La Curée Ma femme ne sait pas encore, reprit Saccard.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
coins, dès qu'ils se trouvaient ensemble quelque part.
Mais elle visita inutilement le demi-jour de la serre.
Elle n'aperçut, au fond d'un berceau, qu'un grand jeune homme qui baisait dévotement les mains de la petite
Mme Daste, en murmurant:
\24 Mme de Lauwerens me l'avait bien dit vous êtes un ange!
Cette déclaration chez elle, dans sa serre, la choqua.
Vraiment Mme de Lauwerens aurait dû porter son
commerce ailleurs! Et Renée se serait soulagée à chasser de ses appartements tout ce monde qui criait si fort.
Debout devant le bassin, elle regardait l'eau, elle se demandait où Louise et Maxime avaient pu se cacher.
L'orchestre jouait toujours cette valse dont le bercement ralenti lui tournait le coeur.
C'était insupportable, on
ne pouvait plus réfléchir chez soi.
Elle ne savait plus.
Elle oubliait que les jeunes gens n'étaient pas encore
mariés, et elle se disait que c'était bien simple, qu'ils étaient allés se coucher.
Puis elle songea à la salle à
manger, elle remonta vivement l'escalier de la serre.
Mais, à la porte du grand salon, elle fut arrêtée une
seconde fois par une figure de cotillon.
- Ce sont les « Points noirs », mesdames, disait galamment M.
de Saffré.
Ceci est de mon invention, et je
vous en donne la primeur.
On riait beaucoup.
Les hommes expliquaient l'allusion aux jeunes femmes.
L'empereur venait de prononcer
un discours qui constatait, à l'horizon politique, la présence de « certains points noirs ».
Ces points noirs, on
ne savait pourquoi, avaient fait fortune.
L'esprit de Paris s'était emparé de cette expression, au point que,
depuis huit jours, on accommodait tout aux points noirs.
M.
de Saffré plaça les cavaliers à l'un des bouts du
salon, en leur faisant tourner le dos aux dames, laissées à l'autre bout.
Puis il leur commanda de relever leurs
habits, de façon à s'en cacher le derrière de la tête.
Cette opération s'accomplit au milieu d'une gaieté folle.
Bossus, les épaules serrées, avec les pans des habits qui ne leur tombaient plus qu'à la taille, les cavaliers
étaient vraiment affreux.
\24 Ne riez pas, mesdames, criait M.
de Saffré avec un sérieux des plus comiques, ou je vous fais mettre vos
dentelles sur la tête.
La gaieté redoubla.
Et il usa énergiquement de sa souveraineté vis-à-vis de quelques-uns de ces messieurs
qui ne voulaient pas cacher leur nuque.
\24 Vous êtes les « points noirs », disait-il; masquez vos têtes, ne montrez que le dos, il faut que ces dames ne
voient plus que du noir...
Maintenant, marchez, mêlez-vous les uns aux autres, pour qu'on ne vous
reconnaisse pas.
L'hilarité était à son comble.
Les «points noirs» allaient et venaient, sur leurs jambes grêles, avec des
balancements de corbeaux sans tête.
On vit la chemise d'un monsieur, avec un coin de la bretelle.
Alors ces
dames demandèrent grâce, elles étouffaient, et M.
de Saffré voulut bien leur ordonner d'aller chercher les «
points noirs ».
Elles partirent, comme un vol de jeunes perdrix, avec un grand bruit de jupes.
Puis, au bout de
sa course, chacune saisit le cavalier qui lui tomba sous la main.
Ce fut un tohu-bohu inexprimable.
Et, à la
file, les couples improvisés se dégageaient, faisaient le tour du salon en valsant, dans le chant plus haut de
l'orchestre.
Renée s'était appuyée au mur.
Elle regardait, pâle, les lèvres serrées.
Un vieux monsieur vint lui demander
galamment pourquoi elle ne dansait pas.
Elle dut sourire, répondre quelque chose.
Elle s'échappa, elle entra
dans la salle à manger.
La pièce était vide.
Au milieu des dressoirs pillés, des bouteilles et des assiettes qui
traînaient, Maxime et Louise soupaient tranquillement, à un bout de la table, côte à côte, sur une serviette
qu'ils avaient étalée.
Ils paraissaient à l'aise, ils riaient, dans ce désordre, ces verres sales, ces plats tachés de
graisse, ces débris encore tièdes de la gloutonnerie des soupeurs en gants blancs.
Ils s'étaient contentés La Curée
PARTIE VI 140.
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