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L'Argent la seconde, naturellement, venait de doubler : mille actions en

Publié le 11/04/2014

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L'Argent la seconde, naturellement, venait de doubler : mille actions en tout, représentant, pour le versement du quart et la prime, une somme de cent trente-cinq mille francs, que le frère et la soeur voulurent absolument payer, un héritage inattendu d'environ trois cent mille francs leur étant tombé d'une tante, morte dix jours après son fils unique, tous deux emportés par la même fièvre. Saccard les laissa faire, sans s'expliquer lui-même sur la manière dont il comptait libérer ses propres actions. " Ah ! cet héritage, dit en riant Mme Caroline, c'est la première chance qui nous arrive... Je crois bien que vous nous portez bonheur. Mon frère avec ses trente mille francs de traitement, ses frais de déplacement considérables, et tout cet or qui tombe sur nous, parce que nous n'en avons plus besoin sans doute... Nous voilà riches. " Elle regardait Saccard, avec sa gratitude de bon coeur, vaincue désormais, confiante en lui, perdant chaque jour de sa clairvoyance, dans la tendresse croissante qu'il lui inspirait. Puis, emportée tout de même par sa gaie franchise, elle continua : " N'importe, si je l'avais gagné, cet argent, je vous réponds que je ne le risquerais pas dans vos affaires... Mais une tante que nous avons à peine connue, un argent auquel nous n'avions jamais pensé, enfin de l'argent trouvé par terre, quelque chose qui ne me semble même pas très honnête et dont j'ai un peu honte... Vous comprenez, il ne me tient pas au coeur, je veux bien le perdre. Justement dit Saccard, plaisantant à son tour, il va grossir et vous donner des mimons. Il n'y a rien de tel pour profiter comme l'argent volé.. Avant huit jours, vous verrez, vous verrez la hausse ! " Et, en effet, Hamelin, ayant dû retarder son départ, assista avec surprise à une hausse rapide des actions de l'Universelle. A la liquidation de la fin de mai, le cours de sept cents francs fut dépassé. Il y avait là l'ordinaire résultat que produit toute augmentation de capital : c'est le coup classique, la façon de cravacher le succès, de donner un temps de galop aux cours, à chaque émission nouvelle. Mais il y avait aussi la réelle importance des entreprises que la maison allait lancer ; et de grandes affiches jaunes, collées dans tout Paris, annonçant la prochaine exploitation des mines d'argent du Carmel, achevaient de troubler les têtes, y allumaient un commencement de griserie, cette passion qui devait croître et emporter toute raison. Le terrain était préparé, le terreau impérial, fait de débris en fermentation, chauffé des appétits exaspérés, extrêmement favorable à une de ces poussées folles de la spéculation, qui, toutes les dix à quinze années, obstruent et empoisonnent la Bourse, ne laissant après elles que des ruines et du sang. Déjà, les sociétés véreuses naissaient comme des champignons, les grandes compagnies poussaient aux aventures financières, une fièvre intense du jeu se déclarait, au milieu de la prospérité bruyante du règne, tout un éclat de plaisir et de luxe, dont la prochaine Exposition promettait d'être la splendeur finale, la menteuse apothéose de féerie. Et, dans le vertige qui frappait la foule, parmi la bousculade des autres belles affaires s'offrant sur le trottoir, l'Universelle enfin se mettait en marche, en puissante machine destinée à tout affoler, à tout broyer, et que des mains violentes chauffaient sans mesure, jusqu'à l'explosion. Lorsque son frère fut reparti pour l'Orient, Mme Caroline se retrouva seule avec Saccard, reprenant leur étroite vie d'intimité, presque conjugale. Elle s'entêtait à s'occuper de sa maison, à lui faire réaliser des économies, en intendante fidèle, bien que leur fortune à tous deux eût changé. Et, dans sa paix souriante, son humeur toujours égale, elle n'éprouvait qu'un trouble, son cas de conscience au sujet de Victor, l'hésitation de savoir si elle devait cacher plus longtemps au père l'existence de son fils. On était très mécontent de ce dernier, à l'Oeuvre du Travail, qu'il ravageait. Les six mois d'expérience étaient écoulés, allait-elle produire le petit monstre, avant de l'avoir décrassé de ses vices ? Elle en ressentait parfois une vraie souffrance. Un soir, elle fut sur le point de parler. Saccard, que l'installation mesquine de l'Universelle désespérait, venait de décider le conseil à louer le rez-de-chaussée de la maison voisine, pour agrandir les bureaux, en attendant qu'il osât proposer la construction de l'hôtel luxueux de ses rêves. De nouveau, il faisait percer des portes de V 93 L'Argent communication, abattre des cloisons, poser encore des guichets. Et, comme elle revenait du boulevard Bineau, désespérée d'une abomination de Victor, qui avait presque mangé l'oreille à un camarade, elle le pria de monter avec elle, chez eux. " Mon ami, j'ai quelque chose à vous dire. " Mais, en haut, quand elle le vit, une épaule couverte de plâtre, enchanté d'une nouvelle idée d'agrandissement qu'il venait d'avoir, celle de vitrer aussi la cour de la maison voisine, elle n'eut pas le courage de le bouleverser, avec le déplorable secret. Non, elle attendrait encore, il faudrait bien que l'affreux vaurien se corrigeât. Elle était sans force devant la peine des autres. " Eh bien, mon ami, c'était pour cette cour. J'avais eu justement la même idée que vous. " VI Les bureaux de L'Espérance , le journal catholique en détresse que, sur l'offre de Jantrou, Saccard avait acheté, pour travailler au lancement de l'Universelle, se trouvaient rue Saint-Joseph, dans un vieil hôtel noir et humide, dont ils occupaient le premier étage, au fond de la cour. Un couloir partait de l'antichambre, où le gaz brûlait éternellement ; et il y avait, à gauche, le cabinet de Jantrou, le directeur, puis une pièce que Saccard s'était réservée, tandis que s'alignaient, à droite, la salle commune de la rédaction, le cabinet du secrétaire, des cabinets destinés aux différents services. De l'autre côté du palier, étaient installées l'administration et la caisse, qu'un couloir intérieur, tournant derrière l'escalier, reliait à la rédaction. Ce jour-là, Jordan, en train d'achever une chronique, dans la salle commune, où il s'était installé de bonne heure pour n'être pas dérangé, en sortit comme quatre heures sonnaient, et vint trouver Dejoie, le garçon de bureau, qui, à la flamme large du gaz, malgré la radieuse journée de juin qu'il faisait dehors, lisait avidement le bulletin de la Bourse, qu'on apportait et dont il prenait le premier connaissance. " Dites donc, Dejoie, c'est M. Jantrou qui vient d'arriver ? Oui, monsieur Jordan. " Le jeune homme eut une hésitation, un court malaise qui l'arrêta pendant quelques secondes. Dans les commencements difficiles de son heureux ménage, des dettes anciennes étaient tombées ; et, malgré sa chance d'avoir trouvé ce journal où il plaçait des articles, il traversait une atroce gêne, d'autant plus qu'une saisie-arrêt était mise sur ses appointements et qu'il avait à payer, ce jour-là, un nouveau billet, sous la menace de voir ses quatre meubles vendus. Déjà, deux fois, il avait demandé vainement une avance au directeur, qui s'était retranché derrière la saisie-arrêt faite entre ses mains. Pourtant, il se décidait, s'approchait de la porte, lorsque le garçon de bureau reprit : " C'est que M. Jantrou n'est pas seul. Ah !... Avec qui est-il ? Il est arrivé avec M. Saccard, et M. Saccard m'a bien dit de ne laisser entrer que M. Huret, qu'il attend. " Jordan respira, soulagé par ce délai, tant les demandes d'argent lui étaient pénibles. " C'est bon, je vais finir mon article. Avertissez-moi, quand le directeur sera libre. " VI 94

