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C. E. 18 déc. 1959, SOCIÉTÉ « LES FILMS LUTETIA » et SYNDICAT FRANÇAIS DES PRODUCTEURS et EXPORTATEURS DE FILMS, Rec. 693

Publié le 01/10/2022

Extrait du document

« POLICE MUNICIPALE - CINÉMA C.

E.

18 déc.

1959, SOCIÉTÉ « LES FILMS LUTETIA » et SYNDICAT FRANÇAIS DES PRODUCTEURS _et EXPORTATEURS DE FILMS, Rec.

693 (S.

1960.94, concl.

Mayras: D.

1960.171, note Weil; A.

J.

1960.1.21, clir.

Combamous et Galabert; Rev.

Adm.

1960.31, note Juret: J.

C.

P.

1961.11.11898, note Mimin). Cons.

qu'en vertu de l'art.

}er de l'ordonnance du 3 juill.

1945 la représentation d'un film cinématographique est subordonnée à l'obten­tion œun visa délivré.

par le ministre chargé de l'information; qu'aux termes de l'art.

6 du décret du 3 juill.

1945 portant règlement d'admi­nistration publique pour l'application de cette ordonnance, « le visa d'exploitation vaut autorisation de représenter le film sur tout le territoire pour lequel il est délivré »; Cons.

que, si l'ordonnance du 3 juill.

1945, en maintenant le contrôle préventif institué par des textes .i,ntérieurs, a, notamment, pour objet de permettre que soit interdite, la projection des films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n'a pas retiré aux maires l'exercice, en ce qui concerne les représentations cinématogra­phiques, des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'art. 97 · de la loi municipale du 5 avr.

1884; qu'un maire, responsable du maintien de l'ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d'un film auquel le visa ministériel d'exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public: Cons.

qu'aucune disposition législative n'oblige le maire à motiver un arrêté pris par lui en vertu de l'art.

97 susmentionné de la loi du 5 avril 1884; Cons.

que l'arrêté attaqué, par lequel le maire de Nice a interdit la projection du film « Le feu dans la peau » constitue une décision individuelle; que, dès lors, le moyen tiré par les requérants de ce que le maire aurait excédé ses pouvoirs en prenant, en l'espèce, un arrêté de caractère réglementaire est, en tout état de cause, inopérant; Cons.

que le caractère du film susmentionné n'est pas contesté; qu'il résulte de l'instruction que les circonstances locales invoquées par le maire de Nice étaient de nature à justifier légalement l'interdiction de la projection dudit film sur le territoire de la commune; Cons., enfin, que le détournement de pouvoir allégué ne ressort pas des pièces du dossier; Cons.

qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté la demande de la Société « Les Films Lutetia » tendant à l'annulation de l'arrêté contesté du maire de Nice : ...

(Rejet). OBSERVATIONS Par divers arrêtés de l'année 1954 le maire de Nice interdisait la projection, sur le territoire de la commune de Nice, de certains films revêtus du visa ministériel de contrôle auxquels le maire reprochait d'être «contrafres à la décence et aux bonnes mœurs» (Le feu dans la peau, Avant le déluge, Le Blé en herbe, etc.) Ces mesures, prises sur l'intervention pressante de l'Union départementale des associations familiales, s'inséraient dans une vaste campagne menée par divers groupements contre le «libéralisme» de la commission de censure auquel, pensait-on, la rigueur des autorités locales de police pourrait seule porter remède. En attaquant ces arrêtés devant le tribunal administratif de Nice (Trib.

adm.

Nice 11 juill.

195?, D.

1956.13, note Weil), puis, en appel, devant le Conseil d'Etat, les sociétés productri­ ces posaient le problème des pouvoirs des maires et des préfets à l'égard des films cinématographiques revêtus du visa ministé­ riel de contrôle.

C'est dire l'importance de l'arrêt de principe Société « Les Films Lutetia » tant sur le plan juridique qu'en ce qui concerne l'avenir de l'industrie et de l'art cinématographi­ ques en France. La censure cinématographique · est régie actuellement par l'ordonnance du 3 juill.

1945.

La représentation et l'exportation de� films sont subordonnées à l'ob�ention de visas délivrés par le mm1stre chargé du cinéma sur l'avis d'une comm1ss10n de contrôle des films, dont la composition et les pouvoirs, naguère fixés par un décret du 3 juill.

1945, sont aujourd'hui déterminés par un décret du 18 janv.

1961.

Ces textes qui ne précisent pas les motifs dont le ministre et la commission doivent s'inspirer, laissent ainsi à leur appréciation un caractère largement discré­ tionnairè.

D'autre part, si le décret d'application prévoit que « le visa d'exp!oi!ation vaut autorisa!ion de �eprésent1::r le film sur tout le ternt01re pour lequel ce visa est dehvre, » l'mterven- f,\ tion des autorités locales de police, une fois le visa ministériel accordé, n'est ni formellement prévue, ni expressément écartée.

