Devoir de Philosophie

La Curée Ma femme ne sait pas encore, reprit Saccard.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

La Curée Ma femme ne sait pas encore, reprit Saccard... Nous avons arrêté ce soir le mariage de Mlle de Mareuil et de Maxime. Elle continua de sourire, s'inclinant devant M. Toutin-Laroche, qui partait en disant: Vous signez le contrat dimanche, n'est-ce pas? Je vais à Nevers pour une affaire de mines, mais je serai de retour. Elle resta un instant seule au milieu du vestibule. Elle ne souriait plus; et, à mesure qu'elle descendait dans ce qu'elle venait d'apprendre, elle était prise d'un grand frisson. Elle regarda les tentures de velours rouge, les plantes rares, les pots de majolique, d'un regard fixe. Puis elle dit tout haut: Il faut que je lui parle. Et elle revint dans le salon. Mais elle dut rester à l'entrée. Une figure de cotillon obstruait le passage. L'orchestre jouait en sourdine une phrase de valse. Les dames, se tenant par la main, formaient un rond, un de ces ronds de petites filles chantant Giroflé girofla; et elles tournaient le plus vite possible, tirant sur leurs bras, riant, glissant. Au milieu, un cavalier - c'était le malicieux M. Simpson, - avait à la main une longue écharpe rose; il l'élevait, avec le geste d'un pêcheur qui va jeter un coup d'épervier; mais il ne se pressait pas, il trouva drôle, sans doute, de laisser tourner ces dames, de les fatiguer. Elles soufflaient, elles demandaient grâce. Alors il lança l'écharpe, et il lança avec tant d'adresse, qu'elle alla s'enrouler autour des épaules de Mme d'Espanet et de Mme Haffner, tournant côte à côte. C'était une plaisanterie de l'Américain. Il voulut ensuite valser avec les deux dames à la fois, et il les avait déjà prises à la taille toutes deux, l'une de son bras gauche, l'autre de son bras droit, lorsque M. de Saffré dit, de sa voix sévère de roi du cotillon: On ne danse pas avec deux dames. Mais M. Simpson ne voulait pas lâcher les deux tailles. Adeline et Suzanne se renversaient dans ses bras avec des rires. On jugeait le coup, les dames se fâchaient, le tapage se prolongeait, et les habits noirs, dans les embrasures des fenêtres, se demandaient comment Saffré allait sortir à sa gloire de ce cas délicat. Il parut, en effet, perplexe un moment, cherchant par quel raffinement de grâce il mettrait les rieurs de son côté. Puis il eut un sourire, il prit Mme d'Espanet et Mme Haffner, chacune d'une main, leur posa une question à l'oreille, reçut leur réponse, et, s'adressant ensuite à M. Simpson: - Cueillez-vous la verveine ou cueillez-vous la pervenche? M. Simpson, un peu sot, dit qu'il cueillait la verveine. Alors M. de Saffré lui donna la marquise, en disant: Voici la verveine. On applaudit discrètement. Cela fut trouvé très joli. M. de Saffré était un conducteur de cotillon « qui ne restait jamais à court »; telle fut l'expression de ces dames. Pendant ce temps, l'orchestre avait repris de toutes ses voix la phrase de la valse, et M. Simpson, après avoir fait le tour du salon en valsant avec Mme d'Espanet, la reconduisait à sa place. Renée put passer. Elle s'était mordu les lèvres au sang, devant toutes « ces bêtises ». Elle trouvait ces femmes et ces hommes stupides de lancer des écharpes et de prendre des noms de fleurs. Ses oreilles bourdonnaient, une furie d'impatience lui donnait des envies de se jeter la tête en avant et de s'ouvrir un chemin. Elle traversa le salon d'un pas rapide, heurtant les couples attardés qui regagnaient leurs sièges. Elle alla droit à la serre. Elle n'avait vu ni Louise ni Maxime parmi les danseurs, elle se disait qu'ils devaient être là, dans quelque trou de feuillages, réunis par cet instinct des drôleries et des polissonneries qui leur faisait chercher les petits PARTIE VI 139 La Curée coins, dès qu'ils se trouvaient ensemble quelque