La science, pour quoi faire ?
Publié le 13/06/2011
Extrait du document
« Nous vivons dans un monde fortement touché par la science ; nos modes de penser, nos idées, les termes mêmes dans lesquels nous nous exprimons en sont affectés. La notion de progrès, celle de la fraternité des savants - notions si familières à une vie chrétienne et qui ont été nouvellement stimulées par la diffusion de la science - tout cela n'est pas nouveau. Nous trouvons ces notions à l'origine, aux époques où la science était comprise des hommes d'affaires, des artistes et des poètes. Mais actuellement, nous vivons dans un monde où poètes, historiens et hommes d'affaires sont fiers de dire qu'ils ne voudraient même pas commencer à envisager la possibilité d'apprendre quoi que ce soit touchant aux sciences ; ils voient la science au bout d'un long tunnel, trop long pour qu'un homme averti y glisse sa tête. Notre philosophie -pour autant que nous en ayons une - est donc totalement anachronique et, j'en suis convaincu, parfaitement inadaptée à notre époque. Quoi qu'on ait pu penser des transformations que les pensées cartésienne et newtonienne ont produites dans la vie intellectuelle de l'Europe, je crains fort que l'époque où elles représentaient la panacée soit bien passée. Depuis longtemps déjà, une intelligence plus subtile de la nature de la connaissance humaine, des rapports de l'homme avec l'univers, aurait dû être prescrite, si tant est que nous tenions à rendre justice à la sagesse contenue dans notre tradition et à la science moderne qui se présente comme une floraison de découvertes, éclatante et toujours changeante. « Toute recherche est action. La question que je veux donc vous confier, sous une forme très crue et assez troublante, est de savoir comment communiquer ce sens de l'action à nos contemporains dont la vie ne doit pas être consacrée professionnellement à la poursuite de nouvelles connaissances. «
Robert Julius OPPENHEIMER, conférence à Princetown.
« Dans une conception saine et classique de notre civilisation occidentale, la technique devient un moyen au service de la connaissance qui est elle-même au service de l'individu. Mais vous pouvez avoir une perversion de ces relations, une hiérarchie entièrement différente dans laquelle la technique, au lieu d'être un moyen, tend à devenir un but. C'est une tendance naturelle à l'homme car vous avez dû observer que dans tous les domaines, au bout d'un certain temps, le moyen tend à devenir le but ; c'est ce qui explique les dangers de l'expert et les dangers du virtuose ; le virtuose croit que c'est son violon qui est le but et non la musique et il oublie que le but est, non de montrer son talent et sa virtuosité, mais de créer une sensation musicale. Vous retrouverez la même tendance avec le savant et la technique : la technique tend à devenir un but et dans ces conditions - vous n'avez qu'à voir ce qu'est notre civilisation - la technique, dans beaucoup de cas, n'est pas au service de l'homme, c'est l'homme qui est au service de la machine, qui devient le prisonnier et l'esclave de la machine. Et la connaissance elle-même n'est pas au service de l'individu, elle passe au service de la technique appliquée, avec tous les dangers et toutes les tentations de la puissance. Je ne vous dis pas que c'est la règle générale, nous connaissons assez de savants désintéressés et le véritable savant est toujours désintéressé, mais il est pris en main par les États, il perd sa liberté d'action, ou bien il est pris par l'industrie avec les tentations du gain, les tentations de la réalisation qui sont plus nobles que celles du gain, mais moins nobles que les tentations de la connaissance. Tout un problème nouveau s'est présenté qui est bien le problème de notre temps et qui peut se résumer dans les relations de la technique et de la culture. «
André SIEGFRIED, géographe et sociologue français (1875-1959), conférence publiée par le CNDP.
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