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la fin de la pièce qui le libérerait de sa corvée.

Publié le 04/11/2013

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la fin de la pièce qui le libérerait de sa corvée. C'est seulement lorsqu'il se retrouvait seul dans sa cellule (où il avait été incarcéré l'avant-veille des débats) que e caractère de ces débats s'imposait à lui. Là, il comprenait qu'il s'agissait d'un jugement : que sa liberté était en eu ; que toute cette comédie vaine pouvait se terminer par sa condamnation, pour un temps indéterminé, à cette ie humiliante et larvaire. La prison le touchait moins depuis qu'il la connaissait ; mais la perspective d'un temps ssez long passé ainsi, quelque adoucissement qu'il pût espérer faire apporter à son sort, n'était pas sans faire monter en lui une inquiétude d'autant plus lourde qu'il se sentait plus désarmé. Condamné à six mois d'emprisonnement. N'exagérons pas. Un télégramme de Pierre me fit savoir que le sursis lui était accordé. Voici la lettre qu'il m'envoya : « Je ne tiens pas la société pour mauvaise, pour susceptible d'être améliorée ; je la tiens pour absurde. C'est bien autre chose. Si j'ai fait tout ce que j'ai pu faire pour être acquitté par ces abrutis, ou, du moins, pour rester libre, c'est que j'ai de mon destin -- pas de moi-même, de mon destin -- une idée qui ne peut accepter la prison pour ce motif grotesque. « Absurde. Je ne veux nullement dire : déraisonnable. Qu'on la transforme, cette société, ne m'intéresse pas. Ce n'est pas l'absence de justice en elle qui m'atteint, mais quelque chose de plus profond, l'impossibilité de donner à ne forme sociale, quelle qu'elle soit, mon adhésion. Je suis a-social comme je suis athée, et de la même façon. Tout ela n'aurait aucune importance si j'étais homme d'étude ; mais je sais que tout le long de ma vie je trouverai à mon ôté l'ordre social, et que je ne pourrai jamais l'accepter sans renoncer à tout ce que je suis. » Et, peu de temps après : « Il y a une passion plus profonde que les autres, une passion pour laquelle les objets à onquérir ne sont plus rien. Une passion parfaitement désespérée -- un des plus puissants soutiens de la force ». Envoyé à la légion étrangère de l'armée française en août 1914, déserte à la fin de 1915. Faux. Il ne fut pas envoyé à la légion : il s'y engagea. Assister à la guerre en spectateur lui parut impossible. L'origine du conflit, lointaine, lui était indifférente. L'entrée des troupes allemandes en Belgique lui sembla témoigner d'un sens lucide de la guerre ; et, s'il choisit la légion, ce fut seulement en raison de la facilité avec aquelle il put y entrer. De la guerre, il attendait des combats : il y trouva l'immobilité de millions d'hommes passifs ans le vacarme. L'intention de quitter l'armée, qui couva longtemps en lui, devint une résolution un jour que l'on istribua de nouvelles armes pour un nettoyage de tranchées. Jusque-là, les légionnaires, à l'occasion, avaient reçu e courts poignards, qui semblaient être encore des armes de guerre ; ils reçurent ce jour-là des couteaux neufs, à anche de bois marron, à large lame, semblables, d'une façon ignoble et terrible, à des couteaux de cuisine... Je ne sais comment il parvint à partir et à gagner la Suisse ; mais il agit cette fois avec une grande prudence, car il ut porté disparu. (C'est pourquoi je vois avec étonnement cette mention de désertion dans la note anglaise. Il est rai qu'il n'a, aujourd'hui, aucune raison de la tenir secrète...) Perd sa fortune dans diverses spéculations financières. Il fut toujours joueur. Dirige à Zurich, grâce à sa connaissance des langues étrangères, une maison d'Éditions pacifistes. S'y trouve en rapport avec des révolutionnaires russes. Fils d'un Suisse et d'une Russe, il parlait l'allemand, le français, le russe, et l'anglais qu'il avait appris au collège. Il ne dirigea pas une maison d'éditions, mais le service des traductions d'une société dont les éditions n'étaient pas, par principe, pacifistes. Il eut, comme le dit le rapport de police, l'occasion de fréquenter quelques jeunes hommes du groupe bolchevik. Il comprit vite qu'il avait affaire cette fois, non à des prédicateurs, mais à des techniciens. Le groupe était peu accueillant ; seul, le souvenir de son procès qui, dans ce milieu n'était pas encore oublié, lui avait permis de n'en être pas reçu comme un importun ; mais n'étant pas lié à son action (il n'avait pas voulu être membre du parti, sachant qu'il n'en pourrait supporter la discipline et ne croyant pas à une révolution prochaine) il n'eut jamais avec ses membres que des relations de camaraderie. Les jeunes hommes l'intéressaient plus que les chefs, dont il ne connaissait que les discours, ces discours prononcés sur le ton de la conversation, dans des petits cafés enfumés, devant une vingtaine de camarades affalés sur les tables, et dont le visage seul exprimait l'attention. Il ne vit jamais Lénine. Si la technique et le goût de l'insurrection chez les bolcheviks le séduisaient, le vocabulaire doctrinal, et, surtout, le dogmatisme qui les chargeait l'exaspéraient. À la vérité, il était de ceux pour qui l'esprit révolutionnaire ne peut naître que de la révolution qui commence, de ceux pour qui la révolution est, avant tout : un état de choses. Lorsque vint la Révolution russe, il fut stupéfait. Un à un, ses camarades quittèrent Zurich, lui promettant de lui