« communication, abattre des cloisons, poser encore des guichets.

Et, comme elle revenait du boulevard Bineau, désespérée d'une abomination de Victor, qui avait presque mangé l'oreille à un camarade, elle le pria de monter avec elle, chez eux.

" Mon ami, j'ai quelque chose à vous dire.

" Mais, en haut, quand elle le vit, une épaule couverte de plâtre, enchanté d'une nouvelle idée d'agrandissement qu'il venait d'avoir, celle de vitrer aussi la cour de la maison voisine, elle n'eut pas le courage de le bouleverser, avec le déplorable secret.

Non, elle attendrait encore, il faudrait bien que l'affreux vaurien se corrigeât.

Elle était sans force devant la peine des autres.

" Eh bien, mon ami, c'était pour cette cour.

J'avais eu justement la même idée que vous.

" VI Les bureaux de L'Espérance , le journal catholique en détresse que, sur l'offre de Jantrou, Saccard avait acheté, pour travailler au lancement de l'Universelle, se trouvaient rue Saint-Joseph, dans un vieil hôtel noir et humide, dont ils occupaient le premier étage, au fond de la cour.

Un couloir partait de l'antichambre, où le gaz brûlait éternellement ; et il y avait, à gauche, le cabinet de Jantrou, le directeur, puis une pièce que Saccard s'était réservée, tandis que s'alignaient, à droite, la salle commune de la rédaction, le cabinet du secrétaire, des cabinets destinés aux différents services.

De l'autre côté du palier, étaient installées l'administration et la caisse, qu'un couloir intérieur, tournant derrière l'escalier, reliait à la rédaction.

Ce jour-là, Jordan, en train d'achever une chronique, dans la salle commune, où il s'était installé de bonne heure pour n'être pas dérangé, en sortit comme quatre heures sonnaient, et vint trouver Dejoie, le garçon de bureau, qui, à la flamme large du gaz, malgré la radieuse journée de juin qu'il faisait dehors, lisait avidement le bulletin de la Bourse, qu'on apportait et dont il prenait le premier connaissance.

" Dites donc, Dejoie, c'est M.

Jantrou qui vient d'arriver ? \24 Oui, monsieur Jordan.

" Le jeune homme eut une hésitation, un court malaise qui l'arrêta pendant quelques secondes.

Dans les commencements difficiles de son heureux ménage, des dettes anciennes étaient tombées ; et, malgré sa chance d'avoir trouvé ce journal où il plaçait des articles, il traversait une atroce gêne, d'autant plus qu'une saisie-arrêt était mise sur ses appointements et qu'il avait à payer, ce jour-là, un nouveau billet, sous la menace de voir ses quatre meubles vendus.

Déjà, deux fois, il avait demandé vainement une avance au directeur, qui s'était retranché derrière la saisie-arrêt faite entre ses mains.

Pourtant, il se décidait, s'approchait de la porte, lorsque le garçon de bureau reprit : " C'est que M.

Jantrou n'est pas seul.

\24 Ah !...

Avec qui est-il ? \24 Il est arrivé avec M.

Saccard, et M.

Saccard m'a bien dit de ne laisser entrer que M.

Huret, qu'il attend.

" Jordan respira, soulagé par ce délai, tant les demandes d'argent lui étaient pénibles.

" C'est bon, je vais finir mon article.

Avertissez-moi, quand le directeur sera libre.

" L'Argent VI 94. »

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