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L'Argent conseil de surveillance venaient y passer une heure de l'après-midi, moins pour contrôler que pour donner à l'oeuvre l'appui de leur dévouement.

Publié le 11/04/2014

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L'Argent conseil de surveillance venaient y passer une heure de l'après-midi, moins pour contrôler que pour donner à l'oeuvre l'appui de leur dévouement. Et, justement, la comtesse de Beauvilliers se trouvait là, avec sa fille Alice, dans la salle qui séparait les deux infirmeries. Souvent, elle l'amenait ainsi pour la distraire, en lui donnant le plaisir de la charité. Ce jour-là, Alice aidait une des soeurs à faire des tartines de confiture, pour deux petites convalescentes, à qui on avait permis de goûter. " Ah ! dit la comtesse, à la vue de Victor qu'on venait de faire asseoir en attendant son bain, voici un nouveau. " D'habitude, elle restait cérémonieuse à l'égard de Mme Caroline, ne la saluant que d'un signe de tête, sans jamais lui adresser la parole, de crainte peut-être d'avoir à lier avec elle des relations de voisinage. Mais ce garçon que celle-ci amenait, l'air d'active bonté dont elle s'occupait de lui, la touchaient sans doute, la faisaient sortir de sa réserve. Et elles causèrent à demi-voix. " Si vous saviez, madame, de quel enfer je viens de le tirer ! Je le recommande à votre surveillance, comme je l'ai recommandé à toutes ces dames et à tous ces messieurs. " " Est-ce qu'il a des parents ? Est-ce que vous les connaissez ? Non, sa mère est morte... Il n'a plus que moi. Pauvre gamin !... Ah ! que de misère ! " Pendant ce temps, Victor ne quittait pas des yeux les tartines. Ses regards s'étaient allumés d'une féroce convoitise ; et, de cette confiture que le couteau étalait, il remontait aux fluettes mains blanches d'Alice, à son cou trop, à toute sa personne de vierge chétive, qui s'émaciait l'attente vaine du mariage. S'il s'était trouvé seul avec elle, d'un bon coup de tête dans le ventre, comme il l'aurait envoyée rouler contre le mur, pour lui prendre ses tartines ! Mais la jeune fille avait remarqué ses regards gloutons ; et, d'un coup d'oeil, ayant consulté la religieuse : " Est-ce que vous avez faim, mon petit ami ? Oui. Et vous ne détestez pas la confiture ? Non. Alors, ça vous irait si je vous faisais deux tartines, que vous mangeriez en sortant du bain ? Oui. Beaucoup de confiture sur pas beaucoup de pain, n'est-ce pas ? Oui. " Elle riait, plaisantait, mais lui restait grave et béant, avec ses yeux dévorateurs qui la mangeaient, elle et ses bonnes choses. V 87 L'Argent A ce moment, des cris de joie, tout un violent tapage monta du préau des garçons, où la récréation de quatre heures commençait. Les ateliers se vidaient, les pensionnaires avaient une demi-heure pour goûter et se dégourdir les jambes. " Vous voyez, reprit Mme Caroline, en l'amenant près d'une fenêtre, si l'on travaille, on joue aussi... Vous aimez travailler ? Non. Mais vous aimez jouer ? Oui. Eh bien, si vous voulez jouer, il faudra travailler... Tout cela s'arrangera, vous serez raisonnable, j'en suis sûre. " Il ne répondit pas. Une flamme de plaisir lui avait chauffé la face, à la vue de ses camarades lâchés, sautant et criant ; et ses regards revinrent vers ses tartines que la jeune fille achevait et posait sur une assiette. Oui ! de la liberté, de la jouissance, tout le temps, il ne voulait rien d'autre. Son bain était prêt, on l'emmena. " Voilà un petit monsieur qui ne sera guère commode, je crois, dit doucement la religieuse. Je me méfie d'eux, quand ils n'ont pas la figure d'aplomb. Il n'est pourtant pas laid, celui-ci, murmura Alice, et on lui donnerait dix-huit ans, à le voir vous regarder. C'est vrai, conclut Mme Caroline avec un léger frisson, il est très avancé pour son âge. " Et, avant de s'en aller, ces dames voulurent se donner le plaisir de voir les petites convalescentes manger leurs tartines. L'une surtout était très intéressante, une blonde fillette de dix ans, avec des yeux savants déjà, un air de femme, la chair hâtive et malade des faubourgs parisiens. C'était, d'ailleurs, la commune histoire : un père ivrogne qui amenait ses maîtresses ramassées sur le trottoir, qui venait de disparaître avec une d'elles ; une mère qui avait pris un autre homme, puis un autre, tombée elle-même à la boisson ; et la petite, là-dedans, battue par tous ces mâles, quand ils n'essayaient pas de la violer. Un matin, la mère avait dû la retirer des bras d'un maçon, ramené par elle, la veille. On lui permettait pourtant, à cette mère misérable, de venir voir son enfant, car c'était elle qui avait supplié qu'on la lui enlevât, ayant gardé dans son abjection un ardent amour maternel. Et elle se trouvait précisément là, une femme maigre et jaune, dévastée, avec des paupières brûlées de larmes, assise près du lit blanc, où sa gamine, très propre, le dos appuyé contre des oreillers, mangeait gentiment ses tartines. Elle reconnut Mme Caroline, étant allée chez Saccard chercher des secours. " Ah madame, voilà encore ma pauvre Madeleine sauvée une fois. C'est tout notre malheur qu'elle a dans le sang, voyez-vous, et le médecin m'avait bien dit qu'elle ne vivrait pas, si elle continuait à être bousculée chez nous... Tandis qu'ici elle a de la viande, elle a du vin ; et puis, elle respire, elle est tranquille... Je vous en prie, madame, dites bien à ce bon monsieur que je ne vis pas une heure de mon existence sans le bénir. " Un sanglot la suffoqua, son coeur se fondait de reconnaissance. C'était de Saccard qu'elle parlait, car elle ne connaissait que lui, comme la plupart des parents qui avaient des enfants à l'Oeuvre du Travail. La princesse d'Orviedo ne paraissait point, tandis que lui s'était longtemps prodigué, peuplant l'oeuvre, ramassant toutes les misères du ruisseau pour voir plus vite fonctionner cette machine charitable qui était un peu sa création, se passionnant du reste comme toujours, distribuant des pièces de cent sous de sa poche aux tristes familles dont V 88