'' Dans ces conditions deux questions se posaient sur le plan juridique: 1° l'institution d'un contrôle confié au pouvoir central a-t-elle pour conséquence d'exclure l'exercice des pouvoirs de police des maires et des préfets? / 2° dans la négative, quelle est l'étendue des pouvoirs des :, maires et des préfets et, notamment, pour quels motifs pour-/1 raient-ils interdire la projection de certains films? h t:, jr I.

- Sur le premier point le problème ne faisait guère de difficultés.

Comme l'a rappelé M.

Mayras dans ses conclusions, « l'exercice d'un pouvoir de police par l'autorité supérieure ne fait pas obsta�le à l'intervention de l'autorité locale, et particu­ lièrement du maire, lorsque des circonstances locales justifient •qu'une mesure plus restrictive que celle qui vaut sur le plan national soit prise».

Appliqué d'abord au concours entre deux polices générales (C.E.

18 avril 1902, commune de Néris-les­ Bains *;- 8 août 1919, Labonne *), ce principe l'est également au concours d'une police spéciale et de la police générale du maire ou du préfet (C.E.

22 mars 1935, Société Narbonne, Rec.

379, pour la police des établissements dangereux, incommodes ou insalubres; - 17 oct.

1952, Syndicat climatique de Briançon, Rec.

445, concl. Chardeau, pour la police sanitaire; - 20 juill.

1971, Méhu et autres, Rec.

567; A.

J.

1972.251, note Moderne, pour la police des carrières).

Le Conseil d'État avait déjà eu l'occasion d'appliquer · ces principes à la police des films (25 janv.

1924, Chambre syndicale de la cinématographie, p.

94).

Il ne fait donc que confirmer une jurisprudence constante en décidant que, « si l'ordonnance du 3 juill.

1945...

a, notamment, pour objet de permettre que soit interdite la projection de films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n'a pas retiré aux ·maires l'exercice, en ce qui concerne les représentations cinémato­ graphiques, des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'art.

97 de la loi muniëipale du 5 avr.

1884».

Le pouvoir ainsi reconnu aux maires (et à P�ris au préfet de police) appart�ent également aux préfets pour toutes les communes du département ou pour certaines d'entre elles (L.

5 avr.18�4, art.

99). Il.

- Il restait alors à déterminer pour quels motifs les maires (et préfets) peuvent intervenir et quelle est l'étendue de leurs pouvoirs. 1° En ce qui concerne les motifs de l'intervention des autori­ tés locales, l'arrêt Films Lutetia en reconnaît deux, de caractère très différent. a) Le premier est classique : c'est la menace de « troubles 1 sérieux», c'est-à-dire de désordres matériels dus, par exemple, à des manifestations violentes d'hostilité de la part de certains habitants de la ville.

On se trouve ici sur le terrain traditionnel du pouvoir de police municipale tel· qu'il a été défini par l'arrêt du 19 mai 1933, Benjamin*; sans doute, s'agissant d'un specta' cle, le contrôle est-il moins rigoureux que pour la liberté de réunion; mais il faut noter que la jurisprudence emploie, depuis une série de décisions d'assemblée du 19 avril 1963 (notamment Ville de Dijon; 'Rec.

227; D.

1964.122, note Blaevoet; J.

C.

P. , 1963.II.13237, note Mimin; A.

J.

1963.374, note A.

de L.), i' ,l'expression de « troubles matériels sérieux», qui est p_lus ' restrictive que celle de « troubles sérieux».

De toute façon, l'éventualité de troubles à la suite de la projection d'un film est assez théorique, Aussi est-ce sur le second motif que l'attention doit être avant tout portée. ., b) On se demandait en effet si le caractère immoral d'un film ( pouvait constituer un motif légal d'interdiction.

Le doute était ; permis pour une double raison.

D'une part l'immoralité du film \ a déjà fait l'objet d'un examen par la commission de contrôle '· et par le ministre : or il était couramment admis que l'autorité \ de police générale ne peut intervenir que pour des motifs .

strictement locaux et qu'elle ne peut se fonder sur des considé­ \.

rations déjà retenues par l'autorité chargée de la police spé­ \ ciale.

D'autre part on considérait généralement, comme l'a \rappelé M.

Mayras, que, « si la police administrative se définit !par son but : le maintien de l'ordre public, il ne s'agit, selon \l'expression d'Hauriou, que de l'ordre « matériel et extérieur»; l'autorité de police ne peut prévenir les désordres moraux sans porter atteinte à la lib'erté de conscience : ou alors, elle tend à imposer l'ordr_e moral».

Aussi le commissaire du gouvernement ' concluait-il à l'annulation d'un arrêté fondé exclusivement sur / le caractère immoral du film visé : « Il nous paraît impossible, dit-il, d'admettre que la seule atteinte à la moralité publique, c'est-à-dire le trouble dans les consciences, soit, en elle-même, un motif justifiant l'interdiction de représentation d'un film, s'il n'est pas établi' que des désordres, matériels risqueraient d'en résulter».

Et M.

Mayras d'ajouter que derrière l'il}.tervention des maires se profile en réalité celle de groupements plus ou moins privés qui, au lieu.... »

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