donner les moyens de venir en Russie. S'y rendre lui semblait à la fois nécessaire et juste ; et, chaque fois qu'un de ses camarades s'en allait, il l'accompagnait sans envie, mais avec le sentiment obscur d'une spoliation. Ce voyage en Russie, il le souhaita avec passion à partir de la révolution d'Octobre ; il écrivit ; mais les chefs du parti avaient autre chose à faire que répondre à des lettres de Suisse, et faire appel à des amateurs. Il en souffrait avec une triste rage ; il m'écrivait : « Dieu sait que j'ai vu des hommes passionnés, des hommes possédés par une idée, des hommes attachés à leurs gosses, à leur argent, à leurs maîtresses, à leur espoir même, comme ils le sont à leurs membres ; intoxiqués, hantés, oubliant tout, défendant l'objet de leur passion ou courant après !... Si je disais que je veux un million, on penserait que je suis un homme envieux ; cent, que je suis chimérique, mais peut-être fort ; et si je dis que je considère ma jeunesse comme la carte sur laquelle je joue, on a l'air de me prendre pour un malheureux visionnaire. Et je joue ce jeu-là, crois-moi, comme un pauvre type peut jouer, à Monte-Carlo, la partie après laquelle il se tuera s'il perd. Si je pouvais tricher, je tricherais. Avoir un coeur, un coeur d'homme, et ne pas s'apercevoir qu'on explique cela à une femme qui s'en fout, c'est très normal : on peut se tromper, là, tant que l'on veut. Mais on ne peut pas se tromper au jeu de la vie ; il paraît qu'il est simple, et que fixer une pensée résolue sur sa destinée est moins sage que la fixer sur ses soucis du jour, sur ses espoirs ou sur ses rêves... Et ma recherche, je saurai la conduire : que je retrouve seulement le prix du premier passage, que j'ai imbécilement gaspillé !... » Envoyé à Canton, à la fin de 1918, par l'Internationale. Idiot. Il avait connu au lycée un de mes camarades, Lambert, beaucoup plus âgé que nous, dont les parents, fonctionnaires français, avaient été les amis des miens, commerçants à Haïphong. Comme presque tous les enfants européens de cette ville, Lambert avait été élevé par une nourrice cantonaise, dont, comme moi, il parlait le ialecte. Il était reparti pour le Tonkin au début de 1914. Rapidement écoeuré par la vie coloniale, il avait gagné la Chine, où il était devenu l'un des collaborateurs de Sun-Yat-Sen, et n'avait pas rejoint son corps à la déclaration de guerre. Il était resté en correspondance suivie avec Pierre ; il lui promettait depuis longtemps de lui fournir le moyen de venir à Canton. Et Pierre, bien qu'il ne fût pas convaincu de la valeur de cette promesse, étudiait les caractères chinois, non sans découragement. Un jour, en juin 1918, il reçut une lettre dans laquelle Lambert lui écrivait : « Si tu es résolu à quitter l'Europe, dis-le-moi. Je puis te faire appeler ; 800 dollars par mois. » Il répondit aussitôt. Et à la fin de novembre, après que l'armistice eut été signé, il reçut une nouvelle lettre qui contenait un chèque sur une banque de Marseille, et dont le montant était un peu supérieur au prix du passage. Je disposais alors de quelque argent. Je l'accompagnai à Marseille. Journée de lent vagabondage à travers la ville. Atmosphère méditerranéenne où tout travail semble consenti, rues éclairées par un pâle soleil d'hiver et tachées par les capotes bleues des soldats qui ne sont pas encore démobilisés... Les traits de son visage ont peu changé : les traces de la guerre se voient surtout sur ses joues, maintenant amaigries, tendues, sillonnées de petites rides verticales, et qui accentuent l'éclat dur des yeux gris, la courbe de la bouche mince et la profondeur des deux rides qui la prolongent. Depuis longtemps nous marchons en causant. Un seul sentiment le domine, l'impatience. Bien qu'il la cache, elle se glisse sous tous ses gestes, et s'exprime involontairement dans le rythme saccadé de ses paroles. « Comprends-tu vraiment ce que cela peut être : le remords ? demanda-t-il soudain. Je m'arrête, interloqué. 'Un vrai remords ; pas un sentiment de livre ou de théâtre : un sentiment contre soi-même -- soi-même à une autre époque. « Un sentiment qui ne peut naître que d'un acte grave -- et les actes graves ne se commettent pas par hasard... -- Cela dépend. -- Non. Pour un homme qui en a fini avec les expériences d'adolescent, souffrir d'un remords, cela ne peut être que ne pas savoir profiter d'un enseignement... » Et, constatant soudain ma surprise : « Je te dis cela à propos des Russes. » Car nous venons de passer devant une vitrine de librairie consacrée à des romanciers russes. « Il y a une paille dans ce qu'ils ont écrit, et cette paille c'est quelque chose comme le remords. Ces écrivains ont tous le défaut de n'avoir tué personne. Si leurs personnages souffrent après avoir tué, c'est que le monde n'a presque pas changé pour eux. Je dis : presque. Dans la réalité, je crois qu'ils verraient le monde se transformer complètement, changer ses perspectives, devenir, non le monde d'un homme qui « a commis un crime » mais celui d'un homme qui a tué. Ce monde qui ne se transforme pas -- disons : pas assez, si tu veux -- je ne peux pas croire à sa vérité. Pour un assassin il n'y a pas de crimes, il n'y a que des meurtres -- s'il est lucide, bien entendu. -- Idée qui va loin, si on l'étend un peu... Et, après un silence, il reprend : « Aussi excédé de soi-même que l'on soit, on ne l'est jamais autant qu'on le dit. Se lier à une grande action