« A ce moment, des cris de joie, tout un violent tapage monta du préau des garçons, où la récréation de quatre heures commençait.

Les ateliers se vidaient, les pensionnaires avaient une demi-heure pour goûter et se dégourdir les jambes.

" Vous voyez, reprit Mme Caroline, en l'amenant près d'une fenêtre, si l'on travaille, on joue aussi...

Vous aimez travailler ? \24 Non.

\24 Mais vous aimez jouer ? \24 Oui.

\24 Eh bien, si vous voulez jouer, il faudra travailler...

Tout cela s'arrangera, vous serez raisonnable, j'en suis sûre.

" Il ne répondit pas.

Une flamme de plaisir lui avait chauffé la face, à la vue de ses camarades lâchés, sautant et criant ; et ses regards revinrent vers ses tartines que la jeune fille achevait et posait sur une assiette.

Oui ! de la liberté, de la jouissance, tout le temps, il ne voulait rien d'autre.

Son bain était prêt, on l'emmena.

" Voilà un petit monsieur qui ne sera guère commode, je crois, dit doucement la religieuse.

Je me méfie d'eux, quand ils n'ont pas la figure d'aplomb.

\24 Il n'est pourtant pas laid, celui-ci, murmura Alice, et on lui donnerait dix-huit ans, à le voir vous regarder.

\24 C'est vrai, conclut Mme Caroline avec un léger frisson, il est très avancé pour son âge.

" Et, avant de s'en aller, ces dames voulurent se donner le plaisir de voir les petites convalescentes manger leurs tartines.

L'une surtout était très intéressante, une blonde fillette de dix ans, avec des yeux savants déjà, un air de femme, la chair hâtive et malade des faubourgs parisiens.

C'était, d'ailleurs, la commune histoire : un père ivrogne qui amenait ses maîtresses ramassées sur le trottoir, qui venait de disparaître avec une d'elles ; une mère qui avait pris un autre homme, puis un autre, tombée elle-même à la boisson ; et la petite, là-dedans, battue par tous ces mâles, quand ils n'essayaient pas de la violer.

Un matin, la mère avait dû la retirer des bras d'un maçon, ramené par elle, la veille.

On lui permettait pourtant, à cette mère misérable, de venir voir son enfant, car c'était elle qui avait supplié qu'on la lui enlevât, ayant gardé dans son abjection un ardent amour maternel.

Et elle se trouvait précisément là, une femme maigre et jaune, dévastée, avec des paupières brûlées de larmes, assise près du lit blanc, où sa gamine, très propre, le dos appuyé contre des oreillers, mangeait gentiment ses tartines.

Elle reconnut Mme Caroline, étant allée chez Saccard chercher des secours.

" Ah madame, voilà encore ma pauvre Madeleine sauvée une fois.

C'est tout notre malheur qu'elle a dans le sang, voyez-vous, et le médecin m'avait bien dit qu'elle ne vivrait pas, si elle continuait à être bousculée chez nous...

Tandis qu'ici elle a de la viande, elle a du vin ; et puis, elle respire, elle est tranquille...

Je vous en prie, madame, dites bien à ce bon monsieur que je ne vis pas une heure de mon existence sans le bénir.

" Un sanglot la suffoqua, son coeur se fondait de reconnaissance.

C'était de Saccard qu'elle parlait, car elle ne connaissait que lui, comme la plupart des parents qui avaient des enfants à l'Oeuvre du Travail.

La princesse d'Orviedo ne paraissait point, tandis que lui s'était longtemps prodigué, peuplant l'oeuvre, ramassant toutes les misères du ruisseau pour voir plus vite fonctionner cette machine charitable qui était un peu sa création, se passionnant du reste comme toujours, distribuant des pièces de cent sous de sa poche aux tristes familles dont L'Argent V 88. »

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