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La Conquete De Plassans --Pardi!

Publié le 11/04/2014

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La Conquete De Plassans --Pardi! c'est par méchanceté, répondait celle-ci. Au fond, il n'est pas bon homme. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je m'en aperçois. C'est comme la mine sournoise qu'il fait, lui qui aime tant à parler, croyez-vous qu'il ne joue pas la comédie pour nous apitoyer? Il enrage de bouder, mais il tient bon, afin qu'on le plaigne et qu'on en passe par ses volontés. Allez, madame, vous avez joliment raison de ne pas vous arrêter à ces simagrées-là. Mouret tenait les deux femmes par l'argent. Il ne voulait point se disputer, de peur de troubler davantage sa vie. S'il ne grondait plus, tatillonnant, piétinant, il occupait encore les tristesses qui le prenaient en refusant une pièce de cent sous à Marthe ou à Rose. Il donnait par mois cent francs à cette dernière pour la nourriture; le vin, l'huile, les conserves étaient dans la maison. Mais il fallait quand même que la cuisinière arrivât au bout du mois, quitte à y mettre du sien. Quant à Marthe, elle n'avait rien; il la laissait absolument sans un sou. Elle en était réduite à s'entendre avec Rose, à tâcher d'économiser dix francs sur les cent francs du mois. Souvent elle n'avait pas de bottines à se mettre. Elle était obligée d'aller chez sa mère pour lui emprunter l'argent d'une robe ou d'un chapeau. --Mais Mouret devient fou! criait madame Rougon; tu ne peux pourtant pas aller toute nue. Je lui parlerai. --Je vous en supplie, ma mère, n'en faites rien, répondait-elle. Il vous déteste. Il me traiterait encore plus mal, s'il savait que je vous raconte ces choses. Elle pleurait, elle ajoutait: --Je l'ai longtemps défendu, mais aujourd'hui je n'ai plus la force de me taire.... Vous vous rappelez, lorsqu'il ne voulait pas que je misse seulement le pied dans la rue. Il m'enfermait, il usait de moi comme d'une chose. Maintenant, s'il se montre si dur, c'est qu'il voit bien que je lui ai échappé, et que je ne consentirai jamais plus à être sa bonne. C'est un homme sans religion, un égoïste, un mauvais coeur. --Il ne te bat pas, au moins? --Non, mais cela viendra. Il n'en est qu'à tout me refuser. Voilà cinq ans que je n'ai pas acheté de chemises. Hier, je lui montrais celles que j'ai; elles sont usées, et si pleines de reprises, que j'ai honte de les porter. Il les a regardées, les a tâtées, en disant qu'elles pouvaient parfaitement aller jusqu'à l'année prochaine... Je n'ai pas un centime à moi; il faut que je pleure pour une pièce de vingt sous. L'autre jour, j'ai dû emprunter deux sous à Rose pour acheter du fil. J'ai recousu mes gants, qui s'ouvraient de tous les côtés. Et elle racontait vingt autres détails: les points qu'elle faisait elle-même à ses bottines avec du fil poissé; les rubans qu'elle lavait dans du thé, pour rafraîchir ses chapeaux; l'encre qu'elle étalait sur les plis limés de son unique robe de soie, afin d'en cacher l'usure. Madame Rougon s'apitoyait, l'encourageait à la révolte. Mouret était un monstre. Il poussait l'avarice, disait Rose, jusqu'à compter les poires du grenier et les morceaux de sucre des armoires, surveillant les conserves, mangeant lui-même les croûtes de pain de la veille. Marthe souffrait surtout de ne pouvoir donner aux quêtes de Saint-Saturnin; elle cachait des pièces de dix sous dans des morceaux de papier, qu'elle gardait précieusement pour les grand'messes des dimanches. Maintenant, quand les dames patronnesses de l'oeuvre de la Vierge offraient quelque cadeau à la cathédrale, un saint-ciboire, une croix d'argent, une bannière, elle était toute honteuse; elle les évitait, feignant d'ignorer leur projet. Ces dames la plaignaient beaucoup. Elle aurait volé son mari, si elle avait trouvé la clef sur le secrétaire, tant le besoin d'orner cette église qu'elle aimait, la torturait. Une jalousie de femme trompée la prenait aux entrailles, lorsque l'abbé Faujas se servait d'un calice donné par madame de Condamin; tandis que, les jours où il disait la messe sur la nappe d'autel qu'elle avait brodée, elle éprouvait une joie profonde, priant avec des frissons, comme si quelque chose d'elle-même se trouvait sous les mains élargies du prêtre. Elle aurait voulu qu'une chapelle tout entière lui appartînt; elle rêvait d'y mettre une fortune, de s'y enfermer, de XV 105 La Conquete De Plassans recevoir Dieu chez elle, pour elle seule. Rose, qui recevait ses confidences, s'ingéniait pour lui procurer de l'argent. Cette année-là, elle fit disparaître les plus beaux fruits du jardin et les vendit; elle débarrassa également le grenier d'un tas de vieux meubles, si bien qu'elle finit par réunir une somme de trois cents francs, qu'elle remit triomphalement à Marthe. Celle-ci embrassa la vieille cuisinière. --Ah! que tu es bonne! dit-elle en la tutoyant. Tu es sûre au moins qu'il n'a rien vu?... J'ai regardé, l'autre jour, rue des Orfèvres, des petites burettes d'argent ciselé, toutes mignonnes; elles sont de deux cents francs.... Tu vas me rendre un service, n'est-ce pas? Je ne veux pas les acheter moi-même, parce qu'on pourrait me voir entrer. Dis à ta soeur d'aller les prendre; elle les apportera à la nuit, elle te les remettra par la fenêtre de ta cuisine. Cet achat des burettes fut pour elle toute une intrigue défendue, où elle goûta de vives jouissances. Elle les garda, pendant trois jours, au fond d'une armoire, cachées derrière des paquets de linge; et, lorsqu'elle les donna à l'abbé Faujas, dans la sacristie de Saint-Saturnin, elle tremblait, elle balbutiait. Lui, la gronda amicalement. Il n'aimait point les cadeaux; il parlait de l'argent avec le dédain d'un homme fort, qui n'a que des besoins de puissance et de domination. Pendant ses deux premières années de misère, même les jours où sa mère et lui vivaient de pain et d'eau, il n'avait jamais songé à emprunter dix francs aux Mouret. Marthe trouva une cachette sûre pour les cent francs qui lui restaient. Elle devenait avare, elle aussi; elle calculait l'emploi de cet argent, achetait chaque matin une chose nouvelle. Comme elle restait très-hésitante, Rose lui apprit que madame Trouche voulait lui parler en particulier. Olympe, qui s'arrêtait pendant des heures dans la cuisine, était devenue l'amie intime de Rose, à laquelle elle empruntait souvent quarante sous, pour ne pas avoir à remonter les deux étages, les jours où elle disait avoir oublié son porte-monnaie. --Montez la voir, ajouta la cuisinière; vous serez mieux pour causer.... Ce sont de braves gens, et qui aiment beaucoup monsieur le curé. Ils ont eu bien des tourments, allez. Ça fend le coeur, tout ce que madame Olympe m'a raconté. Marthe trouva Olympe en larmes. Ils étaient trop bons, on avait toujours abusé d'eux; et elle entra dans des explications sur leurs affaires de Besançon, où la coquinerie d'un associé leur avait mis de lourdes dettes sur le dos. Le pis était que les créanciers se fâchaient. Elle venait de recevoir une lettre d'injures, dans laquelle on la menaçait d'écrire au maire et à l'évêque de Plassans. --Je suis prête à tout souffrir, ajouta-t-elle en sanglotant; mais je donnerais ma tête, pour que mon frère ne fût pas compromis.... Il a déjà trop fait pour nous; je ne veux lui parler de rien, car il n'est pas riche, il se tourmenterait inutilement .... Mon Dieu! comment faire pour empêcher cet homme d'écrire? Ce serait à mourir de honte, si une pareille lettre arrivait à la mairie et à l'évêché. Oui, je connais mon frère, il en mourrait. Alors, les larmes montèrent aussi aux yeux de Marthe. Elle était toute pâle, elle serrait les mains d'Olympe. Puis, sans que celle-ci lui eût rien demandé, elle offrit ses cent francs. --C'est peu sans doute; mais, si cela pouvait conjurer le péril? demanda-t-elle avec anxiété. --Cent francs, cent francs, répétait Olympe; non, non, il ne se contentera jamais de cent francs. Marthe fut désespérée. Elle jurait qu'elle ne possédait pas davantage. Elle s'oublia jusqu'à parler des burettes. Si elle ne les avait pas achetées, elle aurait pu donner les trois cents francs. Les yeux de madame Trouche s'étaient allumés. XV 106

« recevoir Dieu chez elle, pour elle seule. Rose, qui recevait ses confidences, s'ingéniait pour lui procurer de l'argent.

Cette année-là, elle fit disparaître les plus beaux fruits du jardin et les vendit; elle débarrassa également le grenier d'un tas de vieux meubles, si bien qu'elle finit par réunir une somme de trois cents francs, qu'elle remit triomphalement à Marthe.

Celle-ci embrassa la vieille cuisinière. —Ah! que tu es bonne! dit-elle en la tutoyant.

Tu es sûre au moins qu'il n'a rien vu?...

J'ai regardé, l'autre jour, rue des Orfèvres, des petites burettes d'argent ciselé, toutes mignonnes; elles sont de deux cents francs.... Tu vas me rendre un service, n'est-ce pas? Je ne veux pas les acheter moi-même, parce qu'on pourrait me voir entrer.

Dis à ta soeur d'aller les prendre; elle les apportera à la nuit, elle te les remettra par la fenêtre de ta cuisine. Cet achat des burettes fut pour elle toute une intrigue défendue, où elle goûta de vives jouissances.

Elle les garda, pendant trois jours, au fond d'une armoire, cachées derrière des paquets de linge; et, lorsqu'elle les donna à l'abbé Faujas, dans la sacristie de Saint-Saturnin, elle tremblait, elle balbutiait.

Lui, la gronda amicalement.

Il n'aimait point les cadeaux; il parlait de l'argent avec le dédain d'un homme fort, qui n'a que des besoins de puissance et de domination.

Pendant ses deux premières années de misère, même les jours où sa mère et lui vivaient de pain et d'eau, il n'avait jamais songé à emprunter dix francs aux Mouret. Marthe trouva une cachette sûre pour les cent francs qui lui restaient.

Elle devenait avare, elle aussi; elle calculait l'emploi de cet argent, achetait chaque matin une chose nouvelle.

Comme elle restait très-hésitante, Rose lui apprit que madame Trouche voulait lui parler en particulier.

Olympe, qui s'arrêtait pendant des heures dans la cuisine, était devenue l'amie intime de Rose, à laquelle elle empruntait souvent quarante sous, pour ne pas avoir à remonter les deux étages, les jours où elle disait avoir oublié son porte-monnaie. —Montez la voir, ajouta la cuisinière; vous serez mieux pour causer....

Ce sont de braves gens, et qui aiment beaucoup monsieur le curé.

Ils ont eu bien des tourments, allez.

Ça fend le coeur, tout ce que madame Olympe m'a raconté. Marthe trouva Olympe en larmes.

Ils étaient trop bons, on avait toujours abusé d'eux; et elle entra dans des explications sur leurs affaires de Besançon, où la coquinerie d'un associé leur avait mis de lourdes dettes sur le dos.

Le pis était que les créanciers se fâchaient.

Elle venait de recevoir une lettre d'injures, dans laquelle on la menaçait d'écrire au maire et à l'évêque de Plassans. —Je suis prête à tout souffrir, ajouta-t-elle en sanglotant; mais je donnerais ma tête, pour que mon frère ne fût pas compromis....

Il a déjà trop fait pour nous; je ne veux lui parler de rien, car il n'est pas riche, il se tourmenterait inutilement ....

Mon Dieu! comment faire pour empêcher cet homme d'écrire? Ce serait à mourir de honte, si une pareille lettre arrivait à la mairie et à l'évêché.

Oui, je connais mon frère, il en mourrait. Alors, les larmes montèrent aussi aux yeux de Marthe.

Elle était toute pâle, elle serrait les mains d'Olympe. Puis, sans que celle-ci lui eût rien demandé, elle offrit ses cent francs. —C'est peu sans doute; mais, si cela pouvait conjurer le péril? demanda-t-elle avec anxiété. —Cent francs, cent francs, répétait Olympe; non, non, il ne se contentera jamais de cent francs. Marthe fut désespérée.

Elle jurait qu'elle ne possédait pas davantage.

Elle s'oublia jusqu'à parler des burettes. Si elle ne les avait pas achetées, elle aurait pu donner les trois cents francs.

Les yeux de madame Trouche s'étaient allumés.

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