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  LA PESTE   J'ai toujours pensé que vous n'aviez pas assez de haine.

Publié le 15/12/2013

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  LA PESTE   J'ai toujours pensé que vous n'aviez pas assez de haine. Mais ma haine à moi a besoin de victimes fraîches. Dépêchez-moi cela. Et nous recommencerons ailleurs.   LA SECRÉTAIRE   La haine ne me soutient pas, en effet, puisqu'elle n'est pas dans mes fonctions. Mais c'est un peu de votre faute. À force de travailler sur des fiches, on oublie de se passionner.   LA PESTE   Ce sont des mots. Et si vous cherchez un soutien... (Il montre Diego qui tombe à genoux) prenez-le dans la joie de détruire. Là est votre fonction.   LA SECRÉTAIRE   Détruisons donc. Mais je ne suis pas à l'aise.   LA PESTE   Au nom de quoi discutez-vous mes ordres ?   LA SECRÉTAIRE   Au nom de la mémoire. J'ai quelques vieux souvenirs. J'étais libre avant vous et associée avec le asard. Personne ne me détestait alors. J'étais celle qui termine tout, qui fixe les amours, qui donne leur forme à tous les destins. J'étais la stable. Mais vous m'avez mise au service de la logique et du règlement. Je me suis gâté la main que j'avais quelquefois secourable.   LA PESTE   Qui vous demande des secours ?   LA SECRÉTAIRE   Ceux qui sont moins grands que le malheur. C'est-à-dire presque tous. Avec eux, il m'arrivait de travailler dans le consentement, j'existais à ma manière. Aujourd'hui je leur fais violence et tous me nient jusqu'à leur dernier souffle. C'est peut-être pourquoi j'aimais celui-ci que vous m'ordonnez de tuer. Il m'a choisie librement. À sa manière, il a eu pitié de moi. J'aime ceux qui me donnent rendez-vous.   LA PESTE   Craignez de m'irriter ! Nous n'avons pas besoin de pitié.   LA SECRÉTAIRE   Qui aurait besoin de pitié sinon ceux qui n'ont compassion de personne ! Quand je dis que j'aime celuici, je veux dire que je l'envie. Chez nous autres conquérants c'est la misérable forme que prend l'amour. Vous le savez bien et vous savez que cela mérite qu'on nous plaigne un peu.   LA PESTE   Je vous ordonne de vous taire !   LA SECRÉTAIRE   Vous le savez bien et vous savez aussi qu'à force de tuer, on se prend à envier l'innocence de ceux u'on tue. Ah ! pour une seconde au moins, laissez-moi suspendre cette interminable logique et rêver que e m'appuie enfin sur un corps. J'ai le dégoût des ombres. Et j'envie tous ces misérables, oui, jusqu'à ette femme (elle montre Victoria) qui ne retrouvera la vie que pour y pousser des cris de bête ! Elle, du oins, s'appuiera sur sa souffrance.   Diego est presque tombé. La Peste le relève.   LA PESTE   Debout, homme ! La fin ne peut venir sans que celle-ci fasse ce qu'il faut. Et tu vois que pour l'instant, elle fait du sentiment. Mais ne crains rien ! Elle fera ce qu'il faut, c'est dans la règle et la fonction. La machine grince un peu, voilà tout. Avant qu'elle soit tout à fait grippée, sois heureux, imbécile, je te rends ette ville !   Cris de joie du choeur. La Peste se retourne vers eux.   Oui, je m'en vais, mais ne triomphez pas, je suis content de moi. Ici encore, nous avons bien travaillé. J'aime le bruit qu'on fait autour de mon nom et je sais maintenant que vous ne m'oublierez pas. Regardezmoi ! Regardez une dernière fois la seule puissance de ce monde ! Reconnaissez votre vrai souverain et apprenez la peur. (Il rit.) Auparavant, vous prétendiez craindre Dieu et ses hasards. Mais votre Dieu était un anarchiste qui mêlait les genres. Il croyait pouvoir être puissant et bon à la fois. Ça manquait de suite et de franchise, il faut bien le dire. Moi, j'ai choisi la puissance seule. J'ai choisi la domination, vous savez maintenant que c'est plus sérieux que l'enfer. Depuis des millénaires, j'ai couvert de charniers vos villes et vos champs. Mes morts ont fécondé les sables de la Libye et de la noire Ethiopie. La terre de Perse est encore grasse de la sueur de mes cadavres. J'ai rempli Athènes des feux de purification, allumé sur ses plages des milliers de bûchers funèbres, couvert la mer grecque de cendres humaines jusqu'à la rendre grise. Les dieux, les pauvres dieux eux-mêmes, en étaient dégoûtés jusqu'au coeur. Et quand les cathédrales ont succédé aux temples, mes cavaliers noirs les ont remplies de corps hurlants. Sur les cinq continents, à longueur de siècles, j'ai tué sans répit et sans énervement. Ce n'était pas si mal, bien sûr, et il y avait de l'idée. Mais il n'y avait pas toute l'idée... Un mort, si vous voulez mon opinion, c'est rafraîchissant, mais ça n'a pas de rendement. Pour finir, ça ne vaut pas un esclave. L'idéal, c'est d'obtenir une majorité d'esclaves à l'aide d'une minorité de morts bien choisis. Aujourd'hui, la technique est au point. Voilà pourquoi, après avoir tué ou avili la quantité d'hommes qu'il allait, nous mettrons des peuples entiers à genoux. Aucune beauté, aucune grandeur ne nous résistera. Nous triompherons de tout.   LA SECRÉTAIRE   Nous triompherons de tout, sauf de la fierté.   LA PESTE   La fierté se lassera peut-être... L'homme est plus intelligent qu'on ne croit. (Au loin remue-ménage et trompettes.) Écoutez ! Voici ma hance qui revient. Voici vos anciens maîtres que vous retrouverez aveugles aux plaies des autres, ivres d'immobilité et d'oubli. Et vous vous fatiguerez de voir la bêtise triompher sans combat. La cruauté révolte, mais la sottise décourage. Honneur aux stupides puisqu'ils préparent mes voies ! Ils font ma force et mon espoir ! Un jour viendra peut-être où tout sacrifice vous paraîtra vain, où le cri interminable de vos sales révoltes se sera tu enfin. Ce jour-là, je régnerai vraiment dans le silence définitif de la servitude. (Il rit.) C'est une question d'obstination, n'est-ce pas ? Mais soyez tranquilles, j'ai le front bas des entêtés.   Il marche vers le fond.   LA SECRÉTAIRE   Je suis plus vieille que vous et je sais que leur amour aussi a son obstination.

«   LA PESTE  Qui vous demande dessecours ?   LA SECRÉTAIRE  Ceux quisont moins grands quelemalheur.

C'est-à-dire presquetous.Avec eux,ilm'arrivait de travailler dansleconsentement, j'existaisàma manière.

Aujourd'hui jeleur faisviolence ettous menient jusqu'à leurdernier souffle.

C'estpeut-être pourquoij'aimaiscelui-ciquevous m'ordonnez detuer.

Ilm'a choisie librement.

Àsa manière, ilaeu pitié demoi.

J'aime ceuxquime donnent rendez-vous.   LA PESTE  Craignez dem'irriter ! Nousn'avons pasbesoin depitié.   LA SECRÉTAIRE  Qui aurait besoin depitié sinon ceuxquin'ont compassion depersonne ! Quandjedis que j'aime celui- ci, jeveux direquejel'envie.

Cheznousautres conquérants c'estlamisérable formequeprend l'amour. Vous lesavez bienetvous savez quecela mérite qu'onnousplaigne unpeu.. »

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