La Conquete De Plassans --J'ai loué, en effet.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Le plus clair, c'est que j'ai loué cent cinquante francs: ce sont cent cinquante francs de plus qui entreront
chaque année dans la maison.
Marthe avait baissé la tète, ne protestant plus que par un balancement vague des mains, fermant doucement les
yeux, comme pour ne pas laisser tomber les larmes dont ses paupières étaient toutes gonflées.
Elle jeta un
regard furtif sur ses enfants, qui, pendant l'explication qu'elle venait d'avoir avec leur père, n'avaient pas paru
entendre, habitués sans doute à ces sortes de scènes où se complaisait la verve moqueuse de Mouret.
Si vous voulez manger maintenant, vous pouvez venir, dit Rose de sa voix maussade, en s'avançant sur le
perron.
C'est cela.
Les enfants, à la soupe! cria gaiement Mouret, sans paraître garder la moindre méchante humeur.
La famille se leva.
Alors Désirée, qui avait gardé sa gravité de pauvre innocente, eut comme un réveil de
douleur, en voyant tout le monde se remuer.
Elle se jeta au cou de son père, elle balbutia:
Papa, j'ai un oiseau qui s'est envolé.
Un oiseau, ma chérie? Nous le rattraperons.
Et il la caressait, il se faisait très-calin.
Mais il fallut qu'il allât, lui aussi, voir la cage.
Quand il ramena
l'enfant, Marthe et ses deux fils se trouvaient déjà dans la salle à manger.
Le soleil couchant, qui entrait par la
fenêtre, rendait toutes gaies les assiettes de porcelaine, les timbales des enfants, la nappe blanche.
La pièce
était tiède, recueillie, avec l'enfoncement verdâtre du jardin.
Comme Marthe, calmée par cette paix, ôtait en souriant le couvercle de la soupière, un bruit se fit dans le
corridor.
Rose, effarée, accourut, en bulbutiant:
Monsieur l'abbé Faujas est là.
II
Mouret fit un geste de contrariété.
Il n'attendait réellement son locataire que le surlendemain, au plus tôt.
Il se
levait vivement, lorsque l'abbé Faujas parut à la porte, dans le corridor.
C'était un homme grand et fort, une
face carrée, aux traits larges, au teint terreux.
Derrière lui, dans son ombre, se tenait une femme âgée qui lui
ressemblait étonnamment, plus petite, l'air plus rude.
En voyant la table mise, ils eurent tous les deux un
mouvement d'hésitation; ils reculèrent discrètement, sans se retirer.
La haute figure noire du prêtre faisait une
tache de deuil sur la gaieté du mur blanchi à la chaux.
Nous vous demandons pardon de vous déranger, dit-il à Mouret.
Nous venons de chez monsieur l'abbé
Bourrette; il a dû vous prévenir....
Mais pas du tout! s'écria Mouret.
L'abbé n'en fait jamais d'autres; il a toujours l'air de descendre du
paradis....
Ce matin encore, monsieur, il m'affirmait que vous ne seriez pas ici avant deux jours....
Enfin, il va
falloir vous installer tout de même.
L'abbé Faujas s'excusa.
Il avait une voix grave, d'une grande douceur dans
la chute des phrases.
Vraiment, il était désolé d'arriver à un pareil moment.
Quand il eut exprimé ses regrets,
sans bavardage, en dix paroles nettement choisies, il se tourna pour payer le commissionnaire qui avait
apporté sa malle.
Ses grosses mains bien faites tirèrent d'un pli de sa soutane une bourse, dont on n'aperçut
que les anneaux d'acier; il fouilla un instant, palpant du bout des doigts, avec précaution, la tête baissée.
Puis,
sans qu'on eût vu la pièce de monnaie, le commissionnaire s'en alla.
Lui, reprit de sa voix polie: La Conquete De Plassans
II 6.
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