« ses camarades s’enallait, ill’accompagnait sansenvie, maisaveclesentiment obscurd’unespoliation. Ce voyage enRussie, ille souhaita avecpassion àpartir delarévolution d’Octobre ; ilécrivit ; maisleschefs du parti avaient autrechose àfaire querépondre àdes lettres deSuisse, etfaire appel àdes amateurs.

Ilen souffrait avec unetriste rage ; ilm’écrivait : « Dieusaitque j’aivudes hommes passionnés, deshommes possédés parune idée, deshommes attachésàleurs gosses, àleur argent, àleurs maîtresses, àleur espoir même, comme ilslesont à leurs membres ; intoxiqués, hantés,oubliant tout,défendant l’objetdeleur passion oucourant après !… Sije disais que jeveux unmillion, onpenserait quejesuis unhomme envieux ; cent,quejesuis chimérique, maispeut-être fort ; etsije dis que jeconsidère majeunesse commelacarte surlaquelle jejoue, onal’air deme prendre pourun malheureux visionnaire.Etjejoue cejeu-là, crois-moi, commeunpauvre typepeut jouer, àMonte-Carlo, lapartie après laquelle ilse tuera s’ilperd.

Sije pouvais tricher,jetricherais.

Avoiruncœur, uncœur d’homme, etne pas s’apercevoir qu’onexplique celaàune femme quis’en fout, c’esttrèsnormal : onpeut setromper, là,tant quel’on veut.

