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La Terre Des qu'il fut seul, Buteau, mecontent de cette apres-midi perdue, ota sa veste et se mit a battre, dans le coin pave de la cour; car il avait besoin d'un sac de ble.

Publié le 11/04/2014

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La Terre Des qu'il fut seul, Buteau, mecontent de cette apres-midi perdue, ota sa veste et se mit a battre, dans le coin pave de la cour; car il avait besoin d'un sac de ble. Mais il s'ennuya vite a battre seul, il lui manquait, pour s'echauffer, la cadence double des fleaux, tapant en mesure; et il appela Francoise, qui l'aidait souvent a cette besogne, les reins forts, les bras aussi durs que ceux d'un garcon. Malgre la lenteur et la fatigue de ce battage primitif, il avait toujours refuse d'acheter une batteuse a manege, en disant, comme tous les petits proprietaires, qu'il preferait ne battre qu'au jour le jour, suivant les necessites. --Eh! Francoise, viens-tu? Lise, le nez dans un ragout de veau aux carottes, et qui avait charge sa soeur de surveiller une epinee de cochon a la broche, voulut empecher celle-ci d'obeir. Mais Buteau, mal plante, parla de les rosser toutes les deux. --Nom de Dieu de femelles! je vas vous foutre vos casseroles a la gueule!... Faut bien gagner du pain, puisque vous fricasseriez la maison pour la bafrer avec les autres! Francoise, qui s'etait deja remise en souillon, de crainte d'attraper des taches, dut le suivre. Elle prit un fleau, au long manche et au battoir de cornouiller, que des boucles de cuir reliaient entre eux. C'etait le sien, poli par le frottement, garni d'une ficelle serree, pour qu'il ne glissat pas. A deux mains, elle le fit voler au-dessus de sa tete, l'abattit sur la gerbe, que le battoir, dans toute sa longueur, frappa d'un coup sec. Et elle ne s'arreta plus, le relevant tres haut, le repliant comme sur une charniere, le rabattant ensuite, dans un mouvement mecanique et rythme de forgeron; tandis que Buteau, en face d'elle, allait de meme, a contretemps. Bientot, ils s'echaufferent, le rythme s'accelera, on ne vit plus que ces pieces de bois volantes, qui rebondissaient chaque fois et tournoyaient derriere leur nuque, en un continuel essor d'oiseaux lies aux pattes. Apres dix minutes, Buteau jeta un leger cri. Les fleaux s'arreterent, et il retourna la gerbe. Puis, les fleaux repartirent. Au bout de dix autres minutes, il commanda un nouvel arret, il ouvrit la gerbe. Jusqu'a six fois, elle dut ainsi passer sous les battoirs avant que les grains fussent completement detaches des epis, et qu'il put nouer la paille. Une a une, les gerbes se succedaient. Durant deux heures, on n'entendit dans la maison que le toc-toc regulier des fleaux, que dominait au loin le ronflement prolonge de la batteuse a vapeur. Francoise, maintenant, avait le sang aux joues, les poignets gonfles, La peau entiere brulante, degageant autour d'elle comme une onde de flamme, qui tremblait, visible, dans l'air. Un souffle fort sortait de ses levres ouvertes. Des brins de paille s'etaient accroches aux meches envolees de ses cheveux. Et, a chaque coup, lorsqu'elle relevait le fleau, son genou droit tendait sa jupe, la hanche et le sein s'enflaient, crevaient l'etoffe, toute une ligne s'indiquait rudement, la nudite meme de son corps de fille solide. Un bouton du corsage s'arracha, Buteau vit la chair blanche, sous la ligne halee du cou, une montee de chair que le tour de bras, continuellement, faisait saillir, dans le jeu puissant des muscles de l'epaule. Il semblait s'en exciter davantage, comme du coup de reins d'une bonne femelle, vaillante a la besogne; et les fleaux s'abattaient toujours, le grain sautait, pleuvait en grele, sous le toc-toc haletant du couple de batteurs. A sept heures moins un quart, au jour tombant, Fouan et les Delhomme se presenterent. --Faut que nous finissions, leur cria Buteau, sans s'arreter. Hardi la! Francoise! Elle ne lachait pas, tapait plus dur, dans l'emportement du travail et du bruit. Et ce fut ainsi que Jean, qui arrivait a son tour, avec la permission de diner dehors, les trouva. Il en eprouva une jalousie brusque, il les regarda comme s'il les surprenait ensemble, accouples dans cette besogne chaude, d'accord pour cogner juste, au bon endroit, tous les deux en sueur, si echauffes, si defaits, qu'on les aurait dits en train plutot de planter un enfant que de battre du ble. Peut-etre Francoise qui y allait d'un tel coeur, eut la meme sensation, car elle s'arreta net, genee. Buteau, s'etant retourne alors, demeura un instant immobile de surprise et de colere. VI 151 La Terre --Qu'est-ce que tu viens faire ici, toi? Mais Lise, justement, descendait au-devant de Fouan et des Delhomme. Elle s'approcha avec eux, elle s'ecria de son air gai: --Tiens! c'est vrai, je ne t'ai pas conte... Je l'ai deja vu ce matin, et je l'ai invite pour ce soir. La face enflammee de son mari devint si terrible, qu'elle ajouta, voulant s'excuser: --J'ai idee, pere Fouan, qu'il a une demande a vous faire. --Quelle demande? dit le vieux. Jean rougissait, et il balbutia, tres contrarie que la chose s'engageat de la sorte, si vite, devant tous. Du reste, Buteau l'interrompit violemment, le regard rieur que sa femme jetait sur Francoise ayant suffi a le renseigner. --Est-ce que tu te fous de nous? Elle n'est pas pour ton bec, vilain merle! Cet accueil brutal rendit a Jean son courage. Il tourna le dos, il s'adressa au vieux. --Voici l'histoire, pere Fouan, c'est tout simple... Comme vous etes le tuteur de Francoise, faut que je m'adresse a vous pour l'avoir, n'est-ce pas?... Si elle veut bien de moi, je veux bien d'elle. C'est le mariage que je demande. Francoise, qui tenait encore son fleau, le laissa tomber de saisissement. Elle devait pourtant s'y attendre; mais jamais elle n'aurait pense que Jean oserait la demander ainsi, tout de suite. Pourquoi ne lui en avait-il pas cause d'abord? Ca la bousculait, elle n'aurait pu dire si elle tremblait d'espoir ou de crainte. Et, toute vibrante de travail, la gorge soulevee dans son corsage defait, elle etait entre les deux hommes, chaude d'une telle poussee de sang, qu'ils en sentaient venir le rayonnement jusqu'a eux. Buteau ne laissa pas a Fouan le temps de repondre. Il avait repris, avec une fureur croissante: --Hein? tu as le toupet!... Un vieux de trente-trois ans, epouser une jeunesse de dix-huit! Rien que quinze ans de difference! Est-ce que ce n'est pas une degoutation?... On t'en donnera, des poulettes, pour ton sale cuir! Jean commencait a se facher. --Qu'est-ce que ca te fiche, si je veux d'elle et si elle veut de moi! Et il se tourna vers Francoise, pour qu'elle se prononcat. Mais elle restait effaree, raidie, sans avoir l'air de comprendre. Elle ne pouvait pas dire non, elle ne dit pas oui, pourtant. Buteau, d'ailleurs, la regardait a la tuer, a lui renfoncer le oui dans la gorge. Si elle se mariait, il la perdait, il perdait aussi la terre. La pensee brusque de cette consequence acheva de l'enrager. --Voyons, papa, voyons, Delhomme, ca ne vous degoute pas, cette gamine a ce vieux bougre, qui n'est pas meme du pays, qui vient on ne sait d'ou, apres avoir roule partout sa bosse?... Un menuisier manque, qui s'est fait paysan, parce que, bien sur, il avait a cacher quelque sale affaire! Toute sa haine de l'ouvrier des villes eclatait. VI 152

