d'auteurs , qui ont fait jusq u'ici le silence sur l'âm e et le cœ ur qu'il peut avoir.

Nous nou s so mmes demandé s'il y avait encore, pour l'éc rivain et pour le lecteur, en ces années d'égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embou chés, des catastrophes d'une terreur trop peu noble .

Il nous est venu la curi osité de savoir si cette forme conven­ ti onne lle d'une littérature oubliée et d'une société disparue , la Tragé die, était défin itivement morte; si, dans un pays sans caste et sans aristocratie léga le, les misères des petits et des pauvres parleraient à l'in térêt , à l'ém o­ tion, à la pit ié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu'on pleure en bas, pourraien t faire pleurer comme celles qu 'on pleure en haut .

Ces pensées nous avaient fait oser l'hu mble roman de Sœur Philomène, en r86r ; elles nous font publier aujourd' hui Germinie Lacerteux.

Mainte nant, que ce livre soit calomnié : peu lui impor te.

Auj ourd' hui que le Roman s'élargit et gran dit, qu'i l comm ence à être la grande forme série use, passionnée, vivante, de l'étude littéraire et de l'enq uête sociale, qu'i l devient, par l'ana lyse et par la recher che psycholog ique , l'Histoire morale contemporaine ; auj ourd' hui que le roman s'est imposé les études et les devo irs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les fran­ chises.

Et qu'il cherche l'Art et la Vérité ; qu'il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris ; qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le cou rage de voir, ce que les reines autrefois faisaient toucher de l'œil à leurs enfants dans les hospices : la so uffrance humaine, présente et tout e vive , qui apprend la charité ; que le Roman ait cette religion que le sièc le passé appe lait de ce vaste et large nom : Hu manité ; - il lui suffit de cette conscience : son droit est là.

Préface à Germinie Lacerteux, 1864, Fasquelle.. »

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