Maisonnepeut passetromper aujeu delavie ; ilparaît qu’ilestsimple, etque fixer unepensée résolue sur sa destinée estmoins sagequelafixer surses soucis dujour, surses espoirs ousur ses rêves… Etma recherche, je saurai laconduire : quejeretrouve seulement leprix dupremier passage, quej’aiimbécilement gaspillé !… »Envoyé àCanton, àla fin de1918, parl’Internationale . Idiot.

Ilavait connu aulycée undemes camarades, Lambert,beaucoup plusâgéque nous, dontlesparents, fonctionnaires français,avaientétélesamis desmiens, commerçants àHaïphong.

Commepresque touslesenfants européens decette ville,Lambert avaitétéélevé parune nourrice cantonaise, dont,comme moi,ilparlait le dialecte.

Ilétait reparti pourleTonkin audébut de1914.

Rapidement écœuréparlavie coloniale, ilavait gagné la Chine, oùilétait devenu l’undescollaborateurs deSun-Yat-Sen, etn’avait pasrejoint soncorps àla déclaration de guerre.

Ilétait resté encorrespondance suivieavecPierre ; illui promettait depuislongtemps deluifournir le moyen devenir àCanton.

EtPierre, bienqu’ilneft pas convaincu delavaleur decette promesse, étudiaitles caractères chinois,nonsans découragement.

Unjour, enjuin 1918, ilreçut unelettre danslaquelle Lambert lui écrivait : « Situes résolu àquitter l’Europe, dis-le-moi.

Jepuis tefaire appeler ; 800dollars parmois. » Ilrépondit aussitôt.

Etàla fin denovembre, aprèsquel’armistice eutétésigné, ilreçut unenouvelle lettrequicontenait un chèque surune banque deMarseille, etdont lemontant étaitunpeu supérieur auprix dupassage. Je disposais alorsdequelque argent.Jel’accompagnai àMarseille. Journée delent vagabondage àtravers laville.

Atmosphère méditerranéenne oùtout travail semble consenti, rues éclairées parunpâle soleil d’hiver ettachées parlescapotes bleuesdessoldats quinesont pasencore démobilisés… Lestraits deson visage ontpeu changé : lestraces delaguerre sevoient surtout surses joues, maintenant amaigries,tendues,sillonnées depetites ridesverticales, etqui accentuent l’éclatdurdes yeux gris,la courbe delabouche minceetlaprofondeur desdeux rides quilaprolongent. Depuis longtemps nousmarchons encausant.

Unseul sentiment ledomine, l’impatience.

Bienqu’illacache, elle se glisse soustoussesgestes, ets’exprime involontairement danslerythme saccadé deses paroles. « Comprends-tu vraimentceque cela peut être : leremords ? demanda-t-il soudain. Je m’arrête, interloqué. ‘Un vrai remords ; pasunsentiment delivre oudethéâtre : unsentiment contresoi-même —soi-même àune autre époque. « Un sentiment quinepeut naître qued’un actegrave —etles actes graves nesecommettent pasparhasard… — Cela dépend. — Non.

Pourunhomme quienafini avec lesexpériences d’adolescent, souffrird’unremords, celanepeut être que nepas savoir profiter d’unenseignement… » Et, constatant soudainmasurprise : « Je tedis cela àpropos desRusses. » Car nous venons depasser devant unevitrine delibrairie consacrée àdes romanciers russes. « Il ya une paille danscequ’ils ontécrit, etcette paille c’estquelque chosecomme leremords.

Cesécrivains ont tous ledéfaut den’avoir tuépersonne.

Sileurs personnages souffrentaprèsavoirtué,c’est quelemonde n’a presque paschangé poureux.Jedis : presque.

Danslaréalité, jecrois qu’ils verraient lemonde setransformer complètement, changersesperspectives, devenir,nonlemonde d’unhomme qui« acommis uncrime » maiscelui d’un homme quiatué.

Cemonde quinesetransforme pas—disons : pasassez, situ veux —jene peux pascroire à sa vérité.

Pourunassassin iln’y apas decrimes, iln’y aque desmeurtres —s’il est lucide, bienentendu. — Idée quivaloin, sion l’étend unpeu… Et, après unsilence, ilreprend : « Aussi excédé desoi-même quel’onsoit, onnel’est jamais autant qu’onledit.

Selier àune grande action. »

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