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KIERKEGAARD: PHILOSOPHIE SOCRATIQUE ET PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE DU PÉCHÉ

Publié le 05/02/2011

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kierkegaard

D'après Socrate l'homme qui agit mal est celui qui ne connaît pas, qui n'a pas compris ce qu'est le bien et le juste.    La vraie compréhension du juste le pousserait vite à le faire, il serait bientôt l'écho de sa compréhension : ergo pécher est ignorer.    Mais où cloche alors la définition ? Son défaut, et le socratisme, quoique incomplètement, s'en rend bien compte et y obvie, c'est le manque d'une catégorie dialectique pour passer du comprendre à l'agir. Le christianisme, lui, part de ce passage ; et le long de cette voie il se heurte au péché, nous le montre dans la volonté et arrive au concept du défi ; et pour alors toucher le fond, on ajoute le dogme du péché originel — car, hélas ! le secret de la spéculation en ce qui est de comprendre, consiste justement à ne pas toucher le fond et à ne jamais nouer le fil, et voilà comment, ô merveille ! elle réussit à coudre indéfiniment, c'est-à-dire, tant qu'elle veut, à passer l'aiguille. Le christianisme au contraire noue le point final par le paradoxe. Dans la philosophie des idées pures, où l'on n'envisage pas l'individu réel, le passage est de toute nécessité (comme dans l'hégélianisme d'ailleurs, où tout s'accomplir avec nécessité), c'est-à-dire que le passage du comprendre à l'agir ne s'empêtre d'aucun embarras. C'est là l'hellénisme (pas chez Socrate toutefois, trop moraliste pour cela). Et c'est là au fond tout le secret également de la philosophie moderne tout entière dans le cogito ergo sum, dans l'identité de la pensée et de l'être (tandis que le chrétien, lui, pense : « Qu'il vous soit fait selon votre foi « ou : telle foi, tel homme, ou : croire c'est être). La philosophie moderne n'est ni plus ni moins, on le voit, que du paganisme. Mais c'est là son moindre défaut ; et ce n'est déjà pas si mal de cousiner avec Socrate. Ce qui est vraiment chez elle tout le contraire du socratisme, c'est de prendre et de vous faire prendre cet escamotage pour du christianisme.    Dans le monde réel où il s'agit de l'individu existant, on n'évite pas en revanche ce minuscule passage du comprendre à l'agir, on ne le parcourt pas toujours cito citissime, il n'est pas — pour parler allemand faute de jargon philosophique — geschwind wie der Wind. Au contraire, ici commence une bien longue aventure.    La vie de l'esprit n'a point de halte (au fond pas davantage d'état, tout est actuel) ; si donc un homme, à la seconde même où il reconnaît le juste, ne le fait pas, voici ce qui se produit : d'abord la connaissance tarit. Ensuite reste à savoir ce que la volonté pense du résidu. La volonté est un agent dialectique, qui commande à son tour toute la nature inférieure de l'homme. Si elle n'agrée le produit de la connaissance, elle ne se met pourtant pas nécessairement à faire le contraire de ce qu'a saisi la connaissance, de tels tiraillements sont rares ; mais elle laisse passer quelque temps, il s'ouvre un intérim, elle dit : on verra jusqu'à demain. Entre-temps, la connaissance s'obscurcit de plus en plus, et les bas côtés de notre nature prennent toujours plus le dessus ; hélas ! car il faut faire le bien tout de suite, sitôt reconnu (et c'est pourquoi dans la spéculation pure, le passage de la pensée à l'être est si facile, car là tout est donné d'avance), tandis que pour nos instincts inférieurs, le fort c'est de traîner, longueurs que ne déteste pas tellement la volonté, qui ferme à demi les yeux. Et quand la connaissance alors s'est obscurcie assez, elle fait meilleur ménage avec la volonté ; à la fin c'est l'accord parfait, car elle est alors passée au camp de l'autre, et ratifie très bien tout ce qu'elle arrange. Ainsi vivent peut-être des foules de gens ; ils travaillent, comme insensiblement, à obscurcir leur jugement éthique et éthico-religieux, qui les pousse vers des décisions et des suites que réprouve la partie inférieure d'eux-mêmes ; à la place ils développent en eux une connaissance esthétique et métaphysique, qui pour l'éthique n'est que divertissement.    Mais jusqu'ici avons-nous dépassé le socratisme ? Non, car Socrate dirait que, si tout se passe ainsi, c'est la preuve que notre homme n'a tout de même pas compris le juste. Autrement dit, pour énoncer que quelqu'un, en le sachant, fait l'injuste, que connaissant le juste il fait l'injuste, l'hellénisme manque de courage et y pare en disant : quand quelqu'un fait l'injuste, il n'a pas compris le juste. Là-dessus aucun doute ; et j'ajoute qu'il n'est pas possible qu'un homme puisse passer outre, puisse tout seul et de lui-même dire ce qu'est le péché, pour la raison qu'il y est ; tous ses discours sur le péché en sont au fond un enjolivement, une excuse, une atténuation pécheresse. C'est pourquoi le christianisme commence aussi d'autre façon, en posant la nécessité d'une révélation de Dieu, qui instruise l'homme du péché, et en lui montrant qu'il ne consiste pas à ne pas comprendre le juste, mais à ne pas vouloir le comprendre, à ne pas vouloir le juste.

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