« —Qu'est-ce que tu viens faire ici, toi? Mais Lise, justement, descendait au-devant de Fouan et des Delhomme.

Elle s'approcha avec eux, elle s'ecria de son air gai: —Tiens! c'est vrai, je ne t'ai pas conte...

Je l'ai deja vu ce matin, et je l'ai invite pour ce soir. La face enflammee de son mari devint si terrible, qu'elle ajouta, voulant s'excuser: —J'ai idee, pere Fouan, qu'il a une demande a vous faire. —Quelle demande? dit le vieux. Jean rougissait, et il balbutia, tres contrarie que la chose s'engageat de la sorte, si vite, devant tous.

Du reste, Buteau l'interrompit violemment, le regard rieur que sa femme jetait sur Francoise ayant suffi a le renseigner. —Est-ce que tu te fous de nous? Elle n'est pas pour ton bec, vilain merle! Cet accueil brutal rendit a Jean son courage.

Il tourna le dos, il s'adressa au vieux. —Voici l'histoire, pere Fouan, c'est tout simple...

Comme vous etes le tuteur de Francoise, faut que je m'adresse a vous pour l'avoir, n'est-ce pas?...

Si elle veut bien de moi, je veux bien d'elle.

C'est le mariage que je demande. Francoise, qui tenait encore son fleau, le laissa tomber de saisissement.

Elle devait pourtant s'y attendre; mais jamais elle n'aurait pense que Jean oserait la demander ainsi, tout de suite.

Pourquoi ne lui en avait-il pas cause d'abord? Ca la bousculait, elle n'aurait pu dire si elle tremblait d'espoir ou de crainte.

Et, toute vibrante de travail, la gorge soulevee dans son corsage defait, elle etait entre les deux hommes, chaude d'une telle poussee de sang, qu'ils en sentaient venir le rayonnement jusqu'a eux. Buteau ne laissa pas a Fouan le temps de repondre.

Il avait repris, avec une fureur croissante: —Hein? tu as le toupet!...

Un vieux de trente-trois ans, epouser une jeunesse de dix-huit! Rien que quinze ans de difference! Est-ce que ce n'est pas une degoutation?...

On t'en donnera, des poulettes, pour ton sale cuir! Jean commencait a se facher. —Qu'est-ce que ca te fiche, si je veux d'elle et si elle veut de moi! Et il se tourna vers Francoise, pour qu'elle se prononcat.

Mais elle restait effaree, raidie, sans avoir l'air de comprendre.

Elle ne pouvait pas dire non, elle ne dit pas oui, pourtant.

Buteau, d'ailleurs, la regardait a la tuer, a lui renfoncer le oui dans la gorge.

Si elle se mariait, il la perdait, il perdait aussi la terre.

La pensee brusque de cette consequence acheva de l'enrager. —Voyons, papa, voyons, Delhomme, ca ne vous degoute pas, cette gamine a ce vieux bougre, qui n'est pas meme du pays, qui vient on ne sait d'ou, apres avoir roule partout sa bosse?...

Un menuisier manque, qui s'est fait paysan, parce que, bien sur, il avait a cacher quelque sale affaire! Toute sa haine de l'ouvrier des villes eclatait.

La Terre VI 152. »

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