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L'avenir du français.

Publié le 26/04/2011

Extrait du document

   Il y a quelques années, on pouvait légitimement penser que la langue française approchait d'une crise qui lui serait fatale. Une observation linguistique objective permettait de constater une divergence de plus en plus grande entre le français parlé et le français écrit. Il ne s'agissait pas d'une simple question de vocabulaire, mais bien de syntaxe. Une nouvelle grammaire s'élaborait, qui menaçait notamment de supprimer un certain nombre de temps (l'imparfait du subjonctif étant déjà, lui, hors de combat) et de bouleverser l'ordre même des mots.    La langue française subissait ainsi une évolution naturelle et poursuivait la transformation qui avait fait d'un balbutiant dialecte gallo-romain la langue de Bossuet, de Voltaire, de Jean Jaurès et du général de Gaulle. Cette évolution se poursuivait de façon d'autant plus active qu'elle était, naturellement, inconsciente, et l'on aurait bien étonné la ménagère disant : « Des petits pois, des frais, vous en avez-ti des moins chers ? « en lui faisant remarquer qu'elle employait là une construction courante dans certaines langues amérindiennes O, mais non enseignées à l'école de filles du quartier.    Afin d'éviter tout malentendu, spécifions bien que cette évolution n'avait rien à voir avec des phénomènes accessoires, comme l'emploi d'expressions argotières ou simplement populaires ; mais, en un autre sens, elle était facilitée par l'abîme qui existe entre l'orthographe et la prononciation ; là, il y avait une impasse, car toute idée de réforme de l'orthographe suscite des réactions passionnelles (bien à tort, à mon avis : il est vrai qu'il n'y a peut-être là qu'un faux problème sans grand intérêt).    Quoi qu'il en soit, on pouvait donc prévoir un moment où la différence entre français parlé et français écrit serait telle qu'il se produirait une véritable catastrophe que ne pourrait prévenir même une réforme radicale de l'orthographe. Tout d'un coup, il y aurait deux langues : l'une, le français écrit, deviendrait l'équivalent du latin ; et l'autre, dûment codifiée, serait à son tour enseignée dans les écoles. On reconnaîtrait dans le néo-français un idiome indépendant.    Cette thèse, que je me suis plu à soutenir à plusieurs reprises il y a une vingtaine d'années, ne me paraît plus aussi bien fondée. Il s'est produit un phénomène qui met sérieusement en cause sa validité et dont les effets de freinage deviennent manifestes : il s'agit du développement de la télévision (la radio — sans le visage humain — n'a pas cette influence). A force de voir sur le petit écran d'autres eux-mêmes s'exprimer en un français (en général à peu près) correct, les Français se sont mis à surveiller la façon dont ils s'expriment. N'importe qui peut être appelé pour une raison quelconque à « dire deux mots « devant une caméra : comme il ne faut pas se rendre ridicule, disons-les en bon français. Et comme l'habitude — nul ne l'ignore — est une seconde nature, autant en prendre l'habitude, même lorsque le micro n'est pas là. Le français parlé courant se modèle de plus en plus sur l'écrit, et je crois que ce que les puristes n'auraient pu obtenir, les moyens audiovisuels l'imposent. Bref, c'est une déroute du néo-français.    Évidemment, l'orthographe n'est pas toujours brillante (souvent, déficiente, parfois surprenante — au niveau du baccalauréat et même au-delà), évidemment 1© franglais O et le langage publicitaire se montrent bien envahissants, pour ne pas parler de certains jargons sociologico-philosophiques dont les ravages ne s'exercent, il est vrai, que dans des domaines limités. Évidemment, la langue de cette fin de XXe siècle n'est pas celle des années d'avant-guerre (de l'avant-guerre de 14). Néanmoins, il s'agit toujours bien de la langue française, celle que pratiquèrent Massillon, Bourdaloue, George Sand et André Breton.    Curieux destin : on ne pouvait guère prévoir qu'on obtiendrait — involontairement — ce résultat grâce à la télévision.    Raymond Queneau, juin 1970.    Vous ferez de ce texte un résumé ou une analyse. Vous dégagerez ensuite de ce texte un sujet qui vous intéresse particulièrement, vous le présenterez de façon claire et explicite et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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