part. Mais elle visita inutilement le demi-jour de la serre. Elle n'aperçut, au fond d'un berceau, qu'un grand jeune homme qui baisait dévotement les mains de la petite Mme Daste, en murmurant: Mme de Lauwerens me l'avait bien dit vous êtes un ange! Cette déclaration chez elle, dans sa serre, la choqua. Vraiment Mme de Lauwerens aurait dû porter son commerce ailleurs! Et Renée se serait soulagée à chasser de ses appartements tout ce monde qui criait si fort. Debout devant le bassin, elle regardait l'eau, elle se demandait où Louise et Maxime avaient pu se cacher. L'orchestre jouait toujours cette valse dont le bercement ralenti lui tournait le coeur. C'était insupportable, on ne pouvait plus réfléchir chez soi. Elle ne savait plus. Elle oubliait que les jeunes gens n'étaient pas encore mariés, et elle se disait que c'était bien simple, qu'ils étaient allés se coucher. Puis elle songea à la salle à manger, elle remonta vivement l'escalier de la serre. Mais, à la porte du grand salon, elle fut arrêtée une seconde fois par une figure de cotillon. - Ce sont les « Points noirs », mesdames, disait galamment M. de Saffré. Ceci est de mon invention, et je vous en donne la primeur. On riait beaucoup. Les hommes expliquaient l'allusion aux jeunes femmes. L'empereur venait de prononcer un discours qui constatait, à l'horizon politique, la présence de « certains points noirs ». Ces points noirs, on ne savait pourquoi, avaient fait fortune. L'esprit de Paris s'était emparé de cette expression, au point que, depuis huit jours, on accommodait tout aux points noirs. M. de Saffré plaça les cavaliers à l'un des bouts du salon, en leur faisant tourner le dos aux dames, laissées à l'autre bout. Puis il leur commanda de relever leurs habits, de façon à s'en cacher le derrière de la tête. Cette opération s'accomplit au milieu d'une gaieté folle. Bossus, les épaules serrées, avec les pans des habits qui ne leur tombaient plus qu'à la taille, les cavaliers étaient vraiment affreux. Ne riez pas, mesdames, criait M. de Saffré avec un sérieux des plus comiques, ou je vous fais mettre vos dentelles sur la tête. La gaieté redoubla. Et il usa énergiquement de sa souveraineté vis-à-vis de quelques-uns de ces messieurs qui ne voulaient pas cacher leur nuque. Vous êtes les « points noirs », disait-il; masquez vos têtes, ne montrez que le dos, il faut que ces dames ne voient plus que du noir... Maintenant, marchez, mêlez-vous les uns aux autres, pour qu'on ne vous reconnaisse pas. L'hilarité était à son comble. Les «points noirs» allaient et venaient, sur leurs jambes grêles, avec des balancements de corbeaux sans tête. On vit la chemise d'un monsieur, avec un coin de la bretelle. Alors ces dames demandèrent grâce, elles étouffaient, et M. de Saffré voulut bien leur ordonner d'aller chercher les « points noirs ». Elles partirent, comme un vol de jeunes perdrix, avec un grand bruit de jupes. Puis, au bout de sa course, chacune saisit le cavalier qui lui tomba sous la main. Ce fut un tohu-bohu inexprimable. Et, à la file, les couples improvisés se dégageaient, faisaient le tour du salon en valsant, dans le chant plus haut de l'orchestre. Renée s'était appuyée au mur. Elle regardait, pâle, les lèvres serrées. Un vieux monsieur vint lui demander galamment pourquoi elle ne dansait pas. Elle dut sourire, répondre quelque chose. Elle s'échappa, elle entra dans la salle à manger. La pièce était vide. Au milieu des dressoirs pillés, des bouteilles et des assiettes qui traînaient, Maxime et Louise soupaient tranquillement, à un bout de la table, côte à côte, sur une serviette qu'ils avaient étalée. Ils paraissaient à l'aise, ils riaient, dans ce désordre, ces verres sales, ces plats tachés de graisse, ces débris encore tièdes de la gloutonnerie des soupeurs en gants blancs. Ils s'étaient contentés PARTIE VI 140

« coins, dès qu'ils se trouvaient ensemble quelque part.

Mais elle visita inutilement le demi-jour de la serre. Elle n'aperçut, au fond d'un berceau, qu'un grand jeune homme qui baisait dévotement les mains de la petite Mme Daste, en murmurant: \24 Mme de Lauwerens me l'avait bien dit vous êtes un ange! Cette déclaration chez elle, dans sa serre, la choqua.

Vraiment Mme de Lauwerens aurait dû porter son commerce ailleurs! Et Renée se serait soulagée à chasser de ses appartements tout ce monde qui criait si fort. Debout devant le bassin, elle regardait l'eau, elle se demandait où Louise et Maxime avaient pu se cacher. L'orchestre jouait toujours cette valse dont le bercement ralenti lui tournait le coeur.

C'était insupportable, on ne pouvait plus réfléchir chez soi.

Elle ne savait plus.

Elle oubliait que les jeunes gens n'étaient pas encore mariés, et elle se disait que c'était bien simple, qu'ils étaient allés se coucher.

Puis elle songea à la salle à manger, elle remonta vivement l'escalier de la serre.

Mais, à la porte du grand salon, elle fut arrêtée une seconde fois par une figure de cotillon.

- Ce sont les « Points noirs », mesdames, disait galamment M.

de Saffré.

Ceci est de mon invention, et je vous en donne la primeur.

On riait beaucoup.

Les hommes expliquaient l'allusion aux jeunes femmes.

L'empereur venait de prononcer un discours qui constatait, à l'horizon politique, la présence de « certains points noirs ».

Ces points noirs, on ne savait pourquoi, avaient fait fortune.

L'esprit de Paris s'était emparé de cette expression, au point que, depuis huit jours, on accommodait tout aux points noirs.

M.

de Saffré plaça les cavaliers à l'un des bouts du salon, en leur faisant tourner le dos aux dames, laissées à l'autre bout.

Puis il leur commanda de relever leurs habits, de façon à s'en cacher le derrière de la tête.

Cette opération s'accomplit au milieu d'une gaieté folle. Bossus, les épaules serrées, avec les pans des habits qui ne leur tombaient plus qu'à la taille, les cavaliers étaient vraiment affreux.

\24 Ne riez pas, mesdames, criait M.

de Saffré avec un sérieux des plus comiques, ou je vous fais mettre vos dentelles sur la tête.

La gaieté redoubla.

Et il usa énergiquement de sa souveraineté vis-à-vis de quelques-uns de ces messieurs qui ne voulaient pas cacher leur nuque.

\24 Vous êtes les « points noirs », disait-il; masquez vos têtes, ne montrez que le dos, il faut que ces dames ne voient plus que du noir...

Maintenant, marchez, mêlez-vous les uns aux autres, pour qu'on ne vous reconnaisse pas.

L'hilarité était à son comble.

Les «points noirs» allaient et venaient, sur leurs jambes grêles, avec des balancements de corbeaux sans tête.

On vit la chemise d'un monsieur, avec un coin de la bretelle.

Alors ces dames demandèrent grâce, elles étouffaient, et M.

de Saffré voulut bien leur ordonner d'aller chercher les « points noirs ».

Elles partirent, comme un vol de jeunes perdrix, avec un grand bruit de jupes.

Puis, au bout de sa course, chacune saisit le cavalier qui lui tomba sous la main.

Ce fut un tohu-bohu inexprimable.

Et, à la file, les couples improvisés se dégageaient, faisaient le tour du salon en valsant, dans le chant plus haut de l'orchestre.

Renée s'était appuyée au mur.

Elle regardait, pâle, les lèvres serrées.

Un vieux monsieur vint lui demander galamment pourquoi elle ne dansait pas.

Elle dut sourire, répondre quelque chose.

Elle s'échappa, elle entra dans la salle à manger.

La pièce était vide.

Au milieu des dressoirs pillés, des bouteilles et des assiettes qui traînaient, Maxime et Louise soupaient tranquillement, à un bout de la table, côte à côte, sur une serviette qu'ils avaient étalée.

Ils paraissaient à l'aise, ils riaient, dans ce désordre, ces verres sales, ces plats tachés de graisse, ces débris encore tièdes de la gloutonnerie des soupeurs en gants blancs.

Ils s'étaient contentés La Curée PARTIE VI 140. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles