La Conquete De Plassans --Pardi!
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
recevoir Dieu chez elle, pour elle seule.
Rose, qui recevait ses confidences, s'ingéniait pour lui procurer de l'argent.
Cette année-là, elle fit disparaître
les plus beaux fruits du jardin et les vendit; elle débarrassa également le grenier d'un tas de vieux meubles, si
bien qu'elle finit par réunir une somme de trois cents francs, qu'elle remit triomphalement à Marthe.
Celle-ci
embrassa la vieille cuisinière.
Ah! que tu es bonne! dit-elle en la tutoyant.
Tu es sûre au moins qu'il n'a rien vu?...
J'ai regardé, l'autre
jour, rue des Orfèvres, des petites burettes d'argent ciselé, toutes mignonnes; elles sont de deux cents francs....
Tu vas me rendre un service, n'est-ce pas? Je ne veux pas les acheter moi-même, parce qu'on pourrait me
voir entrer.
Dis à ta soeur d'aller les prendre; elle les apportera à la nuit, elle te les remettra par la fenêtre de ta
cuisine.
Cet achat des burettes fut pour elle toute une intrigue défendue, où elle goûta de vives jouissances.
Elle les
garda, pendant trois jours, au fond d'une armoire, cachées derrière des paquets de linge; et, lorsqu'elle les
donna à l'abbé Faujas, dans la sacristie de Saint-Saturnin, elle tremblait, elle balbutiait.
Lui, la gronda
amicalement.
Il n'aimait point les cadeaux; il parlait de l'argent avec le dédain d'un homme fort, qui n'a que
des besoins de puissance et de domination.
Pendant ses deux premières années de misère, même les jours où
sa mère et lui vivaient de pain et d'eau, il n'avait jamais songé à emprunter dix francs aux Mouret.
Marthe trouva une cachette sûre pour les cent francs qui lui restaient.
Elle devenait avare, elle aussi; elle
calculait l'emploi de cet argent, achetait chaque matin une chose nouvelle.
Comme elle restait très-hésitante,
Rose lui apprit que madame Trouche voulait lui parler en particulier.
Olympe, qui s'arrêtait pendant des
heures dans la cuisine, était devenue l'amie intime de Rose, à laquelle elle empruntait souvent quarante sous,
pour ne pas avoir à remonter les deux étages, les jours où elle disait avoir oublié son porte-monnaie.
Montez la voir, ajouta la cuisinière; vous serez mieux pour causer....
Ce sont de braves gens, et qui aiment
beaucoup monsieur le curé.
Ils ont eu bien des tourments, allez.
Ça fend le coeur, tout ce que madame Olympe
m'a raconté.
Marthe trouva Olympe en larmes.
Ils étaient trop bons, on avait toujours abusé d'eux; et elle entra dans des
explications sur leurs affaires de Besançon, où la coquinerie d'un associé leur avait mis de lourdes dettes sur le
dos.
Le pis était que les créanciers se fâchaient.
Elle venait de recevoir une lettre d'injures, dans laquelle on la
menaçait d'écrire au maire et à l'évêque de Plassans.
Je suis prête à tout souffrir, ajouta-t-elle en sanglotant; mais je donnerais ma tête, pour que mon frère ne
fût pas compromis....
Il a déjà trop fait pour nous; je ne veux lui parler de rien, car il n'est pas riche, il se
tourmenterait inutilement ....
Mon Dieu! comment faire pour empêcher cet homme d'écrire? Ce serait à mourir
de honte, si une pareille lettre arrivait à la mairie et à l'évêché.
Oui, je connais mon frère, il en mourrait.
Alors, les larmes montèrent aussi aux yeux de Marthe.
Elle était toute pâle, elle serrait les mains d'Olympe.
Puis, sans que celle-ci lui eût rien demandé, elle offrit ses cent francs.
C'est peu sans doute; mais, si cela pouvait conjurer le péril? demanda-t-elle avec anxiété.
Cent francs, cent francs, répétait Olympe; non, non, il ne se contentera jamais de cent francs.
Marthe fut désespérée.
Elle jurait qu'elle ne possédait pas davantage.
Elle s'oublia jusqu'à parler des burettes.
Si elle ne les avait pas achetées, elle aurait pu donner les trois cents francs.
Les yeux de madame Trouche
s'étaient allumés.
La Conquete De Plassans
XV 106.
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