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La Conquete De Plassans --Ma chère, dit un jour madame de Condamin à Marthe, il m'a grondée hier.

Publié le 11/04/2014

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La Conquete De Plassans --Ma chère, dit un jour madame de Condamin à Marthe, il m'a grondée hier. Je crois qu'il m'aurait battue, s'il n'y avait pas eu une planche entre nous.... Ah! il n'est pas toujours commode! Et elle eut un petit rire, jouissant encore de cette querelle avec son directeur. Il faut dire que madame de Condamin avait cru remarquer la pâleur de Marthe, quand elle lui faisait certaines confidences sur la façon dont l'abbé Faujas confessait; elle devinait sa jalousie, elle prenait un méchant plaisir à la torturer, en redoublant de détails intimes. Lorsque l'abbé Faujas eut créé le cercle de la Jeunesse, il se fit bon enfant; ce fut comme une nouvelle incarnation. Sous l'effort de la volonté, sa nature sévère se pliait ainsi qu'une cire molle. Il laissa conter la part qu'il avait prise à l'ouverture du cercle, il devint l'ami de tous les jeunes gens de la ville, se surveillant davantage, sachant que les collégiens échappés n'ont pas le goût des femmes pour les brutalités. Il faillit se fâcher avec le fils Rastoil, dont il menaça de tirer les oreilles, à propos d'une altercation sur le règlement intérieur du cercle; mais, avec un empire surprenant sur lui-même, il lui tendit la main presque aussitôt, s'humiliant, mettant les assistants de son côté par sa bonne grâce à offrir des excuses «à cette grande bête de Saturnin,» comme on le nommait. Si l'abbé avait conquis les femmes et les enfants, il restait sur un pied de simple politesse avec les pères et les maris. Les personnages graves continuaient à se méfier de lui, en le voyant rester à l'écart de tout groupe politique. A la sous-préfecture, M. Péqueur des Saulaies le discutait vivement; tandis que M. Delangre, sans le défendre d'une façon nette, disait avec de fins sourires qu'il fallait attendre pour le juger. Chez M. Rastoil, il était devenu un véritable trouble-ménage. Séverin et sa mère ne cessaient de fatiguer le président des éloges du prêtre. --Bien! bien! il a toutes les qualités que vous voudrez, criait le malheureux. C'est convenu, laissez-moi tranquille. Je l'ai fait inviter à dîner; il n'est pas venu. Je ne puis pourtant pas aller le prendre par le bras pour l'amener. --Mais, mon ami, disait madame Rastoil, quand tu le rencontres, tu le salues à peine. C'est cela qui a dû le froisser. --Sans doute, ajoutait Séverin; il s'aperçoit bien que vous n'êtes pas avec lui comme vous devriez être. M. Rastoil haussait les épaules. Lorsque M. de Bourdeu était là, tous deux accusaient l'abbé Faujas de pencher vers la sous-préfecture. Madame Rastoil faisait remarquer qu'il n'y dînait pas, qu'il n'y avait même jamais mis les pieds. --Certainement, répondait le président, je ne l'accuse pas d'être bonapartiste.... Je dis qu'il penche, voilà tout. Il a eu des rapports avec monsieur Delangre. --Eh! vous aussi, s'écriait Séverin, vous avez eu des rapports avec le maire! On y est bien forcé, dans certaines circonstances.... Dites que vous ne pouvez pas souffrir l'abbé Faujas, cela vaudra mieux. Et tout le monde se boudait dans la maison Rastoil pendant des journées entières. L'abbé Fenil n'y venait plus que rarement, se disant cloué chez lui par la goutte. D'ailleurs, à deux reprises, mis en demeure de se prononcer sur le curé de Saint-Saturnin, il avait fait son éloge, en quelques paroles brèves. L'abbé Surin et l'abbé Bourrette, ainsi que M. Maffre, étaient toujours du même avis que la maîtresse de la maison. L'opposition venait donc uniquement du président, soutenu par M. de Bourdeu, tous deux déclarant gravement ne pouvoir compromettre leur situation politique en accueillant un homme qui cachait ses opinions. Séverin, par taquinerie, inventa alors d'aller frapper à la petite porte de l'impasse des Chevillottes, lorsqu'il voulait dire quelque chose au prêtre. Peu à peu, l'impasse devint un terrain neutre. Le docteur Porquier, qui XIII 91 La Conquete De Plassans avait le premier usé de ce chemin, le fils Delangre, le juge de paix, indistinctement, y vinrent causer avec l'abbé Faujas. Parfois, pendant toute une après-midi, les petites portes des deux jardins, ainsi que la porte charretière de la sous-préfecture, restaient grandes ouvertes. L'abbé était là, au fond de ce cul-de-sac, appuyé au mur, souriant, donnant des poignées de main aux personnes des deux sociétés qui voulaient bien le venir saluer. Mais M. Péqueur des Saulaies affectait de ne pas vouloir mettre les pieds hors du jardin de la sous-préfecture; tandis que M. Rastoil et M. de Bourdeu, s'obstinant également à ne point se montrer dans l'impasse, restaient assis sous les arbres, devant la cascade. Rarement la petite cour du prêtre envahissait la tonnelle des Mouret. De temps à autre, seulement, une tête s'allongeait, jetait un coup d'oeil, disparaissait. D'ailleurs, l'abbé Faujas ne se gênait point; il ne surveillait guère avec inquiétude que la fenêtre des Trouche, où luisaient à toute heure les yeux d'Olympe. Les Trouche se tenaient là en embuscade, derrière les rideaux rouges, rongés par une envie rageuse de descendre, eux aussi, de goûter aux fruits, de causer avec le beau monde. Ils tapaient les persiennes, s'accoudaient un instant, se retiraient, furieux, sous les regards dompteurs du prêtre; puis, ils revenaient, à pas de loup, coller leurs faces blêmes, à un coin des vitres, espionnant chacun de ses mouvements, torturés de le voir jouir si à l'aise de ce paradis qu'il leur défendait. --C'est trop bête! dit un jour Olympe à son mari; il nous mettrait dans une armoire, s'il pouvait, pour garder tout le plaisir.... Nous allons descendre, si tu veux. Nous verrons ce qu'il dira. Trouche venait de rentrer de son bureau. Il changea de faux-col, épousseta ses souliers, voulant être tout à fait bien. Olympe mit une robe claire. Puis, ils descendirent bravement dans le jardin, marchant à petits pas le long des grands buis, s'arrêtant devant les fleurs. Justement, l'abbé Faujas tournait le dos, causant avec M. Maffre, sur le seuil de la petite porte de l'impasse. Lorsqu'il entendit crier le sable, les Trouche étaient derrière son dos, sous la tonnelle. Il se tourna, s'arrêta net au milieu d'une phrase, stupéfait de les trouver là. M. Maffre, qui ne les connaissait pas, les regardait curieusement. --Un bien joli temps, n'est-ce pas, messieurs? dit Olympe, qui avait pâli sous le regard de son frère. L'abbé, brusquement, entraîna le juge de paix dans l'impasse, où il se débarrassa de lui. --Il est furieux, murmura Olympe. Tant pis! il faut rester. Si nous remontons, il croira que nous avons peur.... J'en ai assez. Tu vas voir comme je vais lui parler. Et elle fit asseoir Trouche sur une des chaises que Rose avait apportées, quelques instants auparavant. Quand l'abbé rentra, il les aperçut tranquillement installés. Il poussa les verrous de la petite porte, s'assura d'un coup d'oeil que les feuilles les cachaient suffisamment; puis s'approchant, à voix étouffée: --Vous oubliez nos conventions, dit-il: vous m'aviez promis de rester chez vous. --Il fait trop chaud, là-haut, répondit Olympe. Nous ne commettons pas un crime, en venant respirer le frais ici. Le prêtre allait s'emporter; mais sa soeur, toute blême de l'effort qu'elle faisait en lui résistant, ajouta d'un ton singulier: --Ne crie pas; il y a du monde à côté, tu pourrais te faire du tort. Les Trouche eurent un petit rire. Il les regarda, il se prit le front, d'un geste silencieux et terrible. --Assieds-toi, dit Olympe. Tu veux une explication, n'est-ce pas? Eh bien, la voici.... Nous sommes las de nous claquemurer. Toi, tu vis ici comme un coq en pâte; la maison est à toi, le jardin est à toi. C'est tant XIII 92

« avait le premier usé de ce chemin, le fils Delangre, le juge de paix, indistinctement, y vinrent causer avec l'abbé Faujas.

Parfois, pendant toute une après-midi, les petites portes des deux jardins, ainsi que la porte charretière de la sous-préfecture, restaient grandes ouvertes.

L'abbé était là, au fond de ce cul-de-sac, appuyé au mur, souriant, donnant des poignées de main aux personnes des deux sociétés qui voulaient bien le venir saluer.

Mais M.

Péqueur des Saulaies affectait de ne pas vouloir mettre les pieds hors du jardin de la sous-préfecture; tandis que M.

Rastoil et M.

de Bourdeu, s'obstinant également à ne point se montrer dans l'impasse, restaient assis sous les arbres, devant la cascade.

Rarement la petite cour du prêtre envahissait la tonnelle des Mouret.

De temps à autre, seulement, une tête s'allongeait, jetait un coup d'oeil, disparaissait. D'ailleurs, l'abbé Faujas ne se gênait point; il ne surveillait guère avec inquiétude que la fenêtre des Trouche, où luisaient à toute heure les yeux d'Olympe.

Les Trouche se tenaient là en embuscade, derrière les rideaux rouges, rongés par une envie rageuse de descendre, eux aussi, de goûter aux fruits, de causer avec le beau monde.

Ils tapaient les persiennes, s'accoudaient un instant, se retiraient, furieux, sous les regards dompteurs du prêtre; puis, ils revenaient, à pas de loup, coller leurs faces blêmes, à un coin des vitres, espionnant chacun de ses mouvements, torturés de le voir jouir si à l'aise de ce paradis qu'il leur défendait. —C'est trop bête! dit un jour Olympe à son mari; il nous mettrait dans une armoire, s'il pouvait, pour garder tout le plaisir....

Nous allons descendre, si tu veux.

Nous verrons ce qu'il dira. Trouche venait de rentrer de son bureau.

Il changea de faux-col, épousseta ses souliers, voulant être tout à fait bien.

Olympe mit une robe claire.

Puis, ils descendirent bravement dans le jardin, marchant à petits pas le long des grands buis, s'arrêtant devant les fleurs.

Justement, l'abbé Faujas tournait le dos, causant avec M.

Maffre, sur le seuil de la petite porte de l'impasse.

Lorsqu'il entendit crier le sable, les Trouche étaient derrière son dos, sous la tonnelle.

Il se tourna, s'arrêta net au milieu d'une phrase, stupéfait de les trouver là.

M.

Maffre, qui ne les connaissait pas, les regardait curieusement. —Un bien joli temps, n'est-ce pas, messieurs? dit Olympe, qui avait pâli sous le regard de son frère. L'abbé, brusquement, entraîna le juge de paix dans l'impasse, où il se débarrassa de lui. —Il est furieux, murmura Olympe.

Tant pis! il faut rester.

Si nous remontons, il croira que nous avons peur.... J'en ai assez.

Tu vas voir comme je vais lui parler. Et elle fit asseoir Trouche sur une des chaises que Rose avait apportées, quelques instants auparavant.

Quand l'abbé rentra, il les aperçut tranquillement installés.

Il poussa les verrous de la petite porte, s'assura d'un coup d'oeil que les feuilles les cachaient suffisamment; puis s'approchant, à voix étouffée: —Vous oubliez nos conventions, dit-il: vous m'aviez promis de rester chez vous. —Il fait trop chaud, là-haut, répondit Olympe.

Nous ne commettons pas un crime, en venant respirer le frais ici. Le prêtre allait s'emporter; mais sa soeur, toute blême de l'effort qu'elle faisait en lui résistant, ajouta d'un ton singulier: —Ne crie pas; il y a du monde à côté, tu pourrais te faire du tort. Les Trouche eurent un petit rire.

Il les regarda, il se prit le front, d'un geste silencieux et terrible. —Assieds-toi, dit Olympe.

Tu veux une explication, n'est-ce pas? Eh bien, la voici....

Nous sommes las de nous claquemurer.

Toi, tu vis ici comme un coq en pâte; la maison est à toi, le jardin est à toi.

C'est tant La Conquete De Plassans XIII